Darney-Slavkov, l'histoire d'une amitié

La ville de Darney, dans le département des Vosges, s'est inscrite dans l'histoire commune des nations de France et de Tchécoslovaquie. Au XVe siècle, les ducs de Lorraine firent venir des verriers de Bohême dans les forêts profondes de Darney et cinq siècles plus tard, dans les années 1914-1918, les régiments des légionnaires tchèques et slovaques séjournaient au camp Kléber de Darney. Et cette histoire de l'amitié séculaire est loin d'être terminée. Le 30 juin dernier, Darney a reçu la visite du président du Sénat, Petr Pithart, à l'occasion du quatre-vingt-quatrième anniversaire de la reconnaissance, par la France, du premier Etat commun des Tchèques et des Slovaques. Voici donc l'histoire de cette amitié séculaire.

Les ducs de Lorraine firent venir, à Darney, les verriers de Bohême qui apportèrent en France les secrets de leur industrie. Depuis, les blasons des gentilshommes verriers, descendants de ces familles venues de Bohême décorent la grande salle du château de Darney. Puis l'histoire commune se tait pour cinq longs siècles jusqu'à ce que des volontaires tchèques et slovaques ne se rassemblent à Darney, au cours de la grande guerre en 1917. Un décret en date du 19 décembre 1917, signé du président de la République, Raymond Poincaré, et du Premier ministre, Georges Clemenceau, autorise la création en France d'une armée tchécoslovaque, une nouvelle alliée de la France. A l'époque, des volontaires constituèrent rapidement les 21e et 22e Régiments de Chasseurs tchécoslovaques qui furent transportés dans les Vosges et cantonnés à la sortie de Darney, sur un large plateau qui devint le camp Kléber. Un an plus tard, en juin 1918, le gouvernement français est le premier à reconnaître le droit des Tchécoslovaques à former un Etat indépendant et souverain. A cette occasion, une mémorable cérémonie a lieu à Darney, le 29 juin 1918, pendant laquelle, les troupes tchécoslovaques prêtent serment sur le drapeau que leur remet le Président Raymond Poincaré, en présence d'Edvard Benes, secrétaire du Conseil national tchécoslovaque à Paris et futur ministre des Affaires étrangères et de l'Intérieur au sein du gouvernement provisoire à Paris, à partir du 14 octobre 1918. Le 30 juin 1918, ce dernier entouré de plusieurs ministres, des délégués des états-majors alliés et de la ville de Paris, reconnaît officiellement le Conseil National comme organe suprême du gouvernement tchécoslovaque. Le 9 décembre de la même année, le président Tomas Garrigue Masaryk, arrivé la veille en France, venant d'Amérique, se rendait en toute hâte à Darney pour y passer sa première revue militaire en tant que chef de l'Etat.

L'amitié franco-tchécoslovaque est rappelée à Darney par le monument construit à l'initiative du Conseil général des Vosges, soutenu par le parlement français. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il a été détruit par les Allemands et le nouveau monument n'a été érigé à sa place qu'en 1968. Constitué par une flèche de métal haute de deux mètres, ce nouveau mémorial surmonte un pentagone en béton armé sur lequel des pensées de Raymond Poincaré, de T.G. Masaryk et d'Edvard Benes rappellent toujours le courage et la ténacité du peuple tchécoslovaque. Les déclarations de ces trois hommes d'Etat disent que « La vérité renaît sans cesse » et que, selon la fière devise tchécoslovaque, « cette vérité vaincra ». La dernière manifestation de souvenir, organisée à Darney, remonte au 30 juin dernier, à l'occasion du quatre-vingt-quatrième anniversaire de la reconnaissance par la France du premier Etat tchécoslovaque.

La ville de Darney a aussi son musée d'amitié franco-tchécoslovaque. L'initiative de sa création revient au maire de Darney, André Barbier. Il a été installé, en 1938, au château, pour faire revivre les souvenirs historiques ainsi que les liens qui unissent les deux pays au cours des siècles. Le musée abrite des tableaux, documents historiques, pièces originales ou copies, objets d'art... Grâce au Musée de la libération de Prague, il possède aussi le magnifique tableau où le grand peintre, Karel Cerny, fixa la cérémonie de remise du drapeau aux légionnaires, en juin 1918. La ville de Paris a remis au musée la réplique du drapeau qu'elle avait offerte le 30 juin 1918 au 21e régiment. Ce drapeau a été exécuté par la maison Arthus-Bertrand, de Paris.

Vu la riche histoire de l'amitié franco-tchèque, il était tout naturel que Darney soit jumelée avec une ville tchèque. Cette ville est Slavkov, près de Brno, qui est entrée dans l'histoire plutôt sous le nom d'Austerlitz à cause de la bataille des trois empereurs, livrée le 2 décembre 1805, quand Napoléon battit les armées autrichienne et russe. L'alliance entre les deux villes a été signée en 1985, les dix-sept ans de la coopération se traduisant par de fructueux échanges dans les domaines les plus variés. « Chaque fois que je viens en Tchéquie, j'apporte des cadeaux pour les familles de Slavkov et en retour, c'est la même chose », dit le professeur André Poirot, gardien fidèle de l'amitié franco-tchécoslovaque et initiateur du jumelage. Pour lui, Darney, avec son musée, son premier monument franco-tchécoslovaque, avec sa place Masaryk et son square Vaclav Havel, reste un centre de spiritualité et un lieu de pèlerinage pour les amis de la liberté et de la paix.

Auteur: Astrid Hofmanová
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