Josef Topol, figure de proue du théâtre tchèque des années 1960

Josef Topol, photo: ČTK

Lundi soir est décédé à l’âge de 80 ans Josef Topol, un dramaturge tchèque des plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Poète dans l’âme, il réalise une grande partie de son œuvre dans les années 1960, une période faste pour le théâtre tchèque. Réduit au silence sous la normalisation qui fait suite à l’écrasement du Printemps de Prague, il est l’un des premiers signataires de la Charte 77, mais ne publiera plus que de façon confidentielle. Pour évoquer cette personnalité marquante du genre dramatique, Radio Prague s’est adressée à Katia Hala, une chercheuse francophone spécialiste de la science du théâtre.

Josef Topol,  photo: ČTK
« Je vous donne un avis qui court dans les écoles de théâtre où l’on forme les jeunes comédiens : cela reste le meilleur auteur dramatique de la seconde moitié du XXe siècle. C’est quelqu’un qui a une utilisation très soignée, très recherchée de la langue. Ce n’est pas tellement le cas dans la tradition tchèque. Il se démarque en cela et ses pièces sont toujours jouées. »

Les mots de Katia Hala rejoignent ceux du critique Zdeněk Hořínek, qui à la lecture du recueil Poésies, publié par Josef Topol en 1997, soulignait que « le grand dramaturge était aussi un grand poète ». Ses fibres de dramaturge et de poète remontent aux plus jeunes années de ce garçon né le 1er avril 1935 dans un village de Bohême centrale, au sud-est de Prague :

« Il était passionné de théâtre depuis tout jeune. Ce qui l’avait marqué, c’était la convivialité des paysans qui faisaient des veillées et les messes. C’étaient des rituels et des lieux de convivialité. Ce qui l’avait par ailleurs marqué, c’était les pièces de théâtre d’Emil František Burian. Burian est très important pour le milieu tchèque de cette époque. Dans les années 1960, il aura un grand impact sur presque tout le monde. »

Josef Topol,  photo: Slovník české literatury
D’une certaine façon Josef Topol arrive au bon moment. Après la guerre, est créée l'Ecole supérieure de théâtre à Prague, la DAMU, une institution qui vise à la formation d’artistes de théâtre disposant d’une solide connaissance de l’histoire de cet art et disposés à en développer les formes en Tchécoslovaquie. En 1953, après l’obtention de sa « maturita », l’équivalent du baccalauréat, le jeune Josef est souhaite postuler à cette école. Les admissions ne s’effectuant qu’une année sur deux, il est pourtant contraint de repousser ce projet à l’année suivante. Topol ne perd pas son temps et se fait embaucher au théâtre d’Emil František Burian, l’auteur dont il admirait les pièces, une figure de proue de l’avant-garde tchèque.

Les années 1950 sont marquées par le réalisme-socialiste, un mouvement artistique qui souhaite mettre en exergue l’héroïsme de la classe ouvrière et imposé par le Parti communiste tchécoslovaque lors de son 9e congrès en mai 1949. Carcan pour la création, il va commencer à battre de l’aile à la fin de la décennie, en partie grâce à l’audace de nouveaux artistes, tels que Josef Topol, désireux de s’affranchir des codes passés :

« Tout change puisque la période précédente est marquée par le réalisme-socialiste. Il y avait par exemple l’impossibilité de travailler en vers, d’écrire en vers. Josef Topol est le premier qui arrive avec une pièce en vers. Sa pièce s’appelle Vent de minuit et il l’écrit pour le théâtre E. F. Burian à la fin des années 1950. Il est tout jeune, il doit avoir 19 ans. »

Josef Topol fera ensuite des rencontres décisives pour la suite de sa carrière avec Otomar Krejča et Karel Kraus, deux hommes qui ont largement contribué au renouveau du théâtre tchèque, et qui vont lui permettre d’écrire pour le Théâtre national. Katia Hala poursuit :

Katia Hala,  photo: Centre tchèque de Paris
« Dans les années 1958-1962, Otomar Krejča était à la tête de la section dramatique du Théâtre national et il avait un projet, celui de redonner la voix aux poètes. Contrairement à la période précédente, celle du réalisme-socialiste, où sur scène on était censé parler comme les ouvriers, où les pièces devaient être celles des ouvriers, etc. Otomar Krejča et Karel Kraus font venir les poètes. Ils font venir František Hrubín. Ils vont venir Milan Kundera, qui à l’époque est avant tout poète, il n’a pas encore écrit ses romans, et ils font venir Josef Topol et Topol est sans doute l’une de leurs meilleures trouvailles. Pour le Théâtre national, Josef Topol donne de purs chefs-d’ œuvres, notamment Fin de carnaval, qui est une pièce de théâtre du theatrum mundi, où il y a une trentaine de personnages sur scène. C’est un passage très important. Il y en aura d’autres. Il y aura Jejích den (Leur journée), une autre pièce jouée au Théâtre national. »

Dans les années 1960, la censure se fait moins pressante dans la plupart des disciplines artistiques. Son exercice est d’ailleurs rendue plus complexe dans le monde du théâtre, qui évolue dans un cadre spécifique avec plusieurs interprétations possibles d’un même texte et où les acteurs font souvent face à un public d’habitués. Cette censure reste toutefois présente et Josef Topol s’y frotte dans une certaine mesure avec Fin de carnaval, qui a le tort d’évoquer le sujet sensible de la collectivisation forcée des terres agricoles dans les années 1950. La pièce ne sera jouée que deux ans après son écriture :

« Il n’écrit pas des pièces politiques, directement politiques, mais ce n’est pas pour autant qu’elles sont moins dérangeantes pour les autorités. Il y a eu un petit vent de liberté qui a permis que Půlnoční vítr – Vent de minuit, sa première pièce en vers, soit jouée. C’était un moment où on était dans une petite période de dégel. Mais en soi, c’était plutôt choquant de proposer une pièce en vers. De la même manière, c’était assez choquant de proposer une pièce qui parle des campagnes collectivisées. Donc là, il y a eu censure. La pièce Fin de carnaval n’a pas été montée tout de suite à Prague et je crois qu’elle a eu sa première à Olomouc. »

Suite à un désaccord à propos de la programmation, Otomar Krejča décide en 1965 de quitter le Théâtre national. Le metteur en scène décide alors de créer une nouvelle structure qui lui offrirait plus de liberté, ce sera le Divadlo za branou, le Théâtre derrière la porte. Décédé en 2009, Otomar Krejča était revenu sur cet épisode quelques années auparavant au micro de Radio Prague :

Photo: ČT
« Avant de fonder ce Divadlo za branou, nous avons travaillé dans des grands théâtres, surtout au Théâtre national. Ces grands théâtres ressemblaient plutôt à des 'usines', à des ateliers de production... Leur fonctionnement était bureaucratique. Il était très difficile, pour nous, d'y mettre en place nos propres projets. Donc après avoir fait cette expérience, nous avons décidé de fonder un théâtre qui répondrait à nos goûts et intentions, à notre vision du théâtre. »

Josef Topol est de la partie, en compagnie d’artistes d’importance, et il sera même particulièrement fécond au Divadlo za branou, ainsi que le développe Katia Hala :

« Il y est en tant que membre fondateur et auteur, en même temps que le metteur en scène Otomar Krejča, le directeur artistique Karel Kraus, et les acteurs Jan Tříska et Marie Tomášová. Ces cinq personnes sont des membres fondateurs du Divadlo za branou. Josef Topol inaugure ce théâtre par l’une de ses pièces Kočka na kolejích – La chatte sur les rails. Il y donnera ensuite il me semble cinq autres pièces. »

Mais l’époque change bientôt. Après les espoirs du Printemps de Prague et son écrasement par les forces du pacte de Varsovie, l’heure est à la normalisation de toutes les sphères de la société. Dans le théâtre, le Divadlo za branou, un espace de création bouillonnant qui a acquis une grande renommée, en fait rapidement les frais. Il est fermé en 1972. Une pièce de Josef Topol, Dvě noci s dívkou – Deux nuits avec une fille, en fait les frais et ne peut être jouée, soi-disant parce que le théâtre ne répond pas à certaines normes de sécurité, explique Katia Hala. Le dramaturge ne peut plus travailler dans le domaine de la culture et enchaîne différents emplois, notamment comme ouvrier, jusqu’en 1989.

« Il va être interdit de toute activité dans le domaine culturel. Et quand on dit toute activité dans le domaine culturel, pour lui cela voudra même dire quelque chose d’aussi absurde que l’impossibilité de travailler comme jardinier. Il voulait être jardinier dans la ville de Prague, cela lui a été interdit sous prétexte que c’est encore de la culture. »

Comme Václav Havel, un autre grand dramaturge des années 1960, Josef Topol signe la Charte 77, la fameuse pétition de protestation contre le processus de normalisation. Il n’écrit alors presque plus, uniquement deux pièces dramatiques jusqu’en 1989 et des travaux de traduction, sous un nom d’emprunt, pour le théâtre Činoherní d’ Ústí nad Labem. Après la chute du régime communiste, Topol ne reprendra d’ailleurs pas d’activité artistique soutenue :

« C’est la discrétion et le silence. J’ai des collègues qui l’ont rencontré et ils me rapportaient des anecdotes comme quoi il aurait brûlé sa dernière pièce. »

Même sans ces dernières œuvres parties en cendre, Josef Topol reste une figure majeure du théâtre tchèque de ces soixante dernières années. Son empreinte s’exprime également à travers ses fils. Le plus jeune, Jáchym est un écrivain et poète à succès. Le plus âgé, Filip, leader charismatique du groupe underground Psí vojáci, l’a précédé dans la mort et aurait eu cinquante ans le 15 juin dernier.