Quel est le rôle de l’Etat tchèque dans l’affaire MUS ?

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Pour un journaliste du quotidien suisse Le Temps, le verdict rendu jeudi dernier par le tribunal de Bellinzone dans l’affaire de la privatisation frauduleuse de la Société minière de Most (MUS) renforce la crédibilité de la Suisse. En revanche, le rôle de l’Etat tchèque, dont cinq ressortissants, anciens hauts responsables de l’entreprise, ont été condamnés à des peines de prison, reste flou. Bien qu’elle aurait souffert avec cette privatisation d’un préjudice de près de deux milliards de couronnes (environ 80 millions d’euros), la République tchèque n’a pourtant pas tenté d’obtenir réparation lors du procès suisse.

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Les médias suisses eux-mêmes se sont étonnés de la sévérité du verdict rendu par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone. Reconnus coupables de « blanchiment d’argent aggravé, escroquerie et faux dans les titres », les cinq accusés tchèques ont été condamnés à des peines de prison ferme allant de seize mois à plus de quatre ans. Sixième accusé, et non des moindres puisqu’il a occupé les plus hautes fonctions au sein du FMI et de la Banque mondiale, le Belge Jacques de Groote a, lui, écopé d’une peine d’emprisonnement avec sursis. Tous doivent en outre s’acquitter de lourdes amendes pour s’être enrichis illégalement lors de la privatisation de MUS, une des entreprises tchèques les plus importantes dans l’exploitation minière.

Jacques de Groote,  photo: CTK
Les accusés tchèques, qui occupaient à l’époque différents postes au sein de la direction, ont racheté, sous de fausses identités et à l’aide de sociétés-écrans, les actions de leur propre société à des prix avantageux. L’agence de presse suisse Awp écrit, elle, que Jacques de Groote a participé à ce détournement d’actifs en accréditant la thèse d’investisseurs étrangers. Cette escroquerie d’un montant de 800 millions d’euros, dont une partie a été blanchie en Suisse, a donc fini par attirer l’attention de la justice helvétique. Procureur de la République tchèque, Pavel Zeman s’en félicite :

Pavel Zeman | Photo: Šárka Ševčíková,  Radio tchèque
« Il aurait certainement été préférable que cette affaire soit traitée bien avant par un tribunal en République tchèque. Néanmoins, le fait que la justice suisse se soit accaparée cette affaire me semble être l’excellent résultat d’un travail d’équipe. »

Pourtant, la volonté de coopérer des autorités tchèques a longtemps été sujette à caution. Pour que cette coopération se concrétise, il a fallu attendre 2012 et la reprise en main par le juge Ivo Ištván d’un dossier ouvert dès la fin des années 1990.

Surtout, la République tchèque, lésée à hauteur de 80 millions d’euros selon les experts dans cette affaire, ne s’est pas jointe à temps à la procédure suisse pour espérer obtenir réparation. Les Suisses ont pourtant régulièrement demandé aux autorités tchèques si elles souhaitaient faire des démarches allant dans ce sens. Pavel Zeman, qui avait averti à l’époque le gouvernement tchèque qu’il allait perdre l’occasion de récupérer son argent, refuse de nommer les personnes responsables de cette passivité et précise qu’une enquête est en cours pour déterminer les responsabilités du côté tchèque :

« Il n’est pas si simple d’enquêter, car il faut prendre en compte des pièces relativement étendues du dossier et étudier minutieusement chaque rencontre de chacune des personnes concernées. Et nous ne parlons pas d’une ou de deux personnes, mais de plusieurs. »

Antonín Koláček,  photo: CTK
Les ministères tchèques des Finances et de la Justice ont rejeté toute faute, critiquant dans le même temps l’inaction des autorités tchèques. Le ministre des Finances, Jan Fischer, a même annoncé que la République tchèque allait mettre tous les moyens en œuvre pour récupérer son argent. Les cinq managers condamnés, laissés en liberté et qui peuvent faire appel d’un verdict suisse qui n’est pas encore légalement valable, pourraient également être poursuivis pour les mêmes faits par la justice tchèque. Antonin Koláček, un des deux seuls accusés à avoir assisté au procès, est revenu à Prague et a déclaré « se sentir innocent ».

L’autre point sensible de l’affaire MUS concerne le rôle joué à l’époque par le gouvernement de Miloš Zeman, l’actuel chef de l’Etat. Celui-ci a décidé la vente par coupons de MUS, alors même que des soupçons existaient et avaient circulé dans les médias sur la possibilité que des cadres de l’entreprise la manipulent. Dans un entretien accordé au site lidovky.cz, Roman Češka, directeur avant 1998 du Fonds des biens nationaux en charge de la supervision des privatisations, se déclare « profondément certain » que des actes de corruption ont entaché la prise de décision du gouvernement de Miloš Zeman.