L'affaire des frères Masin

Ctirad Masin

Le 25 février dernier, 55 ans se sont écoulés depuis le putsch communiste en Tchécoslovaquie, en 1948. Ces chapitres de l'histoire seront consacrés aux frères Ctirad et Josef Masin, fils du colonel Masin exécuté par les nazis pour ses activités dans la résistance. Suivant l'exemple de leur père, les frères Masin se sont opposés, armes en mains, au régime totalitaire en Tchécoslovaquie. En 1953, ils ont réussi à se frayer un passage pour l'Occident. Depuis, ils vivent aux Etats-Unis. Durant leur fuite, ils ont tué cinq personnes : deux Tchèques, lors de leur tentative d'arrestation, ainsi que trois soldats allemands qui les poursuivaient lors de leur fuite dans le secteur américain de Berlin.

En 1998, leur acte a été proclamé prescrit. Ce verdict ne dit cependant rien sur la culpabilité ou l'innocence des frères Masin. Il ne dit pas s'ils sont considérés comme des combattants pour la liberté qui mériteraient de l'estime ou comme des criminels. Il est cependant un fait acquis : leur affaire divise toujours autant la société tchèque et les frères Masin hésitent à revenir dans leur pays natal.

Qu'est-ce qui s'est donc passé en ce mois d'octobre 1953? Ils étaient cinq, Ctirad et Josef Masin, Milan Paumer, Vaclav Sveda et Zbynek Janata. Tous convaincus de leur devoir de lutter pour la liberté. Avant leur fuite en Occident, ils se procurent des armes, des explosifs, de l'argent... Leur groupe était à l'origine de diverses activités de sabotage lors desquelles il y avait des blessés et des morts. En octobre 1953, le groupe Masin franchit la frontière allemande. Leur cible - Berlin-Ouest. Des policiers allemands sont sur leur piste. Trois d'entre eux sont tués par les frères Masin sur leur chemin vers la liberté. Du secteur américain de Berlin-Ouest, ils continuent vers les Etats-Unis. Deux autres membres du groupe en fuite, Sveda et Janata, sont, quant à eux, arrêtés et condamnés à mort.

A Prague, en effet, les communistes prennent une revanche cruelle. On procède à des arrestations parmi les proches et les amis du groupe Masin. Plus de vingt personnes sont arrêtées et condamnées à de lourdes peines. Trois autres sont condamnées à la peine capitale. La mère des frères Masin meurt, trois ans après son emprisonnement, dans la prison de Pankrac. Elle a été enterrée dans une fosse commune, au cimetière de Dablice. Aucune inscription ne devait marquer le lieu où elle a été inhumée.

De la vengeance du régime, la soeur des Masin, Zdena, en sait aussi quelque chose. Ce n'est qu'après 1989, quand s'ouvrent les dossiers de la StB (police secrète communiste), qu'elle comprend pourquoi la police l'avait si tôt relâchée de prison. Par son intermédiaire, la StB espérait s'approcher de ses frères exilés. En 1969, courte période de détente politique relative, Zdena Masinova a l'occasion de parler brièvement, à Copenhague, à son frère, Josef. Ce dernier veut qu'elle parte, elle aussi. Elle refuse. Elle ne peut abandonner sa grand-mère, âgée de 84 ans. A la question de savoir comment elle considère l'acte de ses frères, avec un recul d'un demi-siècle, Zdena Masinova répond: « C'était une période difficile et il a fallu beaucoup de courage pour résister. La plupart n'ont pas réussi, par crainte pour les enfants et pour l'emploi. D'accord, mais surtout qu'on ne fasse pas comme si rien ne s'était passé », souligne-t-elle. A l'objection que cinq personnes sont mortes lors de la fuite de ses frères, elle donne une réponse univoque: « C'était la guerre. La première chose que les communistes ont fait, a été de s'armer et de créer leurs propres lois. Mes frères n'ont fait qu'employer les mêmes moyens », dit-elle.

Il ressort des documents secrets qu'une véritable chasse aux dits ennemis du régime a été déclenchée après la fuite des Masin. Plus de 120 personnes ont été durement persécutées. Dans le cas des frères Masin, de même que dans des centaines d'autres, le parti communiste de Tchécoslovaquie a abusé de son pouvoir. Les affaires n'étaient pas traitées devant les enquêteurs, les procureurs et les juges, mais au secrétariat et au bureau politique du parti. C'est là que les accusations, les plaintes et les jugements se décidaient. La peine capitale pour deux membres du groupe - Vaclav Sveda et Zbynek Janata, a été approuvée par une résolution du bureau politique du CC du PCT. Ce même organe a rejetté la demande de gracier un troisième membre, Ctirad Novak, condamné à mort.

Aujourd'hui, probablement plus personne ne sera traduit devant le tribunal dans l'affaire Masin. A ce jour, aucune plainte n'a été déposée. Les principaux acteurs de la chasse aux adversaires du régime ne sont plus en vie. En 1995, le parquet général de Prague a proclamé l'affaire des Masin prescrite. Le verdict a pris force de loi en 1998. Le porte-parole de la partie publique, Martin Omelka, a été très prudent dans sa réponse à la question de savoir si leur acte était légitime: la question n'est pas dans les compétences du parquet. D'un avis opposé sont les communistes et les proches des victimes du groupe Masin: le fait que l'affaire soit aujourd'hui prescrite ne change rien à leur conviction que les actes commis par les frères n'étaient rien moins d'autre que des assassinats.

N'en déplaise à certains, l'acte des frères Masin est prescrit. Le Bureau de documentation et d'enquête sur les crimes du communisme est univoque: Les frères Masin peuvent revenir en République tchèque sans craintes quelconques. La décision sur la prescription de l'acte des frères Masin a mis un terme définitif à un cercle vicieux vieux de plus de 40 ans. Les frères hésitent pourtant à revenir dans leur pays natal. Une certaine amertume est ressentie par leur soeur, Zdena. Elle comprend que l'affaire divise la société. Ce qu'elle ne comprend pas, c'est que les anciens fonctionnaires communistes et les anciens officiers de la StB ne soient pas poursuivis pour leurs actes.