Miloš Zeman, le retour du renard rusé

Miloš Zeman, photo: CTK

Ce n’est pas Zorro, mais presque. En tous les cas, c’est bien un renard, en l’occurrence de la politique, qui revient aux affaires. « Zeman est de retour » était d’ailleurs le gros titre qui figurait ce lundi en une du quotidien Lidové noviny. C’est une évidence : bien qu’ils soient tenus à une certaine réserve, l’élection de Miloš Zeman nouveau président de la République pour les cinq prochaines années a suscité un enthousiasme très relatif dans les médias tchèques. Et pas même encore installé dans ses nouveaux appartements au Château de Prague, le futur nouveau chef de l’Etat n’a pas failli à sa réputation de « fort en gueule » puisqu’il a déjà fait savoir qu’il souhaitait l’organisation d’élections législatives anticipées pour remplacer l’actuelle coalition gouvernementale. Pour autant, les inquiétudes relatives à la réputation du personnage ne dépassent-t-elles pas la réalité et les avis mitigés voire sceptiques sur sa faculté à rassembler sont-ils tous justifiés ?

Miloš Zeman,  photo: CTK
« Pendant la campagne présidentielle, ce sont le Sparta et le Slavia Prague qui ont joué l’un contre l’autre. Mais maintenant, l’heure a sonné du match de l’équipe nationale de République tchèque. »

C’est une métaphore empruntée au football et une référence au traditionnel derby que Miloš Zeman a choisies pour comparer son affrontement avec son adversaire pour le second tour, Karel Schwarzenberg. Victorieux, et même net vainqueur avec près de 55 % des suffrages, Miloš Zeman promet désormais d’être l’entraîneur des dix millions de Tchèques qui composent l’équipe nationale. Une chose est certaine, l’ancien premier ministre social-démocrate sera bien le président de celui auquel il va succéder au Château de Prague, un Václav Klaus dont il a pourtant été le plus féroce adversaire au tournant des années 1990 et 2000. C’est ce qu’a concédé sur un ton ironique le président sortant, depuis le Chili où il effectue une visite de travail :

Václav Klaus,  photo: CTK
« Mon favori était Miloš Zeman et je ne m’en suis jamais caché. Je suis donc satisfait du résultat, même si ma satisfaction est secondaire. Le plus important est que je peux affirmer que je suis fier du peuple tchèque. Je pense que le peuple tchèque ne s’est pas laissé mener en bateau par l’incroyable campagne médiatique qui a été menée contre Miloš Zeman. Et si je voulais exagérer, je dirais que contrairement à ce qui a été dit et redit ces dernières semaines, la vérité et l’amour ont enfin triomphé du mensonge et de la haine. »

Miloš Zeman élu, beaucoup redoutent que celui-ci s’inscrive désormais dans la continuité du style parfois irritant de Václav Klaus. Cet avis n’est cependant partagé que très partiellement par le politologue Lukáš Macek, directeur de la section centre-européenne à Sciences Po Dijon :

« Ce sont quand même deux personnalités très différentes. Il est difficile aussi de comparer deux présidents qui ont été élus de manière différente. Mais c’est clair que ce sont deux personnalités qui ont des points communs notamment sur le plan d’un certain égocentrisme, un certain sentiment de supériorité. Ils peuvent être perçus comme arrogants dans la manière dont ils traitent leur entourage, leurs interlocuteurs et la presse. De ce point de vue, il y aurait des points communs. Sur le fond, il y a toute une série de différences. Des prédilections de Klaus où il provoquait des controverses ne seront pas reprises par Zeman qui va au contraire calmer le jeu. Il n’y aura plus ce genre des messages venus de Château de Prague qu’il s’agisse de l’Europe, de la relation à la société civile ou des questions climatiques. Mais il y aura peut être d’autres sujets sur lesquels Zeman va de temps en temps provoquer des controverses. C’est quand même un personnage controversé. »

Miloš Zeman,  photo: CTK
Avant l’élection, les voix de nombreuses personnalités mais aussi de « simples » citoyens, lassés voire même dans certains cas écoeurés par les mœurs et pratiques en cours depuis trop longtemps selon eux dans la vie politique tchèque, s’étaient élevées pour réclamer un changement de discours et d’attitude, moins arrogant et plus en phase avec les préoccupations de la majorité de la population tchèque, dont le moral, comme partout ailleurs en Europe, est marqué par la crise.

Faire table rase de ce passé récent, ou sinon au moins opérer une rupture dans la manière de ‘faire la politique’, revenir à certaines valeurs plus humanistes qui ont marqué début de l’ère Václav Havel au Château de Prague, voilà donc ce à quoi prétendait une frange importante des partisans de Karel Schwarzenberg, candidat défait de ce second tour. Or, pour beaucoup de ses opposants, Miloš Zeman symbolise précisément un retour en arrière, un retour à une incessante lutte d’influence, aux intrigues de couloir, à une quête du pouvoir à tout prix et à tout ce que cela sous-entend en termes d’intérêts personnels.

Mais Miloš Zeman, de retour sur le devant de la scène politique et médiatique, deux domaines dans lesquels il excelle quoi qu’en pensent ses détracteurs, incarne-t-il encore réellement aujourd’hui, après plusieurs années passées en retrait et en retraite, toutes ces craintes ? Celles-ci ont-elles vraiment raison d’être ? S’il est encore trop tôt pour répondre à ces questions, Alain Soubigou, historien spécialiste de l’Europe centrale, estime néanmoins que même si avec Miloš Zeman succédant à Václav Klaus à la tête de l’Etat, ce sont deux dinosaures de la politique tchèque qui se passent le relais, il convient de rester prudent dans la formulation de jugements trop hâtifs et condamnateurs. Et selon Alain Soubigou, il faut même s’attendre à certains changements positifs et à un style moins conflictuel que celui qui a été celui de Václav Klaus pendant ses deux quinquennats :

Miloš Zeman,  photo: CTK
« Le style de Zeman, son sens de la politique, sa prudence, sons sens de la ruse l’amèneront sans doute à mesurer un peu ses propos. Regardez son physique : sa rondeur, sa voix caverneuse l’amèneront sans doute à peser de manière beaucoup moins brutale qu’on ne pourrait l’imaginer quand on voit le physique quasiment de rugbyman dont est doté Miloš Zeman. Je pense que sa longue carrière depuis 1989, et même avant, témoigne de son sens du compromis, même si certains de ses adversaires parlent plutôt de compromission, car il a dans son entourage des gens avec un passé pas toujours très clair. Mais je doute qu’il heurte autant que son prédécesseur immédiat, notamment en matière de politique internationale. Je doute qu’il aille à contrecourant, je formulerais même une hypothèse inverse. »

Même si les prochaines semaines nous en donneront très probablement un premier aperçu, il faudra attendre le 8 mars prochain et son entrée officielle en fonction pour savoir si Miloš Zeman, comme son prédécesseur Václav Klaus, sera un président plus enclin à diviser les Tchèques ou si, au contraire et comme il le prétend, il a la volonté et la capacité de les rassembler, ne serait-ce que partiellement.