70 ans se sont écoulés depuis la mort non-élucidée de Jan Masaryk

Jan Masaryk, photo: Archives de MZV

Ce samedi, 70 ans se sont écoulés depuis la mort non-élucidée de Jan Masaryk. Fils du premier président de la Tchécoslovaquie indépendante, diplomate à Londres dans l’entre-deux-guerres et ministre des Affaires étrangères du pays au moment de la prise de pouvoir du parti communiste, Jan Masaryk a été retrouvé mort, au pied de son appartement de fonction au palais Černín le 10 mars 1948. Retour sur un destin malmené par l’histoire.

Jan Masaryk,  photo: Archives de MZV
Masaryk. En Tchécoslovaquie, c’est plus qu’un nom. C’est un symbole. Pour preuve, lors de l’investiture de Miloš Zeman, jeudi, au Château de Prague, c’est sur la table de travail d’origine du premier président tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk, que le chef d’Etat réélu a solennellement paraphé son serment présidentiel. Une façon de s’inscrire dans une continuité qui a défaut d’être idéologiquement réelle, est un signe fort envoyé à la population tchèque. Aujourd’hui encore, près d’un siècle après sa mort, l’aura de Tomáš G. Masaryk est encore forte et ce, quand bien même nombreux sont ceux qui déplorent un état moral de la société loin des idéaux masarykiens.

Moins connu que son père, et ayant pourtant aussi marqué l’histoire du pays, Jan Masaryk a quelque peu souffert de la malchance des « fils de ». Ce nom a dû peser plus d’une fois lourdement sur ses épaules au cours de sa carrière de diplomate, comme le souligne l’historien Jan Němeček :

« Il a toujours vécu dans l’ombre de son père, dans l’ombre de la stature de son père. Donc, il est impossible de comparer l’importance de Jan Masaryk et celle de T. G. Masaryk. Ce dernier était une icône de l’Etat tchécoslovaque. Jan Masaryk, c’est une autre question. Bien entendu, son père s’est efforcé de faire en sorte qu’il marche sur ses traces. Mais dans une certaine mesure, ce n’était pas possible. D’abord, il y avait un certain traumatisme par rapport à la stature de son père, par rapport aux tâches qu’il était censé remplir, par rapport au fait de s’inscrire dans la tradition masarykienne. Donc Jan Masaryk a reçu en héritage un rôle énorme à remplir. Après, on peut tout à fait discuter du fait de savoir s’il l’a rempli ou non, et comment. »

Jan Masaryk est né en 1886. Pendant la Première Guerre mondiale, il est au front, dans le camp austro-hongrois, tandis que son père, en exil, s’active à l’étranger pour rassembler les diasporas tchèques et slovaques, afin de promouvoir l’idée d’un Etat tchécoslovaque indépendant au sortir du conflit.

Dans la petite république née des cendres de l’empire austro-hongrois, Jan Masaryk va trouver une place de choix au sein des nouvelles équipes politiques en place. Il se tourne vers une carrière diplomatique, occupe un poste de chargé d’affaires aux Etats-Unis, puis est nommé ambassadeur à Londres en 1925. Alain Soubigou est historien, spécialiste de Masaryk père. En mars 2017, au micro de Radio Prague, il notait le caractère inattendu de cette carrière, alors que Jan Masaryk n’a ni la « maturita », équivalent du baccalauréat, ni un titre de docteur en droit :

Jan Masaryk et Edvard Beneš,  photo: ČT
« Il était un peu inespéré de le voir travailler dans les services diplomatiques, au regard de ses études plus que moyennes avant la Première Guerre mondiale. Comme vous le dites, il est jeune, né en 1886, donc il a deux ans de moins qu’Edvard Beneš, qui était lui-même un ministre des Affaires étrangères très jeune au sortir de la guerre. Il y a beaucoup d’opportunités qui s’ouvrent dès lors que les fonctionnaires austro-hongrois ont quitté Prague et ont laissé toute une série de fonctions sans titulaires. Et d’autre part, la jeune République qui transforme Prague de ville de province en capitale a besoin de compétences un peu partout dans le monde pour la représenter dans des ambassades. Et c’est dans ce courant d’air que s’inscrit la trajectoire de Jan Masaryk. »

Nul népotisme, selon Alain Soubigou, dans ces nominations, mais plutôt la reconnaissance d’un certain talent de caractère :

« Jan Masaryk a été excellent dans la partie mondaine de son rôle à Londres, donc non, il n’y a pas eu de népotisme mais comme disent les Anglais, c’était ‘the right man in the right place’. »

Il est d’ailleurs apprécié dans la population pour son charme et son humour, sa compréhension d’autrui. Son caractère peu conventionnel, ses talents de pianiste, d’orateur et de mondain forgent sa réputation sans en faire pour autant un dilettante. Cette place de choix dans la conscience des Tchèques et des Slovaques sera d’ailleurs renforcée pendant la Seconde Guerre mondiale, grâce à ses discours de soutien et d’espoir prononcés, depuis Londres, vers la Tchécoslovaquie occupée. Nommé en 1940 ministre des Affaires étrangères du gouvernement tchécoslovaque en exil, Jan Masaryk déploie tout son talent au service de la nation, comme le relève l’historien Jan Němeček :

Jan Masaryk,  photo: ČT
« Une chose est sûre. Pour le commun des mortels, Jan Masaryk a été une véritable icône à certains moments de sa vie. Il l’a été pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’est adressé aux habitants de la Tchécoslovaquie occupée via les émissions de la BBC. L’impact de ces messages était énorme. Donc dans ce sens c’était une véritable icône. Ce n’était peut-être pas un homme d’Etat, mais il était un orateur né. Il savait parler de telle façon à toucher et à être compris d’un large public. »

Après la guerre, il reste le chef de la diplomatie tchécoslovaque au sein du gouvernement. C’est un contexte tendu qui l’attend en Tchécoslovaquie où, le parti communiste, bénéficiant de l’aura de son rôle dans la résistance, et du rôle de libérateur de l’Union soviétique, monte en puissance. Au mois de février 1948, le Coup de Prague scelle le destin de la Tchécoslovaquie dans la sphère d’influence de Moscou. L’héritage de Masaryk, fondateur d’un pays démocratique, aux valeurs humanistes, tourné vers l’Occident, déjà ébranlé par l’invasion et l’occupation nazies, se disloque définitivement avec l’arrivée des communistes au pouvoir.

Peu de temps après le Coup de Prague, Jan Masaryk est retrouvé mort au pied de son appartement de fonction, au palais Černín. Un décès mystérieux dont la cause n’a jamais été vraiment élucidé, comme le rappelle Alain Soubigou :

La fenêtre dans la salle de bain de Jan Masaryk,  photo: Ondřej Tomšů
« La version communiste, c’est une version. Il y a la version de la police en 2003, après plusieurs allers-retours, plusieurs variantes, des expérimentations de l’Académie des sciences, avec des physiciens qui ont essayé de comprendre la trajectoire du corps, etc. Je crois qu’en fait, on ne saura probablement pas la vérité définitive au-delà d’un rapport de police qui dit un petit peu ce qu’il veut. Je crois que l’interprétation, elle se fait de manière plutôt philosophique. De deux choses l’une : ou les communistes ont soulevé – la fenêtre était assez haute – le corps de Jan Masaryk, vivant ou pas, et l’ont poussé par la fenêtre, et c’est une horreur. C’est la première hypothèse, un assassinat direct. Ou, deuxième hypothèse, Jan Masaryk, soit sous la menace immédiate de gens qui frappent à sa porte, de gens qui lui voulaient du mal à la porte de son appartement de fonction au ministère des Affaires étrangères, s’est jeté ; ou bien, en présence même des personnes menaçantes, ou sous la pression psychologique tout simplement, il s’est jeté. C’était d’ailleurs l’hypothèse de son dernier secrétaire, Antonín Sum, qui disait qu’il avait voulu attirer l’attention de l’Occident sur ce qui était en train de se tramer par les communistes dans le pays. Et cette deuxième hypothèse d’un suicide n’est pas plus honorable pour les communistes. La pression psychologique a été au moins aussi puissante, si c'est cette hypothèse, que des mains assassines l’auraient poussé. Donc, suicide ou assassinat, je crois qu’aucune hypothèse n’est bonne pour les communistes de l’époque. Je crois que le fin mot, on ne le saura jamais vraiment. Il n’y a pas de preuves vraiment décisives dans un sens ou dans l’autre. Mais les deux hypothèses ne sont pas bonnes du tout pour les communistes. »