L’histoire mouvementée du reliquaire de Saint-Maur

Relikviář svatého Maura, foto: NPÚ

Aujourd’hui, dans cette nouvelle rubrique historique, direction la commune de Bečov nad Teplou, à une trentaine de kilomètres au sud de la ville thermale de Karlovy Vary. C’est là, dans le château de Bečov, que se trouve une pièce d’art médiéval extrêmement rare : le reliquaire de Saint-Maur. Retour sur l’histoire plus que mouvementée de cet objet de dévotion qui a traversé les siècles.

Le château de Bečov
Niché au creux de la forêt de Slavkov, dans la vallée de la rivière Teplá, le château de Bečov nad Teplou se dresse au-dessus de la petite commune éponyme, massif ensemble architectural composite, avec le palais baroque d’un côté et la puissante forteresse médiévale de l’autre. Si celle-ci est à l’heure actuelle en travaux et inaccessible au grand public, le palais, lui, vit au rythme des visites de particuliers ou de groupes scolaires.

C’est le palais qui sert d’écrin à l’un des objets d’art les plus précieux de République tchèque : le reliquaire de Saint-Maur. Alena Švehlová, directrice d’exploitation du château de Bečov revient sur les origines du reliquaire, lointaines dans le temps et dans l’espace :

« D’après les analyses qui ont été effectuées sur le reliquaire, celui-ci a dû être fabriqué entre 1225 et 1230. On dit en général qu’il date du premier tiers du XIIIe siècle. C’est l’abbaye bénédictine de Florennes, sur l’actuel territoire de la Belgique, qui l’a commandé à l’époque. Le reliquaire s’y est trouvé jusqu’à la Révolution française. C’est à la fin du XVIIIe siècle que commence son histoire mouvementée : le monastère de Florennes est fermé, le reliquaire est alors caché dans une petite église de la ville. C’est là que l’a découvert, en 1838, le duc Alfred Beaufort-Spontin, issu de la dernière famille propriétaire de la seigneurie de Bečov. »

C’est le père d’Alfred, Friedrich, qui achète le château de Bečov en 1813. Fonctionnaire à la cour d’Autriche, le duc comprend vite que l’atmosphère dans la France postrévolutionnaire n’est guère favorable à l’aristocratie. Au cours du XIXe siècle, Friedrich Beaufort-Spontin vide peu à peu ses propriétés de France et de Belgique et transfère ses collections au château de Bečov nad Teplou, dans une Bohême bien plus conservatrice et proche de ce monde qui s’effondre plus à l’Ouest. Et c’est donc ainsi que se retrouve à Becov, le reliquaire roman, acheté pour une bouchée de pain par son héritier Alfred. Alena Švehlová :

« Alfred Beaufort-Spontin travaillait à l’époque comme directeur du Musée de Florennes. On peut donc imaginer qu’il s’orientait plutôt bien sur le marché de l’art et qu’il connaissait la valeur du reliquaire. Cela ne l’a pas empêché pour autant de l’acheter pour un prix ridiculement bas, 2 500 francs seulement. Néanmoins, l’Eglise a vendu le reliquaire. Il est toutefois intéressant de savoir qu’après un certain temps, l’Eglise a essayé de récupérer le reliquaire car dans le contrat de vente, les Beaufort-Spontin avaient promis que le reliquaire ne quitterait pas Florennes. C’était donc une violation de contrat. Finalement, les Beaufort-Spontin ont réglé cela à l’amiable avec l’Eglise, donc je pense que le reliquaire leur a coûté un peu plus cher. Mais c’était toujours un achat plus qu’avantageux, la valeur du reliquaire étant incalculable aujourd’hui. »

Le reliquaire était caché sous le sol de la chapelle du château-fort
Une valeur incalculable qui n’empêchera pas le reliquaire de disparaître : la fin de la seconde guerre mondiale est un tournant. Les Beaufort-Spontin, qui ont collaboré avec les nazis, doivent quitter la Tchécoslovaquie suite aux décrets Beneš. Le reliquaire, qui n’a jamais été montré au public et pendant la guerre, est d’autant plus dissimulé par la famille qui ne souhaite guère en faire la publicité, est finalement caché sous le sol de la chapelle du château-fort.

De manière générale, peu de gens savait quel était précisément le contenu des collections privées de la noblesse. Au moment des confiscations de l’après-guerre, il ne vient donc à l’esprit de personne de rechercher ce qui peut manquer ou pas. Il faudra attendre une quarantaine d’années pour que le trésor de Becov soit redécouvert. Alena Švehlová :

« En 1984, un homme d’affaires américain, Denis Douglas, se rend en Tchécoslovaquie, avec une très bonne proposition, au premier abord : il propose 250 000 dollars pour l’achat et le transport d’un objet se trouvant sur le territoire, un objet qui ne manque à personne dans le pays et qui n’est recherché par personne. »

Si le régime communiste de l’époque a besoin de devises, cette étrange proposition d’un homme qui ne souhaite pas donner plus d’informations suscite les interrogations. Un enquêteur de la police criminelle assiste incognito aux tractations commerciales. Finalement, Denis Douglas repartira sans l’objet désiré, mais suite à une enquête et la collecte de nombreux indices révélés çà et là par l’homme d’affaires, les enquêteurs finissent par retrouver la trace du reliquaire dans un ouvrage des années 1930 qui mentionne le château de Bečov et où se trouve une photo de l’œuvre d’art. Alena Švehlová :

« Grâce à ce livre, les experts arrivent le 4 novembre 1985 à Becov. Ils commencent à faire des recherches, tout d’abord assez infructueuses car ils creusent dans les jardins et ne trouvent que des choses insignifiantes. Le soir, face à la situation, ils repensent à une des informations de Denis Douglas, entendu pendant les négociations. Le lendemain, ils se concentrent donc sur l’intérieur et c’est finalement ainsi qu’ils découvrent le reliquaire dans la chapelle du château. »

Photo: Barbora Kmentová
En mauvais état après quarante ans dans un sous-sol humide, le reliquaire doit être évidemment restauré. Les travaux ne pourront commencer qu’en 1991, après la révolution de velours et après le règlement des questions de propriété, et dureront 11 ans. Un travail long et compliqué car les restaurateurs doivent pour cela retrouver les gestes et les techniques d’époque qui ont permis la création de cet objet exceptionnel. Alena Švehlová :

« En ce qui concerne la fabrication du reliquaire, il est très difficile de savoir qui l’a réalisé. Tous les documents d’époque liés au reliquaire n’existent plus depuis longtemps. Il est très probable que plusieurs ateliers d’orfèvrerie y ont participé. Ces reliquaires en forme de maisonnette, comme le reliquaire de Saint-Maur, se fabriquaient dans l’espace rhénan et mosellan. Sinon, les archives nous disent que les reliques placées à l’intérieur, sont celles de saint Maur, l’ensemble du corps, sauf la tête. On y trouvait également le crâne de saint Timothée, une phalange de saint Jean-Baptiste et des restes de saint Apollinaire non-spécifiés, tous reçus par l’abbaye de Florennes au XIe siècle. Au moment de la restauration du reliquaire, des analyses des reliques ont été effectuées, qui ont montré qu’il y avait bel et bien des restes d’individus de sexe masculin, qui correspondraient à l’époque où les saints sont censés avoir vécu. Mais on y aussi retrouvé des os de femme et d’animaux. Mais ceci n’est pas un phénomène inhabituel. »

Photo: Le château de Bečov
En 2002, la restauration du reliquaire est achevée et il est depuis exposé au château de Bečov. Ce n’est qu’en 2005, lors d’une visite de Denis Douglas en République tchèque, que celui-ci confirmera les soupçons des experts : sa visite mystérieuse de 1984 avait été en réalité faite à la demande du dernier propriétaire de Bečov, Heinrich Beaufort-Spontin, décédé en 1986.

Aujourd’hui, le reliquaire est l’une des attractions majeures du château de Becov et des animations spéciales pour les enfants ont même été imaginées pour les familiariser avec un objet qui ne fait certainement pas partie de leur quotidien. Situé dans une salle sombre, seul objet trônant au centre de celle-ci, le reliquaire de Saint-Maur est mis en valeur comme le clou de la visite du château. Et pour cause, que l’on soit sensible ou moins à l’orfèvrerie, on ne peut que s’arrêter, prendre le temps de méditer et d’admirer le minutieux et délicat travail des artistes qui imaginèrent ce précieux écrin, symbole d’une dévotion passée.