Le « choix de Sophie » à la tchèque : des « cours sionistes » pour s’enfuir en Palestine

Zuzana au Danemark, photo: sophieschoice.webgarden.cz

C’est l’histoire d’un choix. Un choix qui a sauvé la vie d’une jeune fille juive pendant la Seconde guerre mondiale. Un choix qui lui a permis de vivre alors que ses sœurs, elles, ont connu un destin tragique. Un choix fait par une mère qui n’est pas sans rappeler le fameux « choix de Sophie », dans le roman de William Styron. Cette histoire, c’est celle de Zuzana Ledererová, un destin que fait revivre Judita Matyášová, une jeune journaliste passionnée.

Judita Matyášová
C’est un peu par hasard que Judita Matyášová a rencontré Zuzana Ledererová. Dans le cadre d’un projet organisé dans les écoles, intitulé Zmizelí sousedé, incitant la jeune génération à rechercher les personnes disparues dans leur proche voisinage pendant la guerre, les élèves de l’école primaire de Velký Beranov, enquêtent sur le destin d’Helena Böhmová, disparue dans les camps nazis. Judita rédige un article sur la jeune femme juive dont les enfants ont retrouvé une photographie réalisée juste avant son départ. Une photographie qu’elle n’ira jamais chercher et qui grâce au travail des enfants, a pu être restituée à sa cousine près de 70 ans après.

Car en effet, Zuzana Ledererová reconnaît tout de suite dans l’article de Judita, sa cousine Helena, comme elle, originaire de Jihlava, et dont elle découvrira le destin tragique après la guerre. Car Zuzana, elle, contrairement au reste de sa famille, entièrement décimée, a survécu par miracle, et c’est cette histoire incroyable que Judita souhaite faire connaître :

Zuzana Ledererová,  photo: sophieschoice.webgarden.cz
« A ma plus grande surprise, j’ai découvert qu’elle en avait réchappé par un concours de circonstances inouï. Elles étaient trois filles dans la famille, Zuzana était la cadette. Sa mère avait eu vent de la possibilité de ‘cours sionistes’ pour les enfants juifs, qui leur permettait de partir en Palestine. »

A cette époque-là, Zuzana a quinze ans, sa mère décide de l’envoyer à Prague, alors que dans sa ville d’origine, Jihlava, l’atmosphère est délétère, et les conditions de vie au quotidien pour les Juifs deviennent invivables. Judita Matyášová :

« Au début, le sionisme était considéré en pays tchèques plutôt comme un mouvement de jeunesse, sportif, avec un accent sur la culture juive. Un peu comme les Sokols en fait... Mais au vu de l’évolution de la situation en Tchécoslovaquie, occupée, il a fallu beaucoup plus préparer les enfants à partir pour la Palestine. C’est un cours préparatoire de ce genre que Zuzana a fréquenté à Prague. Elle a commencé en 1939. Sa mère n’a pu envoyer qu’elle parce que le nombre de places étaient limité. A Prague, il y avait en tout 70 enfants de toute la République tchèque. La moitié venait des Sudètes, l’autre moitié de Prague et des environs. »

Seuls les plus chanceux, donc, bénéficient de ces cours qui vont leur sauver la vie. L’aspect financier joue un rôle aussi : les cours sont chers, ce qui restreint encore plus les possibilités d’y participer. Une partie de l’argent déboursé par les parents servira en effet à payer les nazis, afin que ceux-ci permettent au groupe de jeunes de partir. En attendant, avant leur départ, les cours se déroulent près de l’ancienne gare de Těšnov, aujourd’hui disparue. C’est le mouvement sioniste qui organise à la fois les cours et l’apprentissage pratique. En 1939, les enfants sont envoyés dans les montagnes Orlické hory, dans un petit village :

« Là, ils apprennent le travail agricole et aident les fermiers... La plupart de ces enfants venaient de la ville, c’était pour eux quelque chose de nouveau de travailler aux champs. Mais la plupart ont aimé cette étape. Ils avaient entre 14 et 16 ans, c’était la condition de base pour pouvoir partir en Palestine, de même qu’une préparation au travail agricole. »

