La République tchèque « très inquiète » du regain de tensions entre la Russie et l’Ukraine

Le pont de Kertch, Crimée, photo: ČTK/AP

Le regain de tensions entre la Russie et l’Ukraine, suite au grave incident survenu dimanche entre les marines des deux pays en mer d’Azov, suscite l’inquiétude d’une bonne partie de la communauté internationale. En République tchèque aussi, on voit d’un très mauvais œil l’évolution de la situation dans cette région. Dès lundi, le ministère des Affaires étrangères a appelé les deux parties à l’apaisement, tout en restant ferme vis-à-vis de la Russie.

Le pont de Kertch,  Crimée,  photo: ČTK/AP
« L’annexion de la Crimée par la Russie est inacceptable pour nous, celle des eaux de la mer d’Azov l’est tout autant », a clairement fait savoir le ministre Tomáš Petříček sur son compte Twitter, avant la publication d’un communiqué officiel du ministère.

L’escalade des tensions en mer d’Azov autour du détroit de Kertch, dimanche, fait craindre un retour aux pires heures du conflit dans le Donbass, en 2014-2015, lorsque l’armée russe était intervenue sur le territoire de son voisin. A l’époque, l’Ukraine n’avait pas franchi le pas, comme elle l’a finalement fait lundi : le Parlement ukrainien a en effet accepté la proposition du président Petro Porochenko de placer une partie du pays sous le régime de la loi martiale, pour une durée de trente jours renouvelable.

Petro Porochenko,  photo: ČTK/AP/Efrem Lukatsky
Cette décision fait suite à la flambée de violence survenue ce week-end : l'Ukraine a accusé la Russie d'avoir arraisonné trois de ses navires, après leur avoir tiré dessus. Pour justifier l'arraisonnement et l’« usage d'armes », la Russie accuse les navires ukrainiens « de mener des actions illégales dans les eaux territoriales russes ». Selon Moscou, les navires ont franchi illégalement la frontière russe et n’ont pas obtempéré aux ordres de s'arrêter. La marine ukrainienne conteste vivement cette version.

Pour le général Petr Pavel, ancien chef de l’Etat-major de l’armée tchèque et jusqu’à récemment président du Comité militaire de l’OTAN, la gravité de l’incident n’est pas à négliger :

« S’il s’agit d’un événement isolé avec des moyens réduits, il existe toutefois un vrai potentiel pour qu’il se transforme en conflit d’importance. Les tensions entre la Russie et l’Ukraine sont bien loin d’être ce qu’on pourrait appeler un conflit figé. Ce type de conflit peut escalader très vite. »

Tomáš Petříček,  photo: ČTK / Ondřej Deml
Réagissant à la situation de crise, le chef de la diplomatie, Tomáš Petříček, à l’instar de l’Union européenne et de l’OTAN, a appelé à la désescalade et à la libération des navires ukrainiens et de leur équipage :

« Je veux exprimer la plus vive inquiétude par rapport aux récents développements survenus en mer d’Azov. Le fait que ce week-end s’y soit déroulé un incident armé est quelque chose que nous considérons comme quelque chose de très préoccupant. La situation est très sensible en Ukraine alors que des élections doivent s’y tenir bientôt. Pour nous, il est important que les deux parties fassent baisser la tension. Les deux parties doivent cesser de violer le droit international. Par son blocus, la Russie a clairement montré qu’elle n’avait pas l’intention de respecter le droit international à la liberté de navigation en eaux internationales. Nous considérons cela comme tout à fait fâcheux. »

Sergueï Lavrov,  photo: ČTK/AP/Alexander Zemlianichenko
Depuis l’annexion de la Crimée en 2014, non reconnue par l’Union européenne et la majeure partie de la communauté internationale, Moscou a continué son offensive contre l’Ukraine, non par les armes, mais de manière plus subtile : en grignotant discrètement les eaux de la mer d’Azov, coincée entre les deux pays. Cette petite mer est cruciale notamment pour les exportations de céréales et d’acier produits dans l’est de l’Ukraine, reliée à la mer Noire par le détroit de Kertch.

Suite à l’incident de dimanche, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a accusé l’Ukraine d’utiliser des « méthodes dangereuses » et d’avoir violé des « dispositions-clés du droit international, non seulement maritime ». Mais pour le général Petr Pavel, cette argumentation ne tient pas :

« En 2003, Moscou et Kiev ont signé un accord sur la ‘gestion conjointe’ de la mer d’Azov et du détroit de Kertch. Cet accord est toujours valable en dépit de la situation sécuritaire actuelle dans la région. Si l’on observe le détroit, il mesure quelques 30 kilomètres de longueur. A l’endroit le plus étroit, il fait 3 kilomètres de large et à l’endroit le plus large, un peu plus de 8 kilomètres. Si le principe des eaux territoriales, dont la largeur maximale est fixée à 12 milles marins soit quelque 22 mètres, était en vigueur ici, n’importe quel passage ici serait une violation des eaux territoriales russes en effet. Mais c’est bien pour cette raison qu’a été signé cet accord, car la mer d’Azov est limitrophe des deux pays. Les deux pays l’utilisent, et les deux pays ont le droit d’y naviguer et de passer par le détroit. »

En dépit de cet accord, l’endroit stratégique a continué de susciter des problèmes et l’annexion de la Crimée en 2014 a largement contribué à accroître les revendications russes au large de la péninsule. En 2016, le lancement de la construction par Moscou d’un pont très controversé de 19 kilomètres traversant le détroit de Kertch, pour relier la Crimée annexée à la Russie, n’a rien fait pour arranger la situation.

L’heure est donc aux tentatives d’apaisement du côté de l’Occident. Le président tchèque Miloš Zeman, qui avait pourtant qualifié l’annexion de la Crimée de « fait accompli » suscitant de nombreuses critiques, a salué les efforts de la chancelière allemande Angela Merkel pour tenter d’intercéder entre Kiev et Moscou.