L’archéologie tchèque à la pointe des recherches sur le Néolithique

Ivan Pavlů, photo: Magdalena Hrozínková

En septembre dernier, le chercheur tchèque Ivan Pavlů est devenu le premier archéologue originaire d’un pays d’Europe centrale et orientale à recevoir le prestigieux prix European Archaelogical Heritage Prize. Il lui a été attribué par l’Association européenne des archéologues (EAA) pour son étude de sites néolithiques en République tchèque. Au micro de Radio Prague, Ivan Pavlů, 81 ans, a évoqué les fouilles de grande envergure menées dans les années 1950-1970 sur le célèbre site tchèque de Bylany, ainsi que les récentes découvertes archéologiques datant de la préhistoire.

Ivan Pavlů,  photo: Magdalena Hrozínková
« J’ai fait mes études primaires et secondaires à Ostrava, en Moravie du Nord. Je n’étais pas spécialement attiré par l’histoire, mais j’aimais beaucoup les mathématiques, car nous avions un bon professeur de maths. Un moment, je voulais me consacrer à l’astronomie ou à la biologie. Je suis arrivé à l’archéologie par la littérature. J’ai aussi été marqué par les témoignages des explorateurs Miroslav Zikmund et Jiří Hanzelka qui ont popularisé leurs voyages à travers le monde. A l’époque de ma jeunesse, où il était très difficile de se rendre à l’étranger, le métier d’archéologue semblait être une opportunité pour voyager. »

Devenu un des plus grands spécialistes tchèques du Néolithique, Ivan Pavlů était plutôt attiré, à ses débuts, par l’étude des sites archéologiques situés hors d’Europe. Un objectif difficile à réaliser dans la Tchécoslovaquie communiste…

« Les archéologues tchèques se concentrent sur l’Europe centrale, ils n’ont pas l’opportunité d’aller ailleurs. »

« Lorsque j’ai passé le concours d’entrée à l’Université Charles à Prague, j’ai dit devant la commission que je voulais me consacrer à l’archéologie latino-américaine. On m’a répondu que c’était impossible, que cela ne se faisait pas en Tchécoslovaquie. La situation n’a pas vraiment évolué depuis. A part les chercheurs tchèques qui travaillent de manière continue et avec beaucoup de succès sur des sites en Egypte, les archéologues tchèques se concentrent sur l’Europe centrale, ils n’ont pas l’opportunité d’aller ailleurs, même si, actuellement, la nouvelle génération d’archéologues d’intéresse de plus en plus aux sites situés hors d’Europe. Mais nous restons limités par les moyens financiers, c’est le principal problème auquel nous sommes confrontés. »

Le jeune archéologue Ivan Pavlů allait devenir un des collaborateurs les plus proches de Bohumil Soudský, une des plus grandes figures des archéologies tchèque et française au XXe siècle. Soudský a notamment mené des fouilles sur le site néolithique de Bylany, en Bohême centrale, avant son arrivée en France, en 1971, où il allait fonder l’enseignement de la protohistoire à l’Université de Paris I. En participant aux fouilles de Bylany, à partir des années 1960, Ivan Pavlů a pu observer de près le travail de Bohumil Soudský. Celui-ci a appliqué, lors des fouilles, des méthodes nouvelles et originales. Ivan Pavlů :

« Ce qui distinguait Bohumil Soudský des autres chercheurs de sa génération, c’était son approche de l’archéologie. Il a passé la Deuxième Guerre mondiale dans un monastère à Prague où, en tant que séminariste, il a étudié les langues du Proche-Orient, le sumérien, l’akkadien etc. Après la guerre, il a pu étudier l’archéologie à Paris, notamment l’archéologie du Proche-Orient qu’il comparait à celle d’Europe centrale. Passionné par la discipline, Soudský avait l’idée de mener des fouilles et de traiter les découvertes autrement que ses professeurs. »

Dirigeant des recherches sur le site néolithique de Bylany, situé près de Kutná Hora, à environ 80 km à l’est de Prague, Bohumil Soudský a l’opportunité d’appliquer une approche mathématique, quantitative en traitant les objets trouvés. Une approche inédite, contestée par beaucoup, mais qui convient bien à Ivan Pavlů :

Photo: Academia
« Contrairement à ses prédécesseurs, Soudský appuyait ses recherches sur des nombres précis d’objets trouvés. Il les a traités systématiquement, à l’aide de méthodes statistiques, avec des fiches perforées dites mécanographiques. Ces données précises lui permettaient de placer ces objets dans le temps et dans l’espace. C’était une méthode informatique appliquée par Soudský bien avant l’apparition des premiers ordinateurs. Moi qui avais voulu faire des études de maths, j’ai été fasciné par cette méthode quantitative qui est aujourd’hui couramment appliquée dans les sciences naturelles et humaines. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore, elle est critiquée par certains archéologues. Ils trouvent qu’elle déshumanise la discipline. Dans les années 1960, la méthode de Soudský a été largement diffusée lors des congrès internationaux. A cette même époque, elle a pris de l’importance avec de grandes fouilles menées par exemple au Château de Prague ou à Most. Du coup, les archéologues se sont retrouvés devant des centaines de milliers de morceaux de céramique et la méthode de Soudský leur a permis de les décrire et classer. »

Sur le site de Bylany, près de 200 constructions et 200 000 pièces de céramique ont été trouvées sur un terrain de 7 hectares. Bohumil Soudský et ses collaborateurs y ont appliqué une technique de fouilles innovante (et choquante pour beaucoup) : des engins mécaniques, des scrapeurs y ont été utilisés pour que les archéologues puissent accéder aux couches profondes de la terre où se cachaient les traces de la civilisation dite de la céramique linéaire. Des fouilles y étaient effectuées pendant toute l’année, par des équipes de chercheurs qui habitaient sur place. Ivan Pavlů qui a conduit des recherches à Bylany à la fin des années 1970 explique :

Nous sommes restés pendant toute l’année sur le site de Bylany

Photo: Site officiel de Bylany / Archeologický ústav AV ČR
« Le fait de rester sur place et de traiter le matériel trouvé sur le site a grandement simplifié notre travail. Avant cela, les archéologues passaient quinze jours sur les sites, puis ils apportaient tous les objets à Prague, à l’Institut d’archéologie, pour les nettoyer et les traiter. Tandis qu’à Bylany, nous étions, à la fin des années 1960, une vingtaine de personnes à y travailler pendant toute l’année. Nous avions tous les équipements sur place, des laboratoires, des ateliers… Ces installations y existent encore aujourd’hui, mais depuis 2004, elles servent à des fouilles archéologiques préventives réalisées dans la région. »

Ces dernières années, de nombreuses découvertes archéologiques datant de la préhistoire ont été faites en République tchèque, dont un puits en bois vieux de 7 000 ans, trouvé dans la région de Pardubice. Ivan Pavlů:

« Ce sont des trouvailles assez exceptionnelles qui étaient plutôt rares à l’époque où je travaillais à Bylany. Le premier puits préhistorique a été découvert en 1970 à Mohelnice, en Moravie. Depuis, on en a trouvé plusieurs en Tchéquie, mais aussi en Allemagne, notamment ces dernières années. Ce qui est fascinant, c’est la manière dont ils étaient taillés en bois. En Moravie, les archéologues ont aussi trouvé les restes des ponts en bois qui enjambaient la rivière Morava, mais ils datent du Moyen Âge. En ce qui concerne les vestiges du Néolithique, ce qui est particulièrement intéressant, ce sont les restes de nécropoles. Or, nous avons cherché des tombes pendant trente ans sur le site de Bylany, mais nous n’en avons pas trouvé… C’est un mystère. Des nécropoles ont été récemment trouvées à Prague, mais elles sont très rares et nous ne savons pas pourquoi. Sur plusieurs centaines de sites préhistoriques qui existent sur le territoire tchèque, les archéologues ont trouvé des dizaines de nécropoles seulement, c’est un mystère. »