Coronavirus : la fausse affaire des masques pour l’Italie volés par la République tchèque

Des masques et respirateurs qui ont été saisis, le mardi 17 mars, dans la zone industrielle de Losovice, photo: ČTK/Vojtěch Hájek

Dimanche dernier, dans de nombreux médias européens, et notamment français, les autorités tchèques ont été accusées d’avoir confisqué plusieurs centaines de milliers de masques en provenance de Chine qui étaient destinés à l’Italie. A tort cependant, comme se sont empressées de le faire savoir ces mêmes autorités tchèques, embarrassées, tandis que les masques, eux, sont finalement bien arrivés en Italie.

Des masques et respirateurs qui ont été saisis,  le mardi 17 mars,  dans la zone industrielle de Losovice,  photo: ČTK/Vojtěch Hájek

« Coronavirus : la République tchèque vole des masques à l’Italie » - « Coronavirus : la République tchèque saisit des masques destinés à l’Italie »« La République tchèque a soustrait 680 000 masques et respirateurs destinés à l'Italie » - « Coronavirus: des masques de protection destinés à l'Italie détournés par les Tchèques » ou encore « Le scandale des masques pour l’Italie saisis par les Tchèques », ont pu lire, dimanche dