Jean Népomucène

En Bohême, vous ne trouvez pas un pont qui ne serait pas décoré de la statue représentant saint Jean-Népomucène, un saint très populaire en Bohême. Selon une vieille légende, ce chanoine de Prague fut jeté du pont Charles dans la rivière Vltava, sur l'ordre du roi Venceslas IV, en 1393. Inspiré par cette mort martyre, le peuple commença à construire des églises et des chapelles à la mémoire de saint Jean-Népomucène. Depuis sa béatification à Rome, en 1721, ce saint tchèque est considéré comme le patron de la Bohême et devient célèbre, aussi, hors de la frontière du pays. Jean Népomucène gît dans la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague. Voilà les informations de base sur ce saint qui, d'ailleurs, n'a même pas existé. Mais commençons par le commencement...

Le vrai Jean Népomucène fut, en réalité, un certain docteur Johanek de Pomuk, personnage dont l'existence est prouvée historiquement. Nous savons qu'il est né vers la moitié du XIVe siècle à Pomuk, de nos jours Nepomuk, en Bohême occidentale. En 1380, l'archevêque Jan de Jenstein le nomma notaire apostolique, auprès d'une chapelle de la cathédrale Saint-Guy. Dans la même année, il est devenu curé à l'église Saint-Gall, dans la Vielle Ville de Prague, avant d'assumer le post de chanoine du chapitre de Vysehrad, dix ans plus tard. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, l'archevêque Jan de Jenstein entre de plus en plus en conflit avec le roi Venceslas IV et les proches collaborateurs de l'archevêque, eux aussi, ne restent pas épargnés de la colère royale. Le conflit prend une tournure tragique en 1393 où le roi décide de créer un nouveau diocèse à Kladruby, en Bohême occidentale, pour diminuer la position de l'archevêque. Pour régler ce conflit, Jan de Jenstein, accompagné de ses conseillers, y compris le docteur Johanek, rendent visite au roi. Ce dernier, encouragé par le vin, se met en fureur et envoie les dignitaires de l'Eglise en prison. L'archevêque profite du chaos pour s'échapper, mais pire est le sort de ses amis qui se retrouvent dans une chambre de torture. Le roi en personne battait les prisonniers du pommeau de son épée et c'est, peut-être, lui qui tua le docteur Johanek. Les pieds et mains ligotés, son cadavre est jeté du pont Charles dans la Vltava, le 20 mars 1393. Les pêcheurs trouvent le corps, un mois plus tard, le portent dans un monastère de la Vieille-Ville et l'enterrent. Ce n'est que plus tard que l'on transporte la dépouille de Jean Népomucène dans la cathédrale Saint-Guy.

Pendant les guerres hussites, au XVe siècle, la mort tragique de Johanek de Pomuk est oubliée pour en reparler pendant le règne de Georges de Podebrady, 1458-1471. A l'époque, les catholiques commencent à le considérer comme un saint. Lorsqu'on fait reconstruire le tombeau du docteur Johanek, autour de 1530, les tailleurs de pierre se trompent de date de sa mort; au lieu de graver 1393, ils gravent 1383. Au lieu d'introduire dans sa chronique une date fausse, le chroniqueur Vaclav Hajek de Libocany, auteur de la «Chronique tchèque», préféra inventer un nouveau Jean. Ainsi Johanek ou Jean de Pomuk est devenu Jean de Nepomuk, puis Jean Népomucène. Le premier Jean Népomucène était le confesseur de la reine que le roi a ordonné de noyer dans la Vltava, en 1383, car il refusait de relever le contenu de la confession de la reine. Le second prêtre Johanek a été jeté dans la rivière sur l'ordre du roi, en 1393.

Entre temps, la légende sur saint Jean-Népomucène se propageait non seulement dans les pays tchèques, mais aussi à l'étranger. Un culte de Jean Népomucène s'est crée même, après la bataille de la Montagne Blanche pour devenir un instrument important de l'idéologie de la Contre réforme. Au XVIIe siècle, la tentative de béatifier Jean Népomucène va s'accroissant. Pour savoir si ce patron de la Bohême est vraiment digne d'être béatifié, Rome demande l'exhumation de la dépouille du saint. Quelle était la surprise des médecins, lorsqu'ils ont ouvert le cercueil...

En examinant le crâne, les médecins assistant à l'exhumation ont trouvé une masse molle rougeâtre qu'ils considéraient comme la langue du saint. Compte tenu du fait que la langue est la matière la plus périssable du corps humain, Rome considéra cette découverte comme un miracle. Mais, les médecins, dont aussi le fameux docteur Löw d'Erlsfed, se trompèrent. Ce qu'ils trouvèrent n'était pas la langue mais le reste du cerveau, d'après les expertises réalisées dans les années 1972-73 par l'anthropologue E.Vlcek.

Pour compléter l'image de saint Jean-Népomucène, je vous propose d'écouter deux légendes. Un noble marcha sur le tombeau du saint et, en remontant au Château, son cheval s'emballa pour traîner son cavalier dans les rues de la ville... Une autre légende veut qu'une dame d'honneur exprima ses réserves à l'adresse du saint et, au moment où elle sortait de l'église, un vent violent lui releva la jupe pour montrer à tout le monde ses jambes. Les efforts communs des autres dames présentes ne pouvaient plus défendre l'honneur de la dame punie...

Le saint, qui fait des espiègleries pareilles, est très proche des héros populaires, tels Eulenspiegel. Mais Jean Népomucène ne fut pas aimé seulement par les couches populaires, mais aussi par l'aristocratie. Le baron Vunsvitz, par exemple, fit construire la première statue de saint Jean-Népomucène, en 1683, sur le pont Charles. Son auteur est le célèbre sculpteur baroque Jan Brokoff. Cette statue fut la première à être installée sur le pont Charles. Les bronzes du piédestal représentent deux scènes de la vie supposée du saint: la confession de la reine et le moment où son corps est jeté dans la rivière. La seconde scène fait allusion au Massacre des innocents: un soldat brutalisant une mère et son enfant.

Auteur: Astrid Hofmanová
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