Des Tchèques et des Slovaques dans les camps de prisonniers de guerre soviétiques

Goulag, photo : Public Domain

Moins connu que le Goulag, le GUPVI est un autre système de camps soviétiques destiné prioritairement aux prisonniers de guerre pendant la Deuxième Guerre mondiale et les années qui ont suivi. Quelques dizaines de milliers de Tchécoslovaques y ont été détenus, plusieurs milliers y sont morts. Des documents, mis à disposition par les Archives militaires de la Fédération de Russie (RGAV), vont désormais permettre à des chercheurs tchèques et slovaques de mieux connaître leur histoire.

Mettre la main sur les précieuses archives

Goulag,  photo : Public Domain
Personnalité connue de la région de Banská Bystrica, au cœur de la Slovaquie, et directeur du non moins fameux Musée du Soulèvement national slovaque (SNP), Stanislav Mičev était à Prague fin septembre pour remettre symboliquement la précieuse base de données aux collègues de l’Institut d’étude des régimes totalitaires (ÚSTR). « Vous voyez cette clef USB ? C’est la plus précieuse en Tchéquie et en Slovaquie », fanfaronne-t-il. Du côté, de l’institut tchèque, où un des axes de travail s’intéresse plutôt au système du Goulag, le directeur, Zdeněk Hazdra, n’est cependant pas mécontent de la collaboration tchéco-slovaque :

Zdeněk Hazdra,  photo : Šárka Ševčíková,  ČRo
« Au sein de notre institut, nos collègues s’intéressent depuis longtemps à la problématique du Goulag. Cela ne nous a pas empêché, quand nous avons rencontré Stanislav Mičev voici deux ans, de saluer cette initiative et de contribuer à l’obtention de cette base de données de ces Tchécoslovaques passés par cette autre administration pénitentiaire. Parce qu’en fait, ces projets sont liés et se complètent. On a d’ailleurs constaté que certaines personnes sont passées par le GUPVI puis par le Goulag, et inversement. »

Certains médias tchèques ont mis en avant le caractère inédit de cette ouverture par Moscou des archives soviétiques. En l’occurrence, il semble surtout que jamais par le passé des chercheurs tchèques ou slovaques n’aient sollicité l’accès à ces archives concernant le GUPVI. La copie et la numérisation de ces documents ont cependant eu un coût, au moins 1,2 millions de couronnes (50 000 euros). La clef USB de Stanislav Mičev n’est effectivement pas la plus abordable du marché.

Le GUPVI, un système de camps pour les prisonniers de guerre

Photo illustrative : Sergueï Piatakov,  RIA Novosti,  CC BY-SA 3.0
Les camps de travail forcé du Goulag, système fondé au début des années 1930 pour la détention des prisonniers politiques, est le plus célèbre des outils de l’appareil répressif soviétique. Le GUPVI en est un autre et il s’apparente par bien des aspects au Goulag. Il est lui aussi du ressort du Commissariat du peuple aux Affaires intérieures (NKVD) et les conditions de vie des détenus y sont souvent tout aussi exécrables.

Le GUPVI, acronyme derrière lequel se cache la Direction centrale des prisonniers de guerre et des internés, est créé en septembre 1939, après l’invasion soviétique de la Pologne. Stanislav Mičev en détaille certains attributs :

« Le système du Goulag était prévu pour les détenus politiques et le système des camps du GUPVI était lui destiné aux prisonniers de guerre et aux personnes internées. Ces personnes internées, c’était par exemple des Polonais se trouvant sur le territoire de l’Ukraine ou de la Biélorussie et qui étaient gênants pour les Soviétiques, qui les ont transférés dans d’autres territoires de l’Union soviétique, par exemple en Sibérie ou dans des camps de travail. Cela ne concernait pas seulement les Polonais, mais également des Allemands, des Tchèques de Volhynie et d’autres passés par les camps du GUPVI. »

Stanislav Mičev,  photo : Katerina Ayzpurvit
Le GUPVI consiste en un réseau de camps très divers. Certains, proches du front, ont pour fonction de trier les détenus : des prisonniers sont envoyés vers des camps d’internement ou de travail, d’autres, blessés ou malades, peuvent être orientés vers des hôpitaux. Dans les premières années de la guerre, les détenus du GUPVI restent relativement peu nombreux. A partir de 1942, quand les Soviétiques repoussent l’offensive allemande et contre-attaquent, le système connaît une croissance exponentielle. A la fin du conflit, le réseau est constitué de quelques centaines de camps et, selon les estimations, entre 3,5 et 4,2 millions de prisonniers y ont un temps séjourné. Parmi eux évidemment des Tchèques et des Slovaques, qui avaient participé, engagés au sein de diverses armées, aux opérations militaires contre l’URSS, comme l’indique Stanislav Mičev :

« Nous avons les données à propos des Tchécoslovaques. Il s’agit de toutes les personnes nées sur le territoire de la Tchécoslovaquie. On trouve des Slovaques, des Tchèques, des Ruthènes, des Hongrois, des Allemands, des Polonais et beaucoup d’autres nationalités qui vivaient sur ce territoire et qui sont passés par ces camps. D’après les chiffres, ce sont presque 70 000 personnes. »

Adam Hradilek,  photo : Katerina Ayzpurvit
Leur sort a été très divers. Certains, par conviction ou parce qu’ils espéraient que cela leur garantirait de meilleures conditions d’existence, se sont engagés au sein de l’Armée rouge. D’autres, sans doute plus de 4 000, ont trouvé la mort dans les camps.

Des archives utiles à la recherche tchèque

Ce sont 38 000 fiches sur les prisonniers tchèques et slovaques du GUPVI qu’il a été possible d’obtenir auprès des archives russes. Les historiens de l’Institut d’étude des régimes totalitaires ont donc du pain sur la planche. Et pour le chercheur Adam Hradilek, le travail a déjà débuté :

« Nous avons eu la possibilité de parcourir environ un milliers de ces fiches, sur les 38 000 que nous avons reçues. Je dois une nouvelle fois rappeler que la problématique du GUPVI n’est pas au cœur de notre intérêt à l’institut. Nous nous intéressons principalement aux personnes qui ont été persécutées sur les territoires de la Tchécoslovaquie et de l’URSS pour des raisons politiques, y compris des personnes innocentes persécutées par le système soviétique sur la base de fausses accusations.

Photo : Archives de ČRo - Radio Prague
La question de ces détenus du GUPVI est différente. Il s’agissait de membres d’armées ayant participé à des opérations militaires contre l’Union soviétique. C’est une autre question. Toutefois, nous savons qu’une grande partie de ces membres tchécoslovaques des unités impliquées dans des opérations militaires ont déserté vers le camp soviétique. On trouvait parmi eux des juifs employés dans des unités hongroises de travail, des Ruthènes, des Tchèques, des Tchèques allemands… C’est pour cela que la question est très complexe et intéressante. »

Des questions scientifiques très intéressantes, mais qui ne seront pas le seul axe de travail de l’institut. En effet, comme l’explique son directeur Zdeněk Hazdra, ces archives présentent également une autre dimension pour les familles de ceux qui sont passés par le GUPVI :

Photo : Katerina Ayzpurvit
« Bien sûr, il y a maintenant du travail qui nous attend. Il faut que nous puissions analyser et évaluer cette base de données. Et ce projet n’a pas seulement une portée scientifique de recherche. Il y a aussi une dimension morale, une dimension humaine. Nous nous attendons à ce que des familles dont des membres sont passés par ces camps puissent utiliser ces informations pour rechercher des actes les concernant dans les archives moscovites et pour finalement déterminer quel a été leur destin. »