Invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 : le chef des communistes tchèques met de l’huile sur le feu

Vojtěch Filip, photo: Luboš Vedral, ČRo

A désormais moins d’une semaine du 50e anniversaire de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie, une polémique a éclaté sur la scène politique et dans les médias tchèque suite aux déclarations faites par le chef du parti communiste, Vojtěch Filip, selon lesquelles la force principale qui composait les armées provenait d’Ukraine et non de Russie.

Vojtěch Filip,  photo: Luboš Vedral,  ČRo
Dans un entretien accordé au journal britannique The Guardian, Vojtěch Filip a indirectement accusé les Ukrainiens d’être les principaux responsables de l’intervention militaire pour écraser le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie en août 1968. Pour rappel, des soldats soviétiques, polonais, hongrois, bulgares et allemands de l’Est ont participé à cette opération qui a traumatisé les sociétés tchèque et slovaque et dont le déroulement, aujourd’hui encore, suscite une vive émotion. « Les Russes ne sont pas responsables de l’invasion en 1968, Brejnev était un Ukrainien », aurait ainsi déclaré le leader du Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM), si l’on s’en tient par exemple au titre de mardi d’idnes.cz, un des sites d’information les plus lus en République tchèque. Toujours dans l’article publié dimanche dernier par le journal britannique (cf. : https://www.theguardian.com/world/2018/aug/12/czech-communists-confront-bitter-legacy-of-prague-spring), Vojtěch Filip affirme que l’interprétation de l’histoire est « falsifiée à 100 % ».

Ces propos ont suscité de nombreuses critiques, notamment à droite de l'échiquier politique. « Selon cette logique, les Allemands ne sont pas responsables de la Deuxième Guerre mondiale, parce que Hitler était un Autrichien », a ainsi par exemple réagi Markéta Pekarová-Adamová, une députée du parti conservateur TOP 09. La sortie de Vojtěch Filip, chef du seul parti communiste dans les anciens pays satellites de l’Union soviétique qui n’ait pas été réformé après la révolution de 1989, a également suscité des réactions négatives en Ukraine, où on rappelle que si Leonid Brejnev est bien né dans l’est de l’actuelle Ukraine dans les environs de la ville de Dnipro, son père était russe et que sa nationalité, parfois ukrainienne, parfois russe, n’était pas clairement établie et différait selon les documents.

Dans un entretien accordé à Alimuddin Usamani, un ancien collaborateur de Radio Prague, et mis en ligne ce jeudi sur YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=fY3LLZU36YU), Vojtěch Filip a précisé le fond de sa pensée. Voici l’intégralité de sa réponse à la question portant sur les événements du 21 août 1968 :

Août 1968,  photo: CIA,  Flickr,  public domain
« J’ai dit qu’on ne pouvait pas accuser le KSČM de quelque chose qu’il n’a pas pu causer, à savoir l’entrée des troupes de cinq pays du Pacte de Varsovie dans l’ancienne Tchécoslovaquie, parce que le KSČM a été fondé en 1990. Quant à la décision en tant que telle de l’invasion, j’ai dit qu’on ne pouvait pas incriminer non plus la Russie parce que celle-ci faisait alors partie de l’Union soviétique et que celle-ci n’existe plus aujourd’hui. Que certains journalistes aient déformé mes propos notamment en ne retenant que ma déclaration relative au fait que le seul représentant russe du Politburo se soit prononcé contre l’invasion alors que les autres, à l’exception du représentant lituanien qui s’est abstenu, y étaient favorables et que Léonid Brejnev était ukrainien, est une autre affaire. Les journalistes n’ont retenu que la partie de ma déclaration relative aux Ukrainiens, mais pas celle par exemple sur les Kirghizes. Il est évident que beaucoup de gens ne veulent pas entendre la vérité à propos de 1968 et qu’ils veulent s’en servir comme argument pour nuire au KSČM. La position de notre parti est pourtant très claire : nous considérons que l’entrée des troupes en Tchécoslovaquie a été une erreur des partis communistes parce que nous ne sommes pas parvenus, par une volonté diplomatique et par le consensus, à nous entendre sur le fait que l’ancienne Tchécoslovaquie devait rester un élément stable de l’ancien camp socialiste. Dans le monde bipolaire de l’époque, c’est justement le rapport très clair entre ses deux principaux représentants, à savoir les Etats-Unis et l’URSS, qui permettait de maintenir la stabilité. La conférence d’Helsinki en 1975 a confirmé que ces deux grandes puissances devaient garantir la sécurité et la stabilité en Europe. Mais ce monde bipolaire n’existe plus et si nous voulons analyser les faits historiques, alors nous devons le faire en tenant compte de ce qui s’est réellement passé et non de ce que disent certains que cela arrange aujourd’hui de rejeter toute la faute sur la Russie. A l’époque, la Russie faisait partie de l’URSS au même titre que l’Ukraine, les pays baltes, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et d’autres Etats encore. Incriminer la Russie est donc une absurdité et c’est pour cette raison que j’ai fait cette déclaration. »

A tout cela, le Premier ministre Andrej Babiš, auquel nombreux sont ceux à reprocher d’avoir permis aux communistes et à Vojtěch Filip de se rapprocher du pouvoir, a réagi en déclarant que « l’occupation de la Tchécoslovaquie en 1968 a été une des plus grandes tragédies dans l’histoire du pays et qu’il importait peu de savoir quelles étaient les nationalités des membres du politburo ou des soldats ». Toutefois, selon les documents historiques, outre Brejnev, le Politburo du PC soviétique en 1968 était composé de cinq Russes, d’un Biélorusse, d’un Letton et de trois Ukrainiens…