Election du nouveau directeur de l'USTR : « il est tout de même très clair qu’on n’a pas tourné la page politique »

Foto: ČTK

Après plusieurs rebondissements, le nouveau directeur de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires (USTR) a enfin été choisi ce jeudi. Cet Institut s’était fait remarquer notamment en révélant ce qu’on appellera l’affaire Kundera, accusant l’écrivain d’origine tchèque de dénonciation au début des années 1950. Beaucoup d’autres polémiques et controverses sur divers changements de personnel ou tout simplement sur la gestion des archives de l’ancienne sécurité d’Etat communiste, la StB, ont donc régulièrement alimenté le débat public et médiatique. Au téléphone, nous avons joint Muriel Blaive. Elle est historienne et chercheuse à l’Institut Ludwig Boltzmann de Vienne. Elle est également l’auteur du très remarqué ‘1956 en Tchécoslovaquie, une déstanilisation manquée’. Elle a été candidate à ce poste de directeur de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, et nous lui avons demandé de nous parler de son expérience de candidate.

Muriel Blaive,  photo: Archives de Muriel Blaive
« C’est une expérience qui m’a assez amusée parce que les conditions dans lesquelles l’appel à candidature s’est fait et dans lesquelles l’entretien s’est réalisé n’étaient pas extrêmement professionnelles d’un point de vue académique. »

Qu’est-ce que ce conseil recherchait à votre avis ?

« C’est un grand mystère et d’ailleurs l’élection du candidat prouve que c’était un grand mystère pour tout le monde puisqu’il a quand même été élu à la surprise générale. Il n’est pas historien et ne s’est jamais fait particulièrement remarqué dans ses positions sur la gestion du passé communiste. Donc on ne sait pas ce que la commission voulait ou recherchait. Ce qui était amusant, ce n’était pas l’entretien en soi, qui s’est pour ma part plutôt bien déroulé, mais plutôt les circonstances de l’appel à candidature. Tous les candidats sont passés au second tour sans aucun examen des dossiers, mais simplement juste avec un examen formel pour vérifier que le dossier était complet. Tout le monde a donc été appelé à l’oral. Cela dit, la date d’oral n’a jamais été précisée sur l’appel à candidature. Pour ma part, j’ai appris dans les journaux que je serai convoquée le 12 août. Evidemment, moi qui n’habite pas en République tchèque, j’ai demandé à ce qu’on me paie mon voyage, ce qu’on a refusé, alors que c’est vraiment la moindre des choses et une pratique tout à fait normale. Ensuite, il était marqué sur l’appel à candidatures que la décision serait rendue le 13 août, et le nouveau directeur entrerait en fonction le 15 août. A moins qu’ils ne veuillent employer un sans-abri qui n’a pas de travail, qui sera prêt à déménager à Prague en deux jours et à quitter son ancien travail, c’est une procédure qui semble assez spéciale. »

Connaissiez-vous les autres candidats ?

« Il y avait trois candidats internes à l’institution qui étaient favoris, ce qui est donc une grosse surprise. Il y avait aussi une femme politique du KDU-CSL. Je ne connais pas les autres. »

Daniel Herman,  photo: CTK
C’est donc Daniel Herman, ancien porte-parole de la conférence épiscopale qui a été choisi. Le connaissez-vous un peu et à votre avis, qu’est-ce qui a fait la différence pour qu’il soit élu ?

« Je ne le connais pas du tout. Ce n’est absolument pas quelqu’un qui est familier du terrain sur la gestion du passé communiste, sur l’histoire du régime communiste. La commission l’a élu mais je pense que c’était une décision prise d’avance. »

Savez-vous ce qui a pu l’amener à être candidat, et ensuite à être choisi ?

« Je ne sais absolument pas. Je ne vois rien du tout dans la position de porte-parole de l’Eglise qui puisse vous préparer à ce genre de travail. Mais il me semble que cela va assez bien avec une entreprise assez conservative ces derniers temps dans la politique tchèque. Je ne sais pas. C’est peut-être une sorte de ‘Kaczyńskisation’ de la République tchèque. Mais cela va assez bien avec les conceptions du nouveau conseiller du Premier ministre qui a des positions extrêmement conservatrices. »

L’Institut était très critiqué, de nombreuses polémiques sont apparues dans les journaux, dans les médias. A votre avis, quelles sont les priorités de ce nouveau directeur et quelles sont ses chances de réussite ?

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« Le nouveau directeur, comme tous les autres candidats, a son projet en ligne sur le site de l’Institut. J’étais justement en train de le lire. C’est un projet qui a l’air très vague, qui a l’air plutôt sympathique de premier abord puisqu’il propose de stabiliser l’Institut, de stabiliser son travail, de coopérer avec d’autres institutions, ce qui sont certainement de très bonnes intentions. Et cela peut peut-être marcher, il est complètement impossible de la dire à l’avance. Par contre, ce que je peux dire, c’est que dans son projet, il n’y a strictement aucune visée scientifique. La seule chose qu’il propose comme ligne scientifique, c’est de continuer à travailler sur le passé dans une vision complexifiée qui permette de décrire les mécanismes du pouvoir totalitaire. Ce qui ne veut strictement rien dire… »

Il s’agit donc plus d’une nomination politique ou médiatique à votre avis ?

« Oui. Et en ce sens, je suis assez déçue parce qu’après toutes les controverses avec les premiers directeurs et pendant les deux premières années de l’Institut, j’avais l’impression qu’ils avaient compris qu’il fallait tourner la page politique et passer à quelque chose de plus sérieux. A moins que ce candidat prouve être une bonne personne, ce qui est possible après tout, il est tout de même très clair qu’on n’a pas tourné la page politique. »