Les antikvariát, adresses incontournables des amoureux des livres à Prague

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Qu’y a-t-il de plus agréable que de flâner dans les antikvariát, ainsi que sont appelées en tchèque les librairies de livres d’occasion, à la recherche de la perle rare, le livre qu’on rêve de lire et de posséder dans sa bibliothèque ? Pas grand-chose à la vérité, et c’est sans doute aussi l’avis de l’historien Alain Soubigou, qui nous a fait l’honneur d’une nouvelle visite dans les studios de Radio Prague pour évoquer cet univers des antikvariát qui, malgré les difficultés, reste bien vivant à Prague.

La poésie des antikvariát

Alain Soubigou, quand vous êtes à Prague, il y a un endroit que vous aimez fréquenter, ce sont les antikvariát. Pouvez-vous expliquer à nos auditeurs ce que sont les antikvariát ?

« Les antikvariát, ce sont ces magasins où l’on trouve des livres d’occasion, le tout-venant, mais aussi, pour un chercheur comme moi, une mine de sources et en particulier de livres sur l’entre-deux-guerres. Puisque, évidemment, et pas seulement pour fournir des sujets d’examen à nos étudiants, mais aussi pour renouveler la science historique, nous avons besoin de trouver des livres. On peut les trouver certes en bibliothèque, quand ils sont disponibles, l’époque communiste ayant été fatale à un certain nombre d’entre eux, mais c’est toujours un plaisir d’aller faire un tour dans les antikvariát, qui ont cependant subi des avanies depuis 1989. Ils étaient très nombreux, ils le sont beaucoup moins. »

Nos auditeurs qui sont en France connaissent peut-être mieux les bouquinistes, qui seraient un équivalent des antikvariát. Où serait selon vous la différence ?

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« Je fréquente bien sûr à Paris les bouquinistes des quais de Seine, avec leurs fameuses boîtes vertes, qui sont une concession du domaine public par la mairie de Paris. Ils paient un droit d’utiliser ces boîtes qui de nos jours sont bien entendu pourvues du téléphone, reliées à internet, où d’ailleurs une partie d’entre eux vendent leurs livres. Les ‘antikvariát pragois ont un charme, un côté suranné, même si certains d’entre eux sont évidemment sur internet. Mais aller fréquenter directement les livres, les croiser, les rencontrer en quelque sorte comme des personnalités, discuter aussi avec les propriétaires des antikvariát permet parfois de dénicher des livres qui sont sous le comptoir. Il y a toute une poésie. »

Vous avez vu évolué ces antikvariát depuis que vous les fréquentez. Vous avez le sentiment que ces magasins, ces librairies d’occasion, disparaissent. Quelles sont les raisons de cette disparation ? Internet joue sans doute un rôle. On trouve maintenant des antikvariát qui vendent essentiellement sur internet…

« Il faut partir quand même d’un phénomène que n’importe qui circulant dans le métro à Prague remarque, c’est que les Tchèques lisent beaucoup. Ils achètent beaucoup de livres, ils les revendent pour s’en acheter d’autres. C’est ça qui justifie qu’il y ait un grand nombre d’antikvariát à Prague ou qu’il y en ait eu un grand nombre.

Ce qui est arrivé tout de même, c’est que le prix de l’allocation du mètre carré a un peu évolué depuis 1989 et cette activité, avec une rotation lente des fonds – ce n’est pas tout à fait le même flux que dans une librairie de livres neufs –, fait que la rentabilité est beaucoup plus tangente, beaucoup plus précaire. Et sur la vingtaine d’antikvariát que j’avais l’habitude de fréquenter dans les années 1990, il n’en subsiste plus qu’une demi-douzaine, mais avec des fonds intéressants et avec lesquels j’ai conservé des liens de sympathie qui leur font mettre de côté des livres qui pourraient m’intéresser.

J’ai un tropisme pour l’entre-deux-guerres, pour la période de Masaryk, de Beneš, et il est très rare que, séjournant à Prague, je ne trouve pas au moins un livre, pas tellement en ce qui me concerne dans une perspective de recherche d’autographes – qui est aussi un sport qui existe en tout cas en Europe de l’Ouest -, mais vraiment pour trouver des livres qui me permettent de renouveler le savoir historique. »

Le plaisir de découvrir un livre rare

Il faut dire que dans ces d’antikvariát, il y a surtout des livres en tchèque, mais il y a aussi souvent des rayons pour les livres en langue étrangère et on peut trouver des livres français, parfois relativement récents. Pour quelques dizaines de couronnes, on peut faire des trouvailles assez intéressantes. Quelles seraient justement les trouvailles dont vous avez été le plus content lors de vos pérégrinations dans les antikvariát de Prague ?

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« Le plus miraculeux, c’est un très beau livre dont je me suis beaucoup servi, pour mon doctorat et puis depuis. C’est un album de tous les représentants de la vie publique, disons de tous les notables de la République en 1929, un gros album, très lourd, très difficile à manier, avec une belle reliure en cuir qui a permis sa conservation. J’ai réussi à me le procurer dans un antikvariát qui n’existe plus, à côté du Sénat, sur la place Wallenstein à Malá Strana. Je me souviens encore du prix, que je vais donner en donnant le salaire d’un professeur du secondaire de l’époque. Vers 1990-1992, un professeur de lycée gagnait 3 000 couronnes. Le livre que j’avais trouvé – on ne m’avait pas fait de fleur, mais je ne l’ai jamais retrouvé dans aucun antikvariát – était à 1 200 couronnes, quasiment la moitié d’un salaire mensuel de professeur ! Je m’en souviens parce que pour moi il était très cher.

J’ai trouvé à peu près tous les livres de Masaryk, ceux qu’il a publiés. J’en ai retrouvé aussi parfois sur internet, mais il y a un vrai plaisir à trouver un livre rare de Masaryk, puisqu’une bonne partie des livres de Masaryk ont été abîmés voire détruits à l’époque des nazis, beaucoup ont été abîmés ou détruits à l’époque des communistes. Et donc retrouver les livres qui ont survécu à toutes les avanies et toutes les censures, c’est un vrai plaisir. Je me souviens de beaucoup d’autres livres et je pourrais presque dire dans quel antikvariát j’ai trouvé tel ou tel livre de Masaryk ou sur Masaryk. »

Vous disiez que vous fréquentiez cinq ou six antikvariát à Prague. Quels seraient vos préférés et pourquoi ?

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« C’est vraiment une question piège mais pour vos auditeurs, je peux signaler quand même quelques-uns de mes antikvariát préférés. Près de l’Université, il y en a un près de ce que les Pragois appellent le Parlament, c’est-à-dire le bar où tous les professeurs de la Faculté de philosophie vont s’abreuver après les cours. Juste à côté, il y a un très bon antikvariát qui permet de se procurer beaucoup de livres. Je connais encore toute une série d’antikvariát, mais je vais m’arrêter sur mon préféré, avec lequel j’ai noué des relations de longue date. C’est celui qui se trouve à Újezd, à côté de Malá Strana, tout près de la station de tramway. Le vieux monsieur qui le tient a toujours des pépites à procurer à ses acheteurs. Je suggère donc à nos auditeurs, lorsqu’ils passent à Prague, d’aller faire un tour dans au moins ces deux-là, mais il y en a d’autres. »

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Redonner une vie aux livres

Si ces antikvariát sont aussi populaires - parce que malgré tout il en reste un certain nombre et pas seulement à Prague, on en trouve aussi dans les villes de province en République tchèque -, est-ce que ce ne serait pas lié aussi à la structure du marché de l’édition en Tchéquie ? A savoir que pour trouver certains livres qui ont été édités à une certaine période, on est obligé de passer par ces antikvariát parce qu’ils n’ont pas été réédités…

« Vous avez raison d’attirer l’attention sur d’un côté le dynamisme et de l’autre la précarité des éditeurs tchèques. Dans les années 1990, il y avait 1 200 maisons d’édition en République tchèque et quasiment la moitié d’entre elles ont disparu. Evidemment, les catalogues qu’elles avaient commencé à garnir et, au-delà, des livres qui ont été publiés, que ce soit à l’époque communiste ou dans l’entre-deux-guerres, ce sont des livres qui ont été édités une fois et rarement réédités. C’est donc le seul moyen de se les procurer.

Photo: Google Maps
Le circuit des antikvariát permet aussi de redonner une vie aux livres, dans la logique écologique actuelle où il faut travailler dans le durable. Ces livres trouvent de nouveaux lecteurs parce qu’ils sont redistribués, ils ne se perdent pas, voire ne sont pas détruits, précisément parce qu’il y a ce réseau d’antikvariát. Et vous avez raison de signaler les antikvariát de province. Il y a un certain nombre de villes de province où j’ai plaisir aussi à aller voir les ressources des antikvariát. Par exemple, j’ai eu le plaisir de découvrir mes propres livres, disponibles dans des antikvariát de province alors qu’ils n’étaient plus disponibles à Prague !

Il y a toute une poésie mais aussi une efficacité. Cela correspond aussi aux moyens de beaucoup des lecteurs tchèques, qui n’ont pas toujours les moyens de s’acheter la version neuve. Un livre qui passe au bout de quelques années dans le réseau des antikvariát permet d’élargir le lectorat. Cela vient du grand attrait des Tchèques pour la lecture. Dès qu’on circule dans le métro, on voit énormément, beaucoup plus qu’à Paris, beaucoup plus que dans beaucoup de villes d’Europe, des lecteurs de livres, de vrais livres, pas seulement des revues. Les antikvariát permettent de redonner une deuxième, une troisième, une quatrième vie à des livres qui sinon peut-être iraient moisir dans des greniers. »