Les trois vies de Vlasta Chramostová

Vlasta Chramostová, photo: ČT

Elle disait d’elle-même qu’elle avait eu trois vies : une vie de comédienne à succès, une vie de dissidente frappée de l’interdiction de jouer en public, et une troisième vie, marquée par son retour sur les planches et sur grand écran. Vlasta Chramostová, grande dame du théâtre et du cinéma tchèques et signataire de la Charte 77, est décédée, dimanche à l’âge de 92 ans.

Vlasta Chramostová,  photo: ČT

« Si quelqu’un mérite des funérailles avec honneurs nationaux, c’est bien Vlasta Chramostová. » Quelques jours après la polémique liée aux funérailles d’une autre légende tchèque, le chanteur Karel Gott, la phrase du président de la Cour constitutionnelle et ancien signataire de la Charte 77, Pavel Rychetský, n’est pas passée inaperçue et lui a valu un recadrage du président Miloš Zeman, pour qui le magistrat « n’a pas à se mêler de politique ».

Difficile, pourtant, de ne pas être politique, en Tchéquie, même lorsqu’il s’agit du décès d’une grande figure culturelle, tant politique et culture ont été étroitement liées au cours du demi-siècle écoulé. Et dans la vie de Vlasta Chramostová ce fut particulièrement le cas.

Vlasta Chramostová,  photo: ČT
Née le 17 novembre 1926 à Brno (Moravie), Vlasta Chramostová fait le conservatoire et après quelques rôles dans sa ville natale, se fixe en 1950 à Prague : sur la scène de ce qui est aujourd’hui le Théâtre de Vinohrady, elle interprète quelques grandes figures dramatiques comme Marie Stuart, Antigone ou encore Roxane dans Cyrano de Bergerac. Les premières années qui suivent l’arrivée au pouvoir des communistes sont rudes : sous pression, Vlasta Chramostová accepte de collaborer avec la police politique, la StB, et entre au parti communiste.

Alors même que cette collaboration est tout sauf zélée, elle porte le poids de cette erreur de jeunesse sur sa conscience toute sa vie. Après 1989, elle tente de s’en délester à travers ses mémoires, rédigées avec une honnêteté sans concession. Pour son amie et ancienne opposante, la sociologue, Jiřina Šiklová, la suite de la vie de Vlasta Chramostová ne laisse toutefois aucun doute sur la valeur de son engagement dans la dissidence :

« Elle faisait partie des gens essentiels. De ceux dont il était essentiel qu’ils figurent parmi nous. »

Rudolf Hrušínský et Vlasta Chramostová dans en 'L’incinérateur de cadavres',  photo: ČT
Car en 1977, Vlasta Chramostová est une des premières à signer la Charte 77, document fondateur de la dissidence tchécoslovaque qui demande au pouvoir communiste de respecter ses engagements internationaux en matière de droits de l’Homme. A l’époque, cela fait déjà depuis près de dix ans qu’elle est interdite d’exercer son métier : en 1968, date d’un de ses films les plus emblématiques, L’incinérateur de cadavres, aux côtés de Rudolf Hrušínský, elle critique l’occupation de son pays par les troupes du Pacte de Varsovie. Commence alors pour elle une longue période de censure, d’abord à la télévision, la radio et le cinéma, puis à partir de 1972, au théâtre.

Stanislav Milota et Vlasta Chramostová,  photo: SedlacekVojta,  CC BY-SA 4.0
Avec son mari et compagnon, le caméraman Stanislav Milota, décédé au début de 2019, elle vit modestement à la campagne et fabrique des lampes à partir de bris de verre. Vlasta Chramostová renoue avec le jeu d’acteur en organisant des représentations théâtrales en appartement à destination du petit milieu de la dissidence. En avril 1989, elle fait l’objet de poursuites judiciaires par les autorités communistes en raison de sa participation à la Semaine Palach, première manifestation d’importance depuis 1969, en hommage au sacrifice de l’étudiant tchèque.

Pavel Rychetský qui a bien connu la comédienne, dans les cercles de l’opposition, lui a rendu hommage au micro de la Radio publique tchèque :

« Pour moi Vlasta Chramostová restera dans les mémoires comme un exemple incroyable de courage et en même temps de droiture. C’était une grande personnalité. Par rectitude morale, elle n’a pas hésité à sacrifier une grande carrière de comédienne. Il faut rappeler que dans le cadre des représentations théâtrales clandestines en appartement, elle a interprété de manière fantastique Lady McBeth et d’autres rôles. C’est donc une personne que nous ne devons pas oublier et qui a contribué à faire de notre pays ce qu’il est aujourd’hui. »

Vlasta Chramostová dans le film de Václav Havel 'Sur le départ',  photo: ČT
En 1989, devant la foule rassemblée sur l’esplanade de Letná, le dramaturge et futur président tchèque Václav Havel, l’appelle à venir à la tribune, où la comédienne interdite est acclamée par un public qui ne l’a pas vue sur les planches depuis près de deux décennies. Le changement de régime permet à Vlasta Chramostová de retrouver le feu des projecteurs. En 2011, elle joue son dernier rôle au cinéma dans le film de Václav Havel, Sur le départ, tiré de sa pièce éponyme. Entretemps, elle aura également vécu une troisième carrière théâtrale sur laquelle elle était revenue il y a trois ans, avec un sens de l’humour réjouissant :

« A partir de 1989, j’ai eu la chance de pouvoir vivre encore vingt saisons au Théâtre national, et j’ai pu y jouer encore vingt-deux rôles. C’était magnifique. J’ai arrêté à l’âge de 84 ans. Passé ce cap, on est quelque peu décati… »

Les obsèques de Vlasta Chramostová, avec honneurs nationaux comme l’a confirmé le ministre de la Culture, se dérouleront le 14 octobre prochain au Théâtre national de Prague.