La Tchécoslovaquie championne d’Europe 1976, on pouvait mourir tranquille

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Le 20 juin 1976, il y a quarante ans et neuf jours, Antonín Panenka, d’une petite pichenette insolente entrée dans la légende du pénalty, permettait à la Tchécoslovaquie de devenir championne d’Europe et d’inscrire ainsi la première ligne à son palmarès. C’est cet exploit - car il faut bien parler d’exploit quand on bat en demi-finale les Pays-Bas de Johan Cruyff et en finale l’Allemagne de l’Ouest de Franz Beckenbauer, déjà à l’époque championne du monde -, que nous vous proposons de (re)découvrir dans cette rubrique historique.

La Tchécoslovaquie, l’outsider

La sélection tchèque de football, menée par Petr Čech et un Tomáš Rosický toujours affaibli par les blessures, a réalisé un Euro 2016 en France pour le moins médiocre, avec une élimination dès la phase de poules. D’aucuns espéraient pourtant voir les Tchèques suivre le glorieux exemple de leurs aînés, finalistes en Angleterre en 1996 et, surtout donc, champions d’Europe avec la Tchécoslovaquie à Belgrade en 1976. Il faut croire que cette année 1976 avait quelque chose de magique pour le football : au printemps, les Verts de Saint-Etienne échouaient en finale de la Coupe des clubs champions européens face au Bayern Munich et ses poteaux carrés, tandis que les Tangos du Stade Lavallois célébraient leur première montée en division 1, l’élite du football français.

A l’approche de la 5e édition du Championnat d'Europe de football, la Tchécoslovaquie, menée par le coach Václav Ježek, un habitué des bancs de touche depuis son plus jeune âge, est loin de figurer parmi les favoris. Même s’il n’y a l’époque que quatre équipes en phase finale, contre vingt-quatre aujourd’hui, les chances tchécoslovaques sont minimes. Car il faudra tout de même se coltiner la Yougoslavie, pays hôte et jamais mauvais ballon au pied, les Pays-Bas du « football total » de la génération Cruyff, finalistes malheureux au Mondial ouest-allemand de 1974, et l’Allemagne de l’Ouest de Beckenbauer, championne du monde et d'Europe en titre et qui, de toute façon, gagne tout le temps. Joueur emblématique du Dukla Prague, le gardien de but tchécoslovaque Ivo Viktor le reconnaît sans fard, son équipe ne partait pas gagnante :

« Nous pensions terminer à la quatrième et dernière place… Les plus optimistes tablaient sur la troisième place, éventuellement sur la deuxième. Nous avons donc commencé le tournoi calmement et cela nous a réussi jusqu’à la fin. »

Antonín Panenka,  photo: ČT
Car voilà, l’ambiance au sein de l’équipe est bonne, tous le disent rétroactivement, et cela n’était pas forcément quelque chose d’évident dans un groupe où cohabitent parfois avec quelques difficultés des Tchèques et des Slovaques. C’est d’ailleurs ce que raconte très bien Antonín Panenka, la figure mythique du Bohemians Prague, dans un reportage diffusé à la Télévision tchèque :

« Il régnait une vraie sérénité, un vrai esprit de solidarité. Il y a toujours eu une petite distance entre Tchèques et Slovaques, par exemple durant les préparations ou à table pour les repas : les Tchèques d’un côté, les Slovaques de l’autre. Mais c’était vraiment le contraire en 1976. C’était un vrai groupe, qu’on soit tchèque ou slovaque, cimenté par Tonda Ondruš (Anton Ondruš, ndlr). C’était une personnalité leader de cette équipe. Donc l’ambiance était vraiment super, il n’y avait pas de différences entre les Tchèques et les Slovaques. Je crois que c’était la même chose sur le terrain et que cela s’est vu au niveau des résultats. »

Car les Tchécoslovaques, dont l’histoire de la sélection se résume alors à deux finales de Coupe du monde perdues, en 1934 et en 1962, ne sont pas non plus des peintres. Ils l’ont démontré lors des éliminatoires où ils ont chèrement validé leur ticket pour le Championnat d’Europe.

Le footballeurs tchécoslovaques,  photo: ČT sport
Durant la phase de poules, entre octobre 1974 et décembre 1975, la Reprezentace est au coude-à-coude avec l’Angleterre et sort vainqueur de la confrontation avec un point d’avance. Il reste un barrage aller-retour, une sorte de quarts de finale, pour pouvoir aller disputer l’Euro. La Tchécoslovaquie tombe sur un gros morceau : l’URSS. Mais les Soviétiques sont impuissants face à leurs camarades socialistes tchécoslovaques, qui l’emportent 4 à 2 (2-0 à l’aller, 2-2 au retour), grâce notamment à trois buts inscrits par Jozef Móder.

L’outsider face aux Pays-Bas de Cruyff et à l’Allemagne de Beckenbauer

En Yougoslavie, pays qui a été choisi pour organiser la compétition, les débats vont être plus équilibrés qu’on pouvait s’y attendre : aucun des quatre matchs de la phase finale ne finira dans le temps réglementaire. Au tirage au sort, la Tchécoslovaquie hérite en demi-finale des Pays-Bas, sélection dont le jeu fait alors l’admiration de par le vaste monde.

Karol Dobiaš
A Zagreb, où la rencontre a lieu le 16 juin 1976 devant plus de 30 000 spectateurs, l’homme du match est sans conteste le capitaine tchécoslovaque Anton Ondruš. Le défenseur libère en effet les siens à la 19e minute d’une superbe tête consécutive à un coup franc. En deuxième mi-temps, il a l’élégance de remettre les deux équipes à égalité en inscrivant un but contre son camp d’une jolie mais malheureuse reprise de volée. C’est sans conséquence, car les Tchécoslovaques inscrivent deux nouveaux buts durant les prolongations et filent vers la finale. A partir de là, tout devient possible comme l’indique le défenseur Karol Dobiaš, alors pilier du FC Spartak Trnava, l’un des meilleurs clubs de Tchécoslovaquie :

« Nous sommes allés en Yougoslavie en tant qu’outsiders. La finale aurait pu opposer les Pays-Bas à l’Allemagne. Mais quand nous avons battu les Néerlandais, nous nous sommes rendu compte que la victoire dépendait surtout de la forme des joueurs et d’une certaine chance. Si nous avions des occasions, il fallait les concrétiser et inscrire des buts. »

Franz Beckenbauer,  photo: Bundesarchiv,  Bild 183-N0622-0035 / CC-BY-SA 3.0 Germany
Le calcul de Karol Dobiaš est imparable et cette stratégie va se révéler efficace face aux Allemands de l’Ouest, vainqueurs en demi-finale des Yougoslaves après prolongations (4 -2). Au stade de l’Etoile rouge à Belgrade, quelque 30 000 spectateurs sont là aussi réunis pour assister à la finale. Le capitaine allemand Franz Beckenbauer fête sa centième sélection, l’une de ses dernières. La partie tourne vite à l’avantage de la Reprezentace. Rien de tel que d’écouter un extrait du résumé du match par la télévision français pour revivre la partie ; pour visualiser les buts il faut évidemment un peu d’imagination :

« Voici les buts : des buts superbes ; le premier inscrit dès la 8e minute par le Tchécoslovaque Svehlik après une première parade de Maier. Le deuxième est aussi inscrit par un Tchécoslovaque, Karol Dobiaš, après 25 minutes de jeu. Deux à zéro pour la Tchécoslovaquie : on croit que c’est perdu pour les Allemands mais comme d’habitude les champions du monde redressent une situation désespérée : un but par Dieter Müller, le jeune homonyme du célèbre Müller (Gerd Müller, ndlr), un deuxième but par Hölzenbein à quelques secondes de la fin du match. »

Les spectateurs en ont pour leurs dinars mais aucune des deux équipes ne trouvent la solution pendant les prolongations. Tout va donc se jouer aux tirs au but…

La séance des tirs au but ou quand Antonín Panenka entre dans la légende

Jusque dans les années 1960, c’est généralement le système du tirage au sort, forcément injuste, qui est privilégié pour départager deux équipes n’ayant pas réussi à faire la différence durant le match. La séance des tirs au but apparaît en 1970 et est progressivement adoptée dans toutes les compétitions. Mais au championnat yougoslave de 1976, les joueurs tchécoslovaques et ouest-allemands disputent la première finale internationale de l’histoire qui doit se décider sur cette terrifiante épreuve.

Nehoda,  Masopust,  Viktor en 1974,  photo: Verhoeff,  Bert / Anefo,  CC BY-SA 3.0 Netherlands
Les Tchécoslovaques, qui lancent les hostilités, réalisent un sans faute. Masný, Nehoda, puis Ondruš, trompent chacun le portier allemand Sepp Maier. Côté allemand, Bonhof, Flohe et Bongartz leur répondent tour à tour sans trembler : 3 à 3. Ladislav Jurkemik donne alors l’avantage à la Reprezentace : 4 à 3. Vient alors le tour d’Uli Hoeness, l’un des meilleurs attaquants allemands de sa génération, qui se dirige depuis le rond central vers le point de pénalty pour poser tranquillement son ballon et s’apprêter à tirer… Il rate…

Le commentateur slovaque Karol Polák peut laisser une première fois éclater sa joie à l’antenne : Hoeness a réalisé un magnifique drop et son ballon a pris le chemin de la lune plutôt que celui des filets. Si le dernier tireur tchécoslovaque marque, la Reprezentace est pour la première fois championne d’Europe. Ce dernier tireur, c’est évidemment Antonin Panenka… Il marque…

Avec plus de tenu qu’un commentateur islandais, Karol Polák célèbre la victoire de la Tchécoslovaquie (2-2 ; 5-3 tab). Après une longue course d’élan, Antonin Panenka a tiré son penalty en douceur du bout du pied. Le ballon s’est envolé dans les airs, lentement, avant de retomber au milieu du but, trompant le gardien qui avait anticipé et plongé sur sa gauche. C’est « la pichenette de Vršovice », du nom du quartier où joue le Bohemians Prague. En français et dans d’autres langues, cette façon de tirer un pénalty sera désormais appelée « panenka ».

Antonín Panenka n’a pas vraiment surpris ses coéquipiers, qui le savaient coutumier de diverses expérimentations sur pénalty, notamment dans le championnat national avec le Bohemians. En fait, cela fait au moins deux ans que le milieu de terrain mûrit son geste, qui acquiert à Belgrade une exposition internationale. Aux médias qui l’interrogent désormais régulièrement sur son célèbre coup de pied, il explique :

« J’ai toujours essayé de joueur pour le plaisir des spectateurs. Il faut dire que ce but a marqué les esprits bien plus que tous mes autres buts. Ce tir au but était spécial dans le sens où il a été tiré différemment par rapport à la façon dont on avait jusqu’alors l’habitude de tirer les pénaltys. En fait, je suis en quelque sorte le père d’une façon un peu différente de penser le tir au but et évidemment de ce geste technique en particulier. Et puis je suis aussi content que d’autres joueurs dans le monde essayent de me copier. Cette façon de penser continue de fonctionner. »

Au retour de l’équipe victorieuse en Tchécoslovaquie, une foule importante accueille les joueurs pour les féliciter. Antonín Panenka raconte qu’il y avait même là des grands-mères, qui, dit-il, « n’y comprenaient certainement rien au foot mais qui étaient tout de même heureuses ».