Il y a 50 ans, Alexander Dubček prenait la tête du Parti communiste, lançant le « Printemps de Prague »

Alexander Dubček (Foto: Tschechisches Fernsehen)

50 ans se sont écoulés ce 5 janvier depuis la nomination d’Alexander Dubček à la tête du parti communiste tchécoslovaque. Figure de proue de l’aile réformatrice du parti à l’époque, promoteur d’un « socialisme à visage humain » après des années de stalinisme pur et dur, il est devenu le symbole de ce qu’on a appelé le « Printemps de Prague », finalement écrasé par les chars du Pacte de Varsovie. Retour sur une figure historique majeure de l’histoire tchèque et slovaque.

Alexander Dubček,  photo: ČT
« Mes chers Pragois, je vous aime. Vous le savez, mais je vous le redis malgré tout. »

L’homme qui prononce ces paroles depuis le balcon des éditions Melantrich sur la place Venceslas, c’est Alexander Dubček. Ce 24 novembre 1989, dans la foule qui est rassemblée malgré le froid, nombreux sont ceux qui connaissent encore le nom de ce politicien slovaque, mais peu d’entre eux l’ont vu en chair et en os, ou bien même à la télévision. Et pour cause. Depuis des années, Alexander Dubček vit en reclus en Slovaquie, travaillant pour l’Administration forestière sous le regard constant de la police politique communiste.

Pourtant vingt ans auparavant, le temps de quelques mois de l’année 1968, Alexander Dubček a été sur tous les fronts, dans les rues, les usines, à la télévision, à la radio... Le 5 janvier 1968, il est nommé premier secrétaire du parti communiste tchécoslovaque, succédant à l’indéboulonnable staliniste Antonin Novotný, balayé par la frange plus réformatrice du parti. Petr Uhl est un ancien dissident au régime communiste, et marxiste proclamé à l’époque, lui-même opposant au régime de Novotný. Il y a quelques années, il s’était souvenu de cette période pour Radio Prague :

« La crise au comité central entre décembre 1967 et janvier 1968, résolue par la démission de Novotny au poste de Premier secrétaire et l’arrivée de Dubček, suivi par un certain nombre de mesures, ont donné naissance au Printemps de Prague et au socialisme à visage humain. L’ensemble de ces événements a convaincu la population qu’il fallait soutenir ce processus. Les gens ne polémiquaient pas pour savoir si le régime de Novotny était socialiste ou pas. C’était nous, les marxistes, très minoritaires, qui en discutions. En 1968, le soutien de la population au Printemps de Prague était actif, elle participait aux changements des rapports sociaux et de la situation politique. Elle y participait activement. »

Petr Uhl,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
Communiste convaincu, Alexander Dubček avait gravi les échelons du parti, fort de son rôle dans la résistance communiste slovaque contre les nazis. Son ascension jusqu’à la plus haute fonction du parti est sous-tendue par plusieurs facteurs dans les années 1960 : une promotion de l’identité slovaque qui va à l’encontre du noyau dur et stalinien du parti, davantage représenté par des Tchèques, et notamment par Novotný, et une prise de conscience qu’il ne peut y avoir de réforme économique en Tchécoslovaquie sans une certaine réforme politique, alors que l’économie planifiée est à bout de souffle. C’est donc aussi une forme de pragmatisme qui régit sa volonté de changement, au moins au début.

Lorsqu’il se retrouve aux manettes en janvier 1968, son « socialisme à visage humain » est porté par une vague de soutien qui inquiète Moscou tout autant qu’elle suscite l’émulation dans la majeure partie de la population. Petr Uhl :

« A partir de mai et surtout juin 1968 au moment où la menace soviétique est devenue réelle, il n’y avait presque personne dans la société tchécoslovaque qui aurait pu oser dire : ‘ je suis contre le socialisme à visage humain.’ Tout le monde soutenait Dubček, Svoboda, Černík, Kriegel et les autres. Bien sûr, il y avait toujours 5 ou 10 % de staliniens, mais cette minorité se taisait et n’avait pas le courage de s’exprimer. Ils ont trouvé le courage après l’intervention… C’était même difficile pour eux, après l’intervention, d’influencer la population dans ce sens-là. Je pense que le socialisme à visage humain était un mot d’ordre qui était valable parce que ce n’était pas un mensonge. »

Alexander Dubček,  photo: ČT
Cette expérience, on le sait, sera vouée à l’échec puisqu’en août 1968, les troupes du pacte de Varsovie entrent en Tchécoslovaquie, occupant le pays pour les vingt années suivantes. A Dubček, on a souvent reproché sa naïveté. Mais aussi une forme de docilité à accepter de signer le Protocole de Moscou qui entérine l’intervention soviétique, puis à voter au printemps 1969 la « loi de la matraque » qui permet la répression de toute opposition au nouveau régime de « normalisation ».

Mais ses années de purgatoire pendant toute la période allant jusqu’à la révolution de Velours suffisent à atténuer ce qui pourrait être sujet à controverse. Et restant malgré tout le symbole d’une liberté retrouvée dans les années 1960, Alexander Dubček réapparaît en 1989 aux côtés du dissident et futur président de la Tchécoslovaquie démocratique, Václav Havel, comme si les deux hommes incarnaient le fil conducteur d’une certaine dignité historique.