Le 28 février 1882, l'Université Charles de Prague est divisée en deux entités : tchèque et allemande

Photo: Archives de Radio Prague

132 ans se seront écoulés, le 28 février, depuis la division de l'Université Charles de Prague appelée alors Carolo-Ferdinandea en deux entités - tchèque et allemande entièrement indépendantes l'une de l'autre. Cette division est une victoire des efforts du mouvement de Réveil national visant à émanciper la langue tchèque au plus haut niveau d'instruction. Elle marque, en même temps, un retour à la situation d'avant 1654, date à laquelle l'empereur Ferdinand III avait réuni l'Académie jésuite à l'Université pragoise qui perdait ainsi les derniers privilèges garantis par la Bulle d'or fondatrice publiée en 1348 par Charles IV.

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En effet, c'est à la mémoire de l'empereur germanique et roi de Bohême Ferdinand III que l'Université praguoise porte son nom de 1654 à 1920. En 1654, Ferdinand décide de joindre l'Académie jésuite ouverte au Clémentinum dans le cadre de la Contre-Réforme à l'Université praguoise. Le caractère utraquiste de cette dernière est intenable pour le pouvoir habsbourgeois. L'Université Carolo-Ferdinandea ainsi créée comporte quatre facultés : les facultés de droit et de médecine considérées comme séculières auront leur siège au Carolinum, comme on appelle les locaux historiques de la plus ancienne université d'Europe centrale, tandis que le Clémentinum, collège des Jésuites, abritera la faculté de théologie et de lettres. Milada Sekyrková de l'Institut d'histoire de l'Université Charles parle des langues enseignées dans cette université:

« Depuis le Moyen-âge, le latin est la première langue universitaire. Après 1780, il est remplacé par l'allemand introduit à la suite des réformes de l'empereur Joseph II. Ces réformes marquent une germanisation ainsi qu'une centralisation consistant entre autres dans le contrôle de l'enseignement universitaire. De plus en plus marginalisée, la langue tchèque n'est autorisée que dans deux facultés : dans celle de théologie, où la théologie pastorale est enseignée en langue tchèque pour que les sermons soient compréhensibles pour la population à la campagne, puis dans la faculté de médecine, dans le cadre des cours destinés aux sages-femmes. Dans toutes les autres facultés, l'allemand reste la langue officielle jusqu'en 1848, lorsque l'égalité en droit des langues tchèque et allemande est l’un des acquis de cette année révolutionnaire. »

Photo: Archives de l'Université Charles
Or l'égalité en droit des deux langues reste purement théorique : peu de pédagogues osent prononcer en tchèque leurs conférences, peu d'étudiants osent aller les écouter. L'absence de terminologie dans certaines branches dont le droit joue aussi un rôle, mais ce sont avant tout des pressions politiques qui influent sur le climat dans les facultés, comme le souligne Milada Sekyrková pour laquelle un changement ne tardera pourtant pas de se produire :

« Avec l'introduction du système constitutionnel dans les années 1860, le climat devient plus favorable à l'émancipation des langues nationales qui commencent à se développer non seulement en Bohême mais aussi dans d'autres parties de la monarchie habsbourgeoise : à Cracovie et à Lvov, les conférences sont prononcées en langue polonaise, et le hongrois retentit dans certaines écoles supérieures hongroises. Pour ce qui est de la Bohême, les conférences et les cours sont organisés parallèlement en allemand et en tchèque. L’Ecole supérieure polytechnique de Prague a même devancé l'Université praguoise de plus de dix ans, en organisant des études parallèles en allemand et en tchèque. »

A l'époque du Réveil national, les pressions sur la nomination de professeurs enseignant dans la langue tchèque s'intensifient. Un professorat tchèque est progressivement mis en place à l'Université praguoise. En 1863, sur les 187 cours donnés, 22 le sont en tchèque, le reste en allemand. L'égalité en droit est obtenue le 28 février 1882. Que s'est-il passé exactement, ce jour-là ?

Le diplôme universitaire de l'année 1905,  photo: Celsius,  CC BY-SA 3.0 Unported
« Le 28 février 1882 a été promulguée la loi selon laquelle l'Université Carolo-Ferdinandea serait divisée en deux entités, l'une reste allemande, l'autre commence l'enseignement en tchèque, les deux égales en droit et totalement indépendantes l'une de l'autre. La répartition des chaires est laissée à la libre décision des professeurs qui ont aussi le choix entre telle ou telle université. Au fil du temps, le nombre de pédagogues et étudiants préférant l'enseignement en tchèque augmente, alors que du côté allemand, il décline. En 1909, les étudiants tchèques sont au nombre de 4 300 contre 1800 étudiants de l'Université allemande. Cette dernière perd progressivement son prestige, devenant un établissement local, provincial, alors que l'Université tchèque retrouve son rayonnement pour être à nouveau un véritable centre scientifique et culturel de la monarchie, puis de la Tchécoslovaquie. »

Pendant un certain temps, les deux universités continuent de s'appeller Carolo-Ferdinandea, et cela jusqu'à la création de la Tchécoslovaquie indépendante, en 1918. L'université tchèque adopte alors spontanément le nom de son fondateur, Charles, alors que la partie allemande s'appellera dorénavant l'Université allemande de Prague. Les deux continueront de travailler en parallèle jusque 1939. Le 17 novembre 1939, l'Université Charles est fermée, ainsi que les autres institutions de l'enseignement supérieur tchèque dans le pays, à la suite de manifestations contre l'occupation nazie. Certains étudiants ainsi que des professeurs sont envoyés en camp de concentration, les leaders estudiantins exécutés. Par contre, l'Université allemande de Prague est promue université du Troisième Reich et continuera ses activités jusqu'en 1945.

Il n'empêche que plusieurs personnalités reconnues sont liées à l'ère d'avant-guerre de l'Université allemande de Prague, ainsi que le rappelle Milada Sekyrková :

Albert Einstein,  photo: ČT24
« Il convient de citer notamment Ernst Mach, physicien et philosophe autrichien qui a obtenu en 1867 la chaire de physique expérimentale de l’Université allemande de Prague. Autre nom qui témoigne de fait que cette université devienne en quelque sorte un lieu de « transit » après sa division : Albert Einstein, physicien et prix Nobel. Professeur non-titulaire de l'Université de Zurich, Einstein passe 16 mois à Prague. Entre le printemps 1911 et l'été 1912, il travaille comme professeur de physique à l'Université allemande. »

Tomáš Garrigue Masaryk
Du côté tchèque de l'université divisée, l'historien Václav Vladivoj Tomek est son premier recteur, et Tomáš Garrigue Masaryk est son premier professeur de philosophie. Milada Sekyrková raconte :

« Tomáš Garrigue Masaryk est appelé aussitôt après la division de l'Université Carolo-Ferdinandea à enseigner à la faculté des lettres. Habilité à Vienne, il arrive à Prague en tant que maître de conférences, pour être nommé peu après professeur ordinaire de philosophie. On peut dire que la division de l'université en deux entités, en 1882, a contribué à l'invitation de Masaryk à Prague. »

Nikola Tesla
Parmi les autres personnalités renommées ayant fréquenté ou enseigné à l'Université Charles, on ne peut pas omettre Jan Hus, réformateur de l'Eglise et son premier recteur, Jan Jessenius, médecin qui a pratiqué en 1600 la première autopsie en Europe centrale, Jan Jánský, médecin et découvreur des groupes sanguin, Nikola Tesla, ingénieur et inventeur ayant principalement œuvré dans le domaine de l’électricité, Miroslav Tyrš, fondateur du mouvement Sokol et indissociable du Réveil national de la fin du XIXe siècle, Jaroslav Heyrovský, chimiste et premier prix Nobel tchèque, ou encore Edvard Beneš, homme politique et second président de la Tchécoslovaquie.