L’Institut pour l’étude des régimes totalitaires : institution politique ou scientifique ?

L'Institut pour l'étude des régimes totalitaires (ÚSTR), photo: Google Maps

L’Institut pour l’étude des régimes totalitaires (ÚSTR) aura un nouveau directeur, le cinquième depuis sa fondation en 2007. Mercredi, le conseil de l’Institut a révoqué le chef de celui-ci et ancien prêtre Daniel Herman qui n’en était qu’à la moitié de son mandat entamé en 2010. On lui reproche, tout comme à ses prédécesseurs, de ne pas avoir avancé dans la numérisation des documents d’archives qui se rapportent notamment à l’époque du communisme. Pour l’ancien directeur, ainsi que pour une partie de la scène politique, sa révocation est le résultat des efforts de l’opposition de gauche de manipuler l’histoire du pays.

L'Institut pour l'étude des régimes totalitaires  (ÚSTR),  photo: Google Maps
La courte existence de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, institution ô combien importante pour la mémoire collective des Tchèques, est presqu’autant tourmentée et controversée que la période qu’elle est chargée d’examiner. L’Institut a été fondé par l’Etat tchèque avec l’objectif de rassembler, analyser et publier de façon neutre et objective des documents datant de l’époque de l’occupation nazie du pays et de la période entre 1948 et 1990. Destinées à être numérisées et rendues accessibles au public, ces archives représentent environ 17 km de documents, parmi lesquels ceux de l’ancienne police secrète communiste, la StB.

La création-même de l’Institut a été contestée par les partis de gauche, estimant que cette institution était superflue et risquait de mal interpréter le passé communiste. Trois historiens se sont succédés à la tête de l’Institut, avant que le conseil de celui-ci n’opte, en 2010, pour un ecclésiastique, Daniel Herman, ancien prêtre et porte-parole de la Conférence épiscopale tchèque. Petruška Šustrová, journaliste, ancienne dissidente et présidente, depuis janvier 2013, du conseil de l’Institut, explique les raisons de la destitution de Daniel Herman :

Petruška Šustrová,  photo: Vendula Uhlíková,  ČRo
« Depuis sa nomination, il y a deux ans et demi, le directeur n’a pas su faire évoluer cette institution, faire ce qui devait être fait dès la fondation de celle-ci : il n’a présenté aucune stratégie, nous ne savons pas comment sont effectuées les études et les analyses au sein de l’Institut. La numérisation des archives manque, elle aussi, de système, de conception. Je pense que ces archives devraient être accessibles au public sur Internet, de la même manière que les documents de la Bibliothèque nationale par exemple. On devrait pouvoir les consulter, en utilisant évidemment un mot de passe unique, et se faire une opinion soi-même. Mais ce projet n’a jamais été mené à bien. »

Pour sa part, Daniel Herman réfute résolument ces arguments, en soulignant qu’en l’espace de cinq ans, 20% des archives ont été numérisés. Mais il est persuadé que cette numérisation et publication n’est pas souhaitable pour certains individus dont le passé est entaché par un engagement sous le régime totalitaire. D’où, selon lui, des pressions politiques dont il se dit être la victime, pressions qui seraient exercées par les partis de gauche, majoritaires au Sénat. C’est ce dernier qui a élu, au début de l’année, un nouveau conseil de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, celui précisément qui vient de révoquer Daniel Herman. On l’écoute :

Daniel Herman,  photo: CTK
« Les problèmes au niveau de la gestion de l’Institut qui me sont reprochés sont secondaires et ont émergé après l’élection du nouveau conseil. Jusqu’à la fin de l’année dernière, je n’ai remarqué aucune critique. Je suis persuadé que ma révocation est un geste politique, initié par certains membres du Parti social-démocrate et soutenu par le Parti communiste. »

Le limogeage de Daniel Herman a été fortement désapprouvé par le Premier ministre Petr Nečas, chef de l’ODS, principal parti de droite du pays. Pour lui, « ces changements de la gestion de l’Institut visent à le transformer en un institut de marxisme-léninisme ».

Le Parti social-démocrate ČSSD, en tête de l’opposition, n’a pas tardé à réagir : tout en admettant que sur sept membres du conseil de l’Institut, deux sont liés à la social-démocratie, le vice-président du ČSSD Lubomír Zaorálek a déclaré que son parti n’avait pas été consulté dans cette question. Et le président du ČSSD Bohuslav Sobotka d’ajouter que « de manière générale, le parti favorise la dépolitisation de l’Institut et sa transformation en une institution scientifique proprement dite. »

Difficile, semble-t-il, d’atteindre cet objectif, visé par tous les précédents directeurs et par Pavla Foglová qui succède à Daniel Herman. Nombreux sont ceux qui doutent d’ores et déjà que cette mathématicienne, traductrice, journaliste et ancienne directrice du Centre tchèque de Varsovie soit la personne la mieux placée pour donner une visée scientifique à cette institution. Elle sera à sa tête jusqu’à la désignation d’un nouveau directeur, en avril 2014.