Les jeunes Juifs tchèques au Danemark,  photo: sophieschoice.webgarden.cz
La situation intérieure et internationale devient toutefois de plus en plus compliquée. En plus de l’occupation de la Tchécoslovaquie par les nazis, la guerre éclate et il est temps, pour les enfants qui suivent les cours sionistes de partir. Le mouvement Youth Aliyah, qui œuvre alors pour faire sortir des Juifs de l’Allemagne nazie, demande au Danemark d’accueillir des enfants. Le gouvernement finit par accepter d’en héberger environ 600 venus de toute l’Europe, dont les jeunes venus de Tchécoslovaquie. Parmi eux, Zuzana et son futur époux Arnošt Lederer. Au Danemark, ils sont pris en charge par la Ligue féminine pour la paix et la liberté qui répartit les enfants dans des familles. Judita Matyášová :

« Parler de ‘famille’ reste toutefois une notion très relative. En effet, d’après ce que j’ai pu lire, ou bien encore dans le cas concret de Zuzana, celle-ci a été placée dans une famille sans enfants et elle a été victime d’attouchements sexuels de la part du mari, dès son arrivée. Donc cet accueil dans les familles était loin d’être idyllique dans beaucoup de cas. Zuzana pour sa part a demandé à être transférée dans une autre famille. Dans le cas des garçons, ils ont en général été envoyés travailler à la ferme tandis que les filles sont restées dans les villes et aidaient aux travaux ménagers des familles. Les garçons, eux, travaillaient sans honoraires bien entendu ! »

Zuzana  (à gauche) avec des amies au Danemark,  photo: sophieschoice.webgarden.cz
Si le départ de la Tchécoslovaquie les sauve d’une mort certaine, les jeunes se retrouvent toutefois dans le rôle de main d’œuvre pas chère au Danemark.

En 1940, le Danemark est envahi et occupé par les armées du IIIe Reich, mais la présence des nazis est plus « prudente » sur place, en tout cas, la pression n’est pas aussi radicale que dans d’autres territoires occupés. Les enfants reçoivent toutefois une lettre de la Ligue féminine, les enjoignant à se tenir prêts à partir à n’importe quel moment. Trois, quatre enfants de Tchécoslovaquie parviennent encore à partir pour la Palestine, les autres sont envoyés dans des endroits isolés au Danemark, loin du danger que représente la ville. En 1943, la police danoise les prévient qu’ils doivent partir en Suède :

Arnošt  (au milieu),  futur mari de Zuzana avec des amis au Danemark,  photo: sophieschoice.webgarden.cz
« Dans le cas de Zuzana et de son futur mari Arnošt, celui-ci avait une soeur qui était au Danemark, enceinte. Ils ont fui tous les trois, alors que la soeur d’Arnošt en était au neuvième mois, grâce à des bâteaux de pêcheurs ! Ils ont donné tout leur argent pour qu’un pêcheur les cache dans un local à poissons. Au lieu de se rendre en Suède en 30 minutes, le trajet a duré des heures, car le bateau a fait tout pour éviter les patrouilles. En partant ainsi pour la Suède, ils ont perdu tout contact avec ceux qu’ils considéraient comme leur ‘famille’ : une dizaine de camarades issus du groupe qui ont remplacé en quelque sorte les familles qui étaient loin et dont ils n’avaient aucune nouvelle. »

Zuzana au Danemark,  photo: sophieschoice.webgarden.cz
Après la guerre, Arnošt et Zuzana retournent en Tchécoslovaquie. Là, ils découvrent l’ampleur du massacre : tous les membres de leurs familles ont disparu dans les chambres à gaz et les deux jeunes gens n’ont plus rien. Ils décident donc de retourner au Danemark où malgré tout ils ont forgé des attaches. Le putsch communiste de 1948 les en empêchera et ils resteront en Tchécoslovaquie.

Aujourd’hui Judita Matyášová s’efforce de collecter tout ce qu’elle peut sur ces cours sionistes qui ont sauvé la vie de dizaines d’enfants juifs. Son objectif ? Ecrire un livre, monter une exposition, mais aussi faire en sorte que Zuzana et Arnošt puissent, peut-être, retrouver certains de leurs amis perdus de vue dans le tourbillon de la guerre et des fuites.

Judita Matyášová a créé un site web grâce auquel elle veut faire connaître l’histoire de Zuzana et celle de tous ces jeunes, une histoire faite de courage et d’abnégation. http://sophieschoice.webgarden.cz/