Madame antimafia à la présidence du ministère public

Lenka Bradáčová, photo: CTK

Après un mois d’hésitations et de polémiques les plus diverses, Lenka Bradáčová a finalement bien été nommée présidente du ministère public supérieur de Prague. La décision a été annoncée, lundi, par le ministre de la Justice, Pavel Blažek. La candidature de la désormais ex-procureure d’Ústí nad Labem, personnage central dans l’arrestation au printemps dernier du très influent député social-démocrate David Rath, avait été proposée par le président du ministère public suprême, Pavel Zeman. Parfois surnommée « la Cattani en jupons » en référence au commissaire du célèbre feuilleton italien des années 1980 « La Mafia », Lenka Bradáčová, qui a déjà suivi plusieurs affaires très médiatiques, a la réputation d’une juriste intransigeante et incorruptible.

Pavel Blažek et Lenka Bradáčová,  photo: CTK
La décision prise par le ministre de la Justice a été bien accueillie par nombre de politologues, pour lesquels la nomination fait naître l’espoir de voir apparaître une plus grande indépendance du ministère public supérieur vis-à-vis du pouvoir exécutif. Son prédécesseur, Vlastimil Rampula, avait été contraint de démissionner pour sa passivité dans certaines affaires, entre autres celles de la privatisation de la société minière Mostecká Uhelná ou de la location au montant surévalué des avions de chasse Gripen par l’armée tchèque à la Suède ; autant d’affaires sur lesquelles planent depuis plusieurs années d’importants soupçons de corruption. La nomination de Lenka Bradáčová est également plutôt bien vue, ne serait-ce que publiquement, par la plupart des partis politiques.

Pourtant, lorsque l’ancien ministre de la Justice, Jiří Pospíšil, avait été démis de ses fonctions fin juin, officiellement pour son incapacité à respecter la discipline budgétaire imposée à tous ses collègues par le ministre des Finances, beaucoup d’observateurs et d’adversaires du chef du gouvernement avaient estimé que ce limogeage surprise avait été motivé par la crainte de le voir justement nommer Lenka Bradáčová à la tête du parquet. En effet, celle-ci épouvanterait les partis politiques, et notamment le Parti civique démocrate (ODS) du Premier ministre Petr Nečas. Beaucoup pensent en effet qu’en devenant présidente du ministère public supérieur de Prague, Lenka Bradáčová va vouloir enquêter sur plusieurs affaires mettant en cause les plus hautes sphères du gouvernement. C’est d’ailleurs ce qu’elle a elle-même confirmé lundi :

Lenka Bradáčová,  photo: CTK
« Je tiens à ce que nous procédions et progressions très rapidement dans toutes les affaires pour ne pas qu’elles traînent en longueur. Chaque mois qui passe diminue les possibilités, dans le sens où les preuves perdent de leur force. Il faut donc prendre rapidement des décisions, car s’il n’y a pas de preuves, il n’est pas possible de prolonger artificiellement une situation où nous faisons du surplace. Si tel est le cas, il faut avoir le courage de dire que l’affaire est classée, parce que nous ne sommes pas en mesure d’établir de preuves. »

Le ministre de la Justice a affirmé avoir pris sa décision sans évoquer la moindre affaire concrète lors de son entretien avec Lenka Bradáčová, et sans qu’aucune condition n’ait donc été posée préalablement à sa nomination.

L’opposition y comprise espère donc que le ministère public va de nouveau remplir pleinement ses fonctions afin de regagner progressivement la confiance de l’opinion publique. Pour cela, il faudra toutefois que le parquet enquête sur les affaires mettant en cause certains politiques et hommes d’affaires parmi les plus influents. Il faudra aussi que Lenka Bradáčová ne finisse pas comme le commissaire Corrado Cattani, assassiné en raison de sa lutte contre la mafia dans le feuilleton italien et auquel elle est parfois comparée. Lenka Bradáčová :

« J’ai déjà dit à plusieurs reprises dans les médias que je ne pouvais pas me permettre de ne pas faire preuve d’une certaine prudence. Je ne peux pas affirmer que je ne crains rien ; certaines personnes savent qu’elles doivent être sur leurs gardes avec moi. Oui, certaines choses me font peur. Mais j’ai pris la décision de remplir les fonctions de procureure et, maintenant, j’ai accepté d’être nommée présidente du ministère public supérieur de Prague. J’agis donc en conséquence. Mais cela n’enlève rien au fait qu’il y a parfois effectivement certaines situations qui me font réfléchir à toutes les éventualités possibles. »