Dix ans depuis la disparition d'Alexander Dubcek

Alexander Dubcek, 1991 (Photo: CTK)

Alexander Dubcek, l'homme du Printemps de Prague, est décédé le 7 novembre 1992, à Prague, à l'âge de soixante-dix ans. A l'occasion du dixième anniversaire de sa disparition, Radio Prague vous propose le portrait de l'homme qui a voulu réformer le communisme.

Alexander Dubcek,  1991  (Photo: CTK)
Qui aurait osé parier une couronne, à la fin des années soixante, sur l'avenir d'Alexander Dubcek. Ce naïf égaré au pouvoir, le plus exposé et le plus fragile des grands acteurs du Printemps de Prague, a été le seul en mesure de revenir sur le devant de la scène politique, lorsque le régime qui le persécutait a commencé à agoniser. En dépit de l'échec du Printemps de Prague, Dubcek est resté un homme politique des plus populaires et sincèrement aimé par le peuple tchécoslovaque. Mais commençons par le commencement. Les historiens se mettent d'accord sur trois moments clé qui avaient été les signes précurseurs du sort de Dubcek: sa naissance le 27 novembre 1921 à Uhrovec, en Slovaquie, dans la maison natale de la figure de proue de la renaissance nationale slovaque au XIXe siècle, Ludovit Stur, le séjour de treize ans en Asie centrale soviétique et la participation à l'Insurrection nationale slovaque en 1944.

Dubcek a failli naître en Amérique où ses parents vivaient avant la création de l'Etat tchécoslovaque, en 1918. Mais déçus par la réalité américaine et enchantés par les idées de la révolution russe, ils quittent l'Amérique pour retourner au pays, en 1921. Ils n'y restent pas longtemps. Poussés par le rêve d'une société juste, le père de Dubcek part, en 1925, avec sa famille pour l'Union soviétique. Le jeune Alexander passe treize ans au Kirghizistan, puis à Niznij Novgorod où il passe, aussi, son baccalauréat. Après la vague de procès politiques en Russie, la famille décide de retourner en Slovaquie. On est en 1938, et le ciel s'assombrit sur l'Europe. Un an plus tard, Dubcek devient membre du parti communiste et, à la fin de la guerre, il participe activement à l'Insurrection nationale slovaque. Dubcek a écrit plus tard dans ses mémoires : « Les événements de guerre avaient renforcé mes sympathies à l'égard du socialisme ».

Dans les années cinquante, marquées par l'escalade de la lutte de classe, l'étoile politique d'Alexander Dubcek brille de plus en plus intensément. Après avoir terminé son droit, à l'Université de Bratislava, puis à l'Ecole supérieure du parti communiste à Moscou, il est nommé premier secrétaire du Comité central du Parti communiste tchécoslovaque, en janvier 1968, pour finir par devenir l'homme du Printemps de Prague.

En 1968, Dubcek a été à la tête des forces politiques demandant la transformation du socialisme du type stalinien en un socialisme « à visage humain ». Mais, l'invasion des troupes du pacte de Varsovie, le 21 août 68, a stoppé cette tentative de réforme du socialisme. Le même jour, Dubcek et d'autres hauts dirigeants politiques, y compris le président Ludvik Svoboda, sont arrêtés et transportés à Moscou, où ils sont contraints de signer les protocoles de Moscou injurieux, légalisant l'occupation.

Je cite du livre « C'est l'espoir qui meurt en dernier » d'Alexander Dubcek: «Ce que les Soviétiques voulaient vraiment de nous, c'était une justification, après coup, de leur agression. Je me déclarais formellement opposé à prendre part à une telle mascarade. Svoboda essayait de me faire changer d'avis, en soutenant qu'une situation extraordinaire justifiait de telles mesures hors de la légalité. Furieux, je leur ai dis que je préférerais démissionner... »

« Je me sentais triste, fatigué et humilié, surtout quand on apporta le texte mis au point, et qu'on fit entrer une foule de cameramen et de photographes pour assister à la signature. Brejnev n'avait pas oublié les relations publiques, mais de toute évidence, un détail gênant lui avait échappé: le document devait rester secret », a écrit Dubcek dans les mémoires.

Personne de ceux qui ont vécu cette tragédie nationale, n'oubliera les larmes de Dubcek en parlant à son peuple, après le retour de Moscou:

« Tout le monde sait que le chemin ne sera pas facile mais complexe et peut-être plus long que l'on avait prévu. Mais, que la vie prenne n'importe quelle direction, nous devons continuer à réaliser la politique tracée par le parti en janvier dernier. Cela en dépit de cette nouvelle situation. Nous avons pris cette position et nous la garderons dans l'avenir. Nous n'abandonnerons pas nos principes... »

« Je me sentais triste, fatigué et humilié, surtout quand on apporta le texte mis au point, et qu'on fit entrer une foule de cameramen et de photographes pour assister à la signature. Brejnev n'avait pas oublié les relations publiques, mais de toute évidence, un détail gênant lui avait échappé: le document devait rester secret », a écrit Dubcek dans les mémoires.

Après l'écrasement du Printemps de Prague, tout va très vite pour Dubcek: en avril 1969, il est remplacé, au poste de premier secrétaire du parti, par Gustav Husak, un an plus tard il est exclu du parti communiste, puis il se retire définitivement de la scène politique. Jusqu'en 1985, il travaille comme serrurier- mécanicien dans une entreprise slovaque. Presque vingt ans, il est surveillé par la police politique, sa dernière arrestation date du 17 novembre 1989. Il n'a pas signé la Charte 77. Après les événements de 89, Alexander Dubcek revient sur la scène politique, il est nommé président de l'Assemblée fédérale, en 1992, et devient président de la social-démocratie slovaque. Alexander Dubcek n'a pas vu l'éclatement de la fédération tchéco-slovaque. Il est décédé le 7 novembre 92 des suites d'un accident de la route, survenu le 1er septembre.

A. Dubcek,  le 24 novembre 1989
Le legs politique d'Alexander Dubcek réside, sans doute, dans son rôle de figure de proue du Printemps de Prague, personnification de l'effort de démocratisation du socialisme. A l'époque, Dubcek a gagné le prestige international dont il allait profiter, aussi, après 1989. Jusqu'à sa mort, Dubcek n'a cessé de croire que la réforme du communisme était possible.

Alexander Dubcek
De nos jours, on se pose souvent la question de savoir pourquoi Dubcek était à la tête de la réforme. Ses critiques sont intransigeants et, souvent, ils ne voient que ses points faibles. Ces derniers lui reprochent le manque d'une conception cohérente de la réforme et l'incapacité d'accepter la vraie pluralité politique, car Dubcek n'a pas permis la légalisation d'autres partis politiques. Selon Zdenek Mlynar, un autre homme du Printemps de Prague, n'ayant jamais connu la vraie démocratie, Dubcek ne cessait d'être enfermé dans les limites des rituels habituels du parti, qu'il respectait jusqu'à la fin de sa carrière politique. Mais à la différence des autres, il tolérait la critique, préférait le dialogue à la confrontation et croyait sincèrement en la réforme. Dubcek commettait des erreurs, hésitait, succombait à des illusions, mais dans le même temps, il était prêt à risquer et à faire courir ce risque aussi ses proches. N'est-ce pas une qualité humaine qui contribue à l'amélioration de la société ?

Auteur: Astrid Hofmanová
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