Manif et commémoration : un week-end marqué aussi par les regrets (et les cravates) du Premier ministre sous pression

L'esplanade de Letná, Prague, photo: ČTK/Roman Vondrouš

Samedi, environ 250 000 personnes se sont à nouveau mobilisées dans la capitale tchèque pour faire pression sur Andrej Babiš. Le lendemain était célébré le trentième anniversaire de la révolution de Velours. Le chef du gouvernement a pris la parole dans la matinée pour rendre hommage aux dissidents et surtout pour évoquer son appartenance au Parti communiste avant 1989.

L'esplanade de Letná,  Prague,  photo: ČTK/Roman Vondrouš

« Andrej Babiš est déjà en position de hors-jeu et devrait être sifflé » : une métaphore footballistique de la part de Mikuláš Minář, leader d’« Un million de moments pour la démocratie », à l’initiative du grand rassemblement de samedi.

Mikuláš Minář,  photo: ČTK/Michal Kamaryt
Comme en juin dernier sur l’esplanade de Letná, le collectif a formulé des demandes adressées au Premier ministre pour que soit limogée sa ministre de la Justice et pour qu’il tire les conséquences de ses problèmes avec les institutions nationales et européennes en raison de « son énorme conflit d’intérêts ».

« Et si l'Europe a vocation à être forte, elle doit défendre l'Etat de droit, la démocratie et les droits de l'Homme. Nous défendons cette Europe, mais nous avons également besoin que cette Europe nous soutienne ! ».

Ce discours en français a été lu lors de la manifestation par Michaela Lebeda, qui coordonne la branche bruxelloise d’Un million de moments pour la démocratie :

« Cela commence à mettre une pression sur le Premier ministre et on est bien placé à Bruxelles pour savoir que ce qui se passe en Tchéquie a une influence sur la position du pays vis-à-vis de nos partenaires européens et internationaux.

L'esplanade de Letná,  Prague,  photo: Martina Schneibergová
Encore plus qu’il y a cinq mois, les participants ont également pointé du doigt le passé d’Andrej Babiš et le fait que son nom figure sur les listes d’anciens agents de la StB, la police communiste tchécoslovaque - dimanche, on fêtait à Prague le trentième anniversaire de la chute du régime.

Comme les années précédentes, Andrej Babiš a donc dû se rendre à l’aube devant le monument dédié à la révolution de Velours du 17 novembre pour déposer des fleurs, dans le centre de Prague. Comme les années précédentes, cela ne l’a pas empêché d’être la cible de sifflets et quolibets.

Mais à la levée du jour, le Premier ministre annonçait déjà la couleur et évoquait une surprise, tout en se trompant dans l’ordre des couleurs sur sa cravate – le motif tricolore était russe et non tchèque.

Quelques minutes plus tard, Andrej Babiš avait changé de cravate avant de prononcer un discours au Musée national, devant plusieurs anciens dissidents et ses homologues des pays du groupe de Visegrad ainsi que le président du Bundestag.

Andrej Babiš,  photo: Ondřej Tomšů
« Le courage de Václav Havel sous le communisme et pendant la révolution de Velours était admirable (…). Comme vous le savez certainement, j’étais membre du Parti communiste. Je n’en suis pas fier. Comme je l’ai déjà dit de nombreuses fois, je n’ai pas été à cette époque aussi courageux et engagé que Havel, par ailleurs je n’étais pas en Tchécoslovaquie en novembre 1989. »

« Aujourd’hui je suis ici, Premier ministre de notre pays, élu lors d’élections libres et démocratiques. C’est pourquoi je voudrais au moins rétroactivement exprimer humblement ma gratitude. »

Andrej Babiš amené à résipiscence par le succès du mouvement qui conteste son pouvoir « oligarchique » ? En tout cas pour plusieurs commentateurs en ce début de semaine, en faisant amende honorable, le Premier ministre s’est bien sorti d’un week-end qui s’annonçait compliqué pour lui. Jindřich Šídlo :

« Je pense que c’était le meilleur discours d’Andrej Babiš depuis son entrée en politique. Certains m’ont fait observer qu’il avait sûrement été écrit par l’aile modérée de son service de relations publiques. Mais qu’importe qui l’a écrit, ce discours était bien écrit. C’était un discours conciliant, dans lequel Andrej Babiš a concédé ne pas avoir été aussi courageux que d’autres, qu’il a remerciés pour leur courage. Dès ce lundi le ton va changer bien sûr, parce que telle est la politique, mais pour un 17 novembre je n’attendais pas autre chose. »

Národní třída,  photo: Štěpánka Budková
Ce 17 novembre, à Prague comme à Bratislava, a été célébré de belle manière avec de nombreux événements pour l’occasion, notamment sur l’Avenue nationale, Národní třída, où se trouvait également Dominika Pfister de l’association Korzo :

« Nous célébrons ici les 30 ans de la révolution de Velours qui a mis fin à la quarantaine d’années de régime communiste. Les étudiants ont manifesté ici et nous nous rassemblons ici pour commémorer ce moment. Korzo est une équipe de trente étudiants tous nés après la révolution, ce qui ne veut pas dire que nous ne nous rendons pas compte que la liberté n’est pas automatique. »

Après ce week-end de contestation et de commémoration, la presse de ce lundi spécule sur la suite des événements à Prague. Le collectif Un million de moments pour la démocratie prévoit des formes de protestation « plus créatives » l’année prochaine si Andrej Babiš ne limoge pas sa ministre de la Justice ou ne démissionne pas avant la fin de l’année.

Lentement mais sûrement, la Tchéquie se rapproche donc de ce que les Français appellent la trêve des confiseurs. Les Tchèques commencent à préparer leurs confiseries et autres petits gâteaux de noël dès le début du mois de décembre. Donc la suite, ce sera vraisemblablement après la carpe de noël et même après les lentilles du Jour de l’an…

Place Venceslas,  photo: Štěpánka Budková