Le grand royaume d'Ottakar ou le destin manqué

Ottakar II

Nous revenons cette semaine sur le roi tchèque Ottakar II, que nous avions rapidement évoqué la semaine dernière. Son histoire est en effet peu connue. Pourtant, son règne est au moins aussi prestigieux pour l'histoire tchèque que celui de Charles IV. En effet, le roi Premyslide a failli renverser le destin de la région et voir la Bohême jouer le rôle de la monarchie habsbourgeoise.

Ottakar II
Pour commencer, replaçons la dynastie des Habsbourg dans ses origines. Loin de promettre un destin exceptionnel, la famille autrichienne vient de Suisse alémanique, ou elle représente, au XIIe siècle, une noblesse ducale comme les autres.

Avant de connaître le destin européen qu'on leur connaît, au XVe siècle, ils commenceront par étendre leurs possessions au bassin danubien, vers le XIIIe siècle. Ils se heurtent alors au solide royaume de Bohême, qui ne cache pas ses ambitions.

Les Tchèques s'étaient progressivement détachés du grand royaume de Moravie au cours du IXe siècle. Regroupés autour de Prague au Xe siècle, ils donnent naissance à une grande dynastie nationale, celle des Premyslides, qui s'impose vite comme une grande puissance régionale.

Dès 1212, Ottakar Ier obtient de l'Empereur germanique le titre royal, pour avoir soutenu les Hohenstaufen contre les Hongrois. Par cette bulle dite de Sicile, la Bohême devient un Etat autonome, élisant ses évêques et désignant son roi. Obtenant en outre un siège de Grand Electeur, le royaume tchèque obtient une place prépondérante au sein de l' Empire romain germanique.

Bela IV
A cette époque, la dynastie habsbourgeoise tente encore de légitimer des origines mythiques pour justifier une extension de leur domaine. Mais les raids organisés par le roi hongrois Bela IV menacent gravement le royaume autrichien.

Face à ce danger, les seigneurs de Styrie, en Autriche, décident de se placer sous la protection du puissant royaume de Bohême, dirigé, depuis le milieu du XIIIe siècle par le non-moins puissant Ottakar II. Pour cela, ils choisissent celui-ci comme grand duc.

En 1260, Ottakar II conforte solidement sa position en battant le roi Etienne V à la bataille de Kroissenbrunn. Neuf ans plus tard, la lignée des Spanheimer s'éteint en Carinthie. La deuxième grande région autrichienne passe ainsi également sous l'autorité du roi de Bohême, devenu le maître de l'Autriche actuelle, Tyrol excepté.

En 1273, à la veille de l'élection du trône de Germanie, le roi tchèque a ainsi donné au royaume tchèque une puissance qu' il ne connaîtra guère plus, sauf peut-être sous le règne du Luxembourg Charles IV. A cette date, il a constitué un Etat allant de la Bohême jusqu' à l' Adriatique, réunissant ainsi Slaves du Nord et du Sud.

Bohême pendant le règne du roi Ottakar II
Personne dans l' Empire n'imagine alors affronter ce rival redoutable, prince doté d'une énergie mais aussi d'une volonté hors du commun. Même les Autrichiens sont reconnaissants envers le roi tchèque, qui a su, après une période de trouble, apporter à ses sujets la paix et la prospérité. Les abbayes et les villes autrichiennes en tireront un grand profit. Ottakar multiplia en effet les privilèges pour les commerçants et les artisans. Mais sa politique de poigne vis-a-vis des grands ducs lui attira également de nombreuses inimités dans la noblesse autrichienne.

Le destin des royaumes tchèques et autrichiens se joue véritablement lors de l'élection pour le trône du Saint-Empire germanique. Scandalisé que la famille des Habsbourg, jugée insignifiante, ose se porter candidate, Ottakar II décide tout simplement de boycotter l'élection et de ne pas présenter sa candidature.

Décision mal inspirée voire fierté mal placée, qui pèsera lourd sur le destin de l'Europe centrale. Car c'est bien le comte Rodolphe de Habsbourg qui sera élu à la tête de l 'Empire. Notons qu'aux yeux du droit féodal, Ottakar II détenait illégalement ses fiefs autrichiens. En refusant de se présenter à la Diète germanique, il ne fait qu'aggraver sa situation. Et pour les seigneurs autrichiens, l' heure de la revanche a sonné. En 1276, ils prêtent serment de fidélité au Habsbourg. Soutenus par le pape, les moines mendiants lancent parallèlement une violente campagne contre le roi tchèque. Rodolphe de Habsbourg, de son côté, entame une habile politique d'alliances. Il marie son fils Albert avec Elisabeth, fille du comte de Tyrol. Il conclut aussi une alliance militaire avec Ladislav IV, roi de Hongrie.

Rodolphe peut alors constituer une armée de 3 000 chevaliers, qui vaincra le roi tchèque à Vienne en 1276. Mais le choc décisif aura lieu à Durknut, dans la plaine danubienne, le 26 août 1278. L'armée d'Ottokar II sera battue et le roi y trouvera une mort héroïque. En 1282, l'Autriche sera redevenue possession habsbourgeoise... et la dynastie endossera, lentement mais sûrement, le destin qu'on lui connaît. Le règne d'Ottakar II, surnommé de son vivant le Lion de Bohême, n'en restera pas mois l'un des âges d'or de l'histoire tchèque.