Scandale de la privatisation de la société minière de Most : la justice suisse rejette le recours tchèque

150 millions de francs suisses : c’est la somme que l’Etat tchèque espère récupérer dans un procès qui s’ouvrira prochainement en Suisse. 150 millions de francs suisses, c’est en effet le montant estimé du préjudice et ce qu’aurait coûté à l’Etat tchèque la vente présumée illicite de la société minière de Most (Mostecká uhelná společnost, MUS) lors de la privatisation de l’une des plus importantes sociétés énergétiques du pays entre 1997 et 2002. Récemment, toutefois, la justice suisse a notoirement douché les espoirs tchèques en rejetant le recours de Prague qui, après des années d’hésitation, souhaitait se porter partie plaignante dans le procès.

La République tchèque ne pourra donc pas s’asseoir aux côtés du ministère public de la Confédération helvétique dans le procès que celui-ci intente à sept hommes d’affaires, parmi lesquels six tchèques et un belge. Inculpés en octobre dernier parallèlement au blocage en Suisse de 600 millions de francs répartis sur plusieurs centaines de comptes, les sept prévenus, tous impliqués dans la privatisation douteuse de MUS, sont accusés de blanchiment d’argent aggravé et de criminalité économique. Mais le procès qui s’ouvrira dans quelques mois au Tribunal pénal fédéral de Bellinzone est surtout devenu une véritable affaire d’Etat, essentiellement en raison des importants soupçons de corruption qui l’entourent et qui menacent d’anciens hauts responsables politiques tchèques, notamment le ministre du Commerce et de l’Industrie en poste en 1999.

Miroslav Kalousek
Même s’il a changé son fusil d’épaule depuis, l’Etat tchèque, qui était co-propriétaire de MUS au moment de sa privatisation, n’avait dans un premier temps pas manifesté de réel intérêt pour cette affaire extrêmement complexe. Ainsi, encore en octobre dernier, le ministre des Finances, Miroslav Kalousek, avait affirmé que la République tchèque ne se sentait pas lésée, s’appuyant pour cela sur la justice tchèque qui n’avait rien trouvé d’illégal dans ce dossier qu’elle avait classé dès 2008. A la différence notoire de la justice suisse, qui mène son enquête depuis 2005.

Ces cinq dernières années, les autorités tchèques n’avaient jamais accepté de répondre favorablement aux demandes de coopération judiciaire de la justice suisse et n’avaient jamais témoigné le moindre intérêt pour rejoindre la procédure, comme le confirme Radim Bureš, un des responsables à Prague de l’ONG Transparency International :

« Une première demande suisse a été adressée en 2006 et depuis l’Etat tchèque n’a pas été en mesure de s’organiser de façon à pouvoir répondre à la proposition suisse et ainsi pouvoir prétendre récupérer une partie de l’argent public dont il s’agissait probablement. »

« Le fait que les différentes institutions – à savoir le procureur de la République, le ministère des Finances et dans une certaine mesure le ministère des Affaires étrangères – se soient rejeté la responsabilité démontre de quelle manière l’appareil d’Etat fonctionnait à l’époque. Cela confirme également qu’il n’y avait absolument aucune volonté et détermination pour défendre les intérêts de la République tchèque. »

Toujours selon Radim Bureš, une chose est néanmoins certaine dans le désintérêt initial, l’attitude très longtemps passive et même la mauvaise volonté de la République tchèque :

Radim Bureš
« Il est difficile de dire s’il y avait un intérêt direct de certaines personnes ou un manque de volonté de s’engager dans une affaire qui avait ou possède encore des dessous politiques. En tous les cas, ce qui est certain, c’est qu’il n’y a eu aucun effort manifeste entrepris pour résoudre une affaire aussi importante pour la société tchèque. »

L’Etat tchèque a fait évoluer sa position à l’automne dernier, essentiellement parce qu’il était soucieux de récupérer les 150 millions de francs suisses, montant du préjudice dont il aurait été victime selon la justice helvétique. C’est seulement en novembre, un mois donc après le dépôt de l’acte d’accusation, que les autorités tchèques, notamment sous la pression des médias et de l’ambassadeur de Suisse à Prague, ont finalement décidé de rallier l’accusation suisse. Une décision prise toutefois trop tardivement, la demande de Prague pour se porter partie plaignante, après un premier désaveu en décembre, ayant donc été rejetée une deuxième fois par la Cour du Tribunal fédéral début mars. Selon la décision de celui-ci, citée dans l’édition de ce jeudi du quotidien genevois Le Temps, la République tchèque disposait « de toute l’information nécessaire et utile à se constituer partie plaignante et ayant négligé de le faire en temps et en heure, le recourant (donc la République tchèque) a commis une faute suffisante pour exclure la restitution du délai ».

L’Etat tchèque ne bénéficiera donc pas lors du procès de certaines facilités liées au statut de partie plaignante. Il entend néanmoins encore se porter partie civile, ce qui lui permettra de conserver un certain espoir de récupérer les 150 millions de francs suisses en jeu.