Journée porte ouverte pour l’hôtel des Invalides à Prague

L’hôtel des Invalides, photo: Leopold Sulovský

Inspiré par la construction du palais des Invalides à Paris, édifié en 1671, Prague s’est doté, au début du XVIIIe siècle, d’un établissement semblable pour y accueillir des soldats blessés. Contrairement à Paris, le monumental complexe baroque, tout à fait particulier à l’échelle de Prague, est aujourd’hui un lieu laissé à l’abandon, noyé au milieu d’un parc dans le quartier de Karlin. Ces derniers temps, le bâtiment sert de lieu de stockage d’archives du ministère de la Défense. Une partie des locaux qui n’est pas accessible au public a été ouverte exceptionnellement, pour une seule journée, samedi dernier, à l’occasion des Journées du patrimoine.

La construction de l’hôtel des Invalides à Prague est ordonnée en 1728 par l’empereur Charles VI, père de Marie-Thérèse. Son financement est assuré par la fondation Petr Strozzi, diplomate et général, grièvement blessé lors des combats contre les Turcs. Le comte Strozzi lègue toute sa fortune à la fondation des invalides et des mutilés militaires, pour « leur procurer une fin de vie digne, après de longues années de service fidèle dans les armées de la maison autrichienne. » En 1729, la fondation achète derrière les portes de Prague des terrains appelés hospitaliers, d’après leur propriétaire : l’ordre des hospitaliers du couvent Sainte-Agnès et plus tard l’ordre de Sainte-Croix à l’étoile rouge. Une première étude pour un nouveau complexe de bâtiments est réalisée par l’architecte à la cour viennoise Johann Bernard Fischer d’Erlach, constructeur du palais Clam-Gallas dans la Vieille-Ville pragoise. En 1730, le projet de construction du futur hôtel des Invalides est commandé à Kilian Ignaz Dientzenhofer, de la célèbre dynastie d’architectes baroques pragois. La pose de la première pierre a lieu le 15 août 1732 en présence de l’empereur Charles VI.

L’hôtel des Invalides accueille les mutilés de guerre et leurs familles pendant 200 ans, de 1737 jusqu’aux années 1930, où les locaux servent de dépôt de documentation de l’armée tchécoslovaque. Selon les plans d’origine, l’hôtel des Invalides était conçu pour quatre mille personnes. Faute de moyens, on ne réalise qu’un neuvième du projet, soit un seul complexe de forme carrée de 100 mètres sur 100 mètres, avec une cour intérieure. En 1854, 1404 personnes y sont hébergées, dont 17 officiers, 1115 soldats, 138 femmes et 134 enfants. L’établissement fonctionne sur le principe de l’autosuffisance, à partir de ses propres ressources et moyens, explique l’historien Pavel Heřmánek :

« C’était comme une ville dans la ville : il y avait un hôpital d’une capacité de plus de 130 lits, une école primaire, des militaires y vivaient avec leurs familles… »

L’hôtel des Invalides possédait ses propres marchés, une cantine, une pharmacie… sur les bords de la Vltava, un abattoir et un lavoir ont été construits à ses frais et un moulin y a également été acheté. Une cellule de prison pour vétérans indisciplinés qui se visitait, samedi dernier, tout comme une station d’épouillage et l’ancienne chapelle militaire, permettent de se faire une idée du mode de vie qui régnait à l’hôtel des Invalides dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

Josef Sudek,  photo: CTK
Un autre document précieux sont les clichés réalisés par l’un des habitants de l’hôtel des Invalides, le célèbre photographe Josef Sudek. Engagé volontaire sur le front italien, de 1915 à 1916, Josef Sudek perd sa main droite et se réfugie à Invalidovna où il saisit sur ses photos noir et blanc non seulement des vétérans de guerre, mais aussi les lieux discrets et ordinaires aujourd’hui disparus ou complètement changés depuis et qu’il est possible de redécouvrir grâce à lui.

En dépit des restrictions, le bâtisseur de l’hôtel des Invalides, Kilian Ignaz Dientzenhofer, a réalisé une œuvre monumentale du baroque tardif avec des éléments de classicisme, très moderne en son temps, équipée de conduites d’eau et de canalisation. Dans son cimetière militaire, on a édifié une chapelle classée monument culturel.

Depuis 1937, l’établissement a cessé d’accueillir les militaires mutilés et les vétérans de guerre, car un nouvel hôtel des Invalides a été érigé dans la ville de Hořice, avec également les moyens de la fondation Petr Strozzi. Le complexe laissé à l’abandon a été ravagé lors des inondations catastrophiques de l’été 2002 qui ont frappé Prague. Une trace à hauteur de 3 mètres témoigne du passage des eaux en crue de la Vltava dont le complexe ne s’est jamais remis jusqu’à présent, comme l’a observé lors de la visite l’historien Heřmánek :

« Les intérieurs nécessitent une intervention de restauration urgente, notamment ceux qui se trouvent au rez-de-chaussée… »

Son propriétaire actuel, le ministère de la Défense, a promis de réparer la façade de l’entrée principale du palais. D’ici 2014, les archives de l’armée qu’il est interdit de stocker dans des endroits menacés d’inondations, seront déménagées et l’hôtel des Invalides sera offert, en priorité, aux institutions de l’Etat. La Faculté des lettres qui est aujourd’hui dispersée sur une dizaine de sites, a déjà manifesté son intérêt pour aménager le complexe en campus universitaire.