La Pleurante des rues de Prague, un « roman prêt pour la scène »

Depuis mardi et jusqu’au 9 octobre, le Théâtre des Déchargeurs à Paris propose La Pleurante des rues de Prague, une adaptation par la comédienne Claire Ruppli du livre éponyme de Sylvie Germain. L’occasion de parler une fois encore de ce livre qui a pour cadre la capitale tchèque.

« Ce roman se présente sous forme d’apparitions. Chaque chapitre est comme une chronique. ‘Pleurante’, le mot a été inventé, même s’il est un peu à l’image des ‘pleurants’. Elle se ballade dans la ville. C’est une femme, elle n’a pas de visage. C’est une géante, habillée d’une toile d’échaffaudage. Elle apparaît, disparaît, on se sait pas trop qui elle est. Elle fait une visite un peu particulière de Prague puisqu’elle va dans des endroits où à chaque fois elle rappelle la mémoire de la ville. A un moment elle passe dans une maison et vient à sa mémoire, le souvenir de Bruno Schultz... »

L’écrivain juif polonais décédé en 1942...

Bruno Schultz
« Il a été tué en pleine rue... A un autre moment ce sont les enfants de Terezin. A chaque fois cette ballade est très poétique, très sensorielle puisqu’elle fait appel à la fois à la mémoire, à la couleur, à la lumière, aux odeurs de la ville. On se laisse donc porter par cette femme. En tant que narratrice, puisque Sylvie Germain se situe comme narratrice, elle parle à la première personne, je me laisse porter par cette figure. »

C’est donc un roman à la base. Comment passe-t-on du roman à la scène ?

« Moi si j’ai voulu le monter au théâtre c’est qu’effectivement déjà dans la thématique du texte, ça parle de la présence au monde. Parce que cette pleurante se ballade entre les morts et les vivants. On la voit et elle disparaît. Elle est dans l’ombre, dans la lumière. Le texte est très lyrique, il y a un souffle. Ça parle à la première personne et quand on lit ce texte, on voit qu’il est très oral. Donc il y a un souffle qui est prêt pour la scène, qui est poétique et donc prêt à être donné et entendu. Après, j’ai complètement respecté le roman. C’est écrit sous forme d’apparitions qui scandent le spectacle. A chaque apparition les atmosphères changent, donc aussi la lumière. Tout est écrit en fait dans le texte d’origine. Elle raconte tout, elle dit ce qu’elle voit, même si c’est invisible. Elle donne plein d’indices, comme un détective... On a donc des indices de lumière et de son. »

C’est comme des indications scéniques, des didascalies...

« Tout à fait. Je m’en suis donc aussi un peu servi. Avec mon créateur lumière on s’est dit : tiens, ici, il y a du brouillard, là, la lumière est plus forte, là c’est du soleil. La lumière rythme le spectacle en même temps que ce qui est écrit dans le texte. »

Vous aviez monté cette pièce au festival d’Avignon en 2009. Nous avions eu l’occasion de parler avec vous à ce moment-là. Aujourd’hui, vous la présentez dans un petit théâtre parisien...

« C’est au Théâtre des Déchargeurs, un petit théâtre en plein cœur de Paris, dans la mémoire de Paris. Autant à Avignon j’avais joué dans une petite chapelle. J’avais cherché un lieu de mémoire, et je m’étais dit qu’en Avignon, c’était les chapelles, les églises. Là, la pièce avait pris toute sa force dans cette chapelle parce que c’est vraiment les murs d’Avignon. A Paris pareil. Je me suis dit que j’allais chercher un lieu qui porte la mémoire de la ville. Le Théâtre des Déchargeurs est au coeur de la ville, c’est un vieux théâtre... A l’époque, les déchargeurs étaient, je crois, ceux qui déchargaient les marchandises des Halles. Ce théâtre a toute une histoire puisqu’à l’époque il y a même un écrivain public qui y demeurait. Donc il y a aussi un rapport à l’écriture, au livre, à la lettre. Par contre, là, l’espace du plateau est une boîte noire. On m’a déjà dit qu’au moment où je suis dans la boîte noire, le texte prend encore plus d’ampleur parce que le lieu n’existe pas. C’est le lieu du théâtre, mais la boîte noire ouvre l’univers, l’imaginaire à autre chose alors que jouer sous une voûte dans une chapelle, ça inscrit quand même quelque chose... »