Les héritières de Libuse, une histoire des femmes tchèques

Libuse

En République tchèque, la galanterie n'est pas un vain mot. Certains jeunes Français seraient d'ailleurs parfois étonnés de voir leurs homologues tchèques ôter et remettre le vêtement de leur compagne en public. Ces traditions de société n'empêchent pas certains médias, dont Radio Prague, de s'interroger sur la place des femmes dans le monde économique et politique. Retour sur l'histoire des femmes en Bohême-Moravie.

Libuse
"Ne craignez pas pour la nation ou pour l'Etat dont les racines sont solides et profondes. Pensez à la prophétie de la princesse Libuse qui a dit : ma chère patrie tchèque ne mourra jamais". Ainsi s'exprime Edouard Benes le 22 septembre 1938, en pleine crise de Munich. Face au danger allemand, il revendique le soutien de la prophétesse légendaire des Tchèques.

L'image de Libuse, prophétisant sous le tilleul, arbre sacré des Slaves, représente un symbole récurrent pour la nation. Est-ce-à dire que la société tchèque réserve une place à part à la femme ? L'histoire montre que les femmes tchèques, comme partout en Europe, ont conquis leur droits sur le long terme uniquement.

Certains aspects révélateurs de la légende de Libuse sont d'ailleurs mal connus. Petite fille de Cech, ancêtre mythique des Tchèques, elle succède à son père à la tête de l'assemblée des chefs et, à ce titre, rend la justice. Un jour, elle doit faire face à l'interpellation d'un notable, qui s'indigne en ces termes : " Honte à nous ! En quel autre lieu une femme gouverne-t-elle les hommes ? Ici seulement ! Nous voilà la risée du pays ". Libuse préfère l'intérêt national au pouvoir personnel : elle envoie un groupe de nobles lui chercher un mari. Ce sera Premysl le laboureur, dont le mariage avec la princesse donnera naissance à la dynastie des Premyslides.

La légende même dément la réalité d'une société originelle matriarcale. Les textes mythiques montrent que la société slave est dirigée par l'assemblée des chefs, qui désigne un prince, un homme. Si les pouvoirs religieux de Libuse sont mis en avant, c'est son mari qui exerce les fonctions militaires et politiques. La référence au laboureur rappelle d'ailleurs la légende latine de Cincinnatus.

Vlasta
Le rôle symbolique de la femme est néanmoins indéniable dans les légendes primitives. Nous en avons un autre exemple avec les amazones tchèques, qui, sous la conduite de Vlasta, auraient fondé une forteresse près de Prague. Après plusieurs guerres, Premysl signa la paix avec elles et célébra des unions entre les amazones et ses guerriers.

Comme ailleurs en Occident, l'affirmation de l'Etat, à partir du Moyen-Age, va de pair avec la confirmation de la prééminence des hommes dans l'exercice du pouvoir. Le rôle de la femme apparaît, cependant, toujours en filigrane... ou plus franchement. On connaît le rôle, parfois cruel, des femmes ou mères des rois de la France mérovingienne et carolingienne. La dynastie tchèque eut, elle aussi, sa " Frédégonde ". Au Xème siècle, Drahomira, mère du roi Venceslas, fait tuer sainte Ludmila, sa grand-mère. C'est encore Drahomira qui soutient les prétentions de Boleslav, frère cadet du roi.

D'autres femmes ont laissé une image plus reluisante de la dynastie Premyslide. Fille d'Otakar Ier, Agnès Premyslide décide de se retirer du monde et d'abandonner ses biens aux pauvres. Elle crée à Prague un couvent de clarisses, inauguré en 1234 par la noblesse et le roi Venceslas Ier. Le couvent aura un rôle considérable dans l'histoire de la ville. La légende d'Agnès la Bienheureuse, écrite au XIVème siècle, inspira, quant à elle, de nombreuses chroniques médiévales.

Mais, ces exceptions confirment bien une règle qui vaut jusqu'au XIXème siècle : la femme doit se cantonner aux activités ménagères, voire éducatives, mais sa vocation ne saurait dépasser le cadre familial.

Siècle de bouleversements féconds, le XIXème voit l'image de la femme se modifier insensiblement. A partir de 1848, on la voit sur la scène de l'Eveil national. Une véritable conscience de ses droits prend naissance sous la plume de certaines écrivaines. Dans son roman " La Grand-mère ", Bozena Nemcova défend l'éducation des femmes et la défense des jeunes filles abusées. C'est paradoxalement un homme, Vojta Fingerhut - Naprstek, qui crée, en 1865, le Club américain des dames, ouvert aux femmes de la bourgeoisie. Son exil aux Etats-Unis, en 1848, l'avait convaincu de la nécessité, pour les femmes, de consacrer plus de temps libre à la culture. Près de 900 femmes fréquenteront son club, pendant 30 ans. Le mouvement sert d'ailleurs de tremplin à de véritables talents. Ainsi la poétesse Eliska Krasnohorska, est à l'origine de l'ouverture du premier gymnase pour jeunes filles en Autriche, en 1890.

La place des femmes dans la culture tchèque ne se démentira plus vraiment, tout au long du XXème siècle. Leur droit politique est, quant à lui, reconnu par la Première république. Comme ailleurs en Europe, la mode fait alors émerger une nouvelle femme, revendiquant les mêmes attributs que son homologue masculin. Les photographies de nue de Drtikol, dans les années vingt, en témoigne : cheveux courts et corps modelés par le sport incarnent une femme forte et autonome. La Première république tchécoslovaque accorde le droit de vote aux femmes en 1920, soit 24 ans avant la France.

Aujourd'hui, les inégalités homme-femme dans les domaines sociaux mais aussi politiques restent un défi à surmonter. Selon un sondage récent, deux tiers des Tchèques souhaiteraient voir davantage de femmes accéder à des responsabilités politiques. Mais, ils ne seraient pas prêts à voir une femme ministre de la Défense et encore moins une femme Premier ministre. A quand une Edith Cresson ou une Michèle Alliot-Marie tchèque ?