L'IFP

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Il y a 54 ans, en ce même mois de mai, l'Institut français de Prague fermait ses portes. La guerre froide gelait alors les liens traditionnels franco-tchèques et isolait la Tchécoslovaquie. Puis, des années 60 jusqu'à 1990, la renaissance de la société s'est chaque fois accompagnée de celle de l'IFP, comme si la santé de l'une était symptômatique de celle de l'autre. "Une histoire de l'Institut français de Prague", paru en 1993 grâce à un collectif d'historiens tchèques et français, nous a servi de guide...

Après l'effroyable parenthèse de l'occupation allemande, l'Institut français de Prague, l'IFP, rouvre ses portes en novembre 1945. Inauguré en 1920, l'IFP a eu un rôle de premier plan dans la consolidation des relations frano-tchécoslovaques durant la première République. La fin de la guerre permettait tous les espoirs et pourtant il ne s'agissait que d'une nouvelle parenthèse pour les échanges culturels européens.

Dès avant 1948 et le coup de Prague, le déclin de l'Institut français était palpable. Propice à la légitimité idéologique des communistes, l'immédiat après-guerre laisse une marge de manoeuvre plus qu'étroite à Benes et à tous ceux qui croient encore au "Pont entre l'Est et l'Ouest". 1949 marque un tournant radical à cet égard : le général Pika, président de l'Alliance française, est exécuté sous prétexte d'espionnage. Le régime stalinien ne peut de toute façon tolérer une extra-territorialité, qui plus est occidentale.

En février 1951, deux policiers en civil sont postés à l'entrée de l'Institut jour et nuit et vérifient l'identité des personnes qui y pénètrent. Le public et le personnel ne se laissent pas intimider et reviennent toujours plus nombreux. Le 12 avril 1951, les faits prennent une tournure accélerée : le ministre des Affaires Etrangères réclame la dissolution pure et simple de l'IFP. Pour cela, il se livre à une interprétation plutôt large du droit, s'appuyant sur le fait que l'accord franco-tchécoslovaque de 1923 ne reconnaissait pas l'existence d'établissements français en Tchécoslovaquie. Le 1er mai 1951, l'Institut referme ses portes sur ses 35 000 volumes. En même temps, sont dissolues toutes les sections de l'Alliance française.

L'"affaire Aymonin" apportera alors un soutien inattendu au pouvoir. Ancien directeur de l'IFP, Marcel Aymonin est muté à Sofia en 1949, en raison, notamment, de ses intrigues politiques. Mais l'Institut français de Bulgarie ferme à son tour ses portes et c'est un poste dans un lycée en France qui attend Aymonin à son retour. De passage par Prague, il demande l'asile politique à la Tchécoslovaquie. Dans une lettre ouverte à l'Ambassade de France, il accuse l'IFP de constituer un centre d'espionnage au profit de la France. Et de lancer des accusations fantasques dans le plus pur style djanovien contre diverses personnalités de l'IFP.

Condamné par contumace par les autorités françaises, il sera amnistié dans les années 60 et enseignera le tchèque à Nanterre, tout en poursuivant son activité de traducteur. Sa traduction de "La Plaisanterie" de Kundera provoquera d'ailleurs la colère de l'écrivain, qui obtiendra une nouvelle traduction. Les motivations d'Aymonin, cet enseignant venu pour la première fois à Prague comme étudiant en 1926, demeurent obscures. Pour le régime, il a en tout cas constitué une aubaine dans sa propagande contre l'IFP.

A partir de 1951, l'Institut amorce un long déclin, entrecoupé d'un furtif espoir en 1967. A son instar, les relations franco-tchécoslovaques tombent dans une insignifiance presque totale. Le dernier lien ténu - et bien informel - est celui d'actions culturelles isolées : expositions de tapisseries françaises à Prague en 1957 ou encore exposition Kupka au Musée National d'Art moderne de Paris en 1958.

L'affluence de personnalités culturelles françaises à Prague dans les années 50 pourrait faire penser que tout n'a pas totalement changé depuis la première République. A y regarder de plus près, les différences sont de taille : ce sont les mêmes personnes qui viennent, sympathisants déclarés ou membres du Parti communiste français : Louis Aragon, Paul Eluard, Tzara, Jean-Paul Sartre en 1954 ou encore Yves Montand en 1956. La plupart prendront leur distance avec le Parti à partir de 1956.

Dans les années 60, le contexte de libéralisation à l'intérieur donne des signes d'espoir pour l'Institut français. Les choses ne vont cependant pas de soi et la renaissance de l'IFP sera conquise de haute lutte par quelques personnalités dont Henri Ehret, conseiller culturel à Prague. Le contexte de dégel au niveau international est favorable: le 24 septembre 1964, est signé un protocole d'échanges culturels franco-tchécoslovaques. Le 6 octobre 1965, c'est le rajout d'un poste de lecteur français à l'Université Komensky de Bratislava. Malgré cette reprise des contacts au plus haut niveau, l'IFP reste LE sujet tabou.

Le 24 novembre 1966, un premier arrangement entre le Vice-ministre des Affaires Etrangères tchécoslovaque et l'ambassadeur de France à Prague, aboutit à l'ouverture d'une bibliothèque et d'une salle de lecture, avec services de prêt et salles de conférences.

On imagine facilement la suite. L'intervention des chars soviétiques met fin à l'expérience, en même temps qu'à une parenthèse à l'issue de laquelle la Tchécoslovaquie avait tout à gagner... ou à perdre. L'IFP représentait un espace de liberté intolérable pour le régime et la chappe de plomb qui s'abat sur le pays dès l'automne 1969 ne manque pas de l'engloutir.

L'année 1985 semble marquer le signe, symbolique et presque prophétique, du retour à la normalité - après la normalisation : Vaclav Havel, alors dissident, reçoit dans les locaux de la Stepanska, le diplôme de docteur honoris causa de l'Université de Toulouse. Il faudra attendre octobre 1990 pour voir la réouverture officielle de l'Institut français de Prague. Le 9 décembre, François Mitterand accueille Havel, alors président, dans les locaux rénovés de la rue Stepanska. Depuis, l'IFP se classe parmi les plus actifs des centres culturels étrangers à Prague et semble avoir retrouvé sa vocation tradtionnelle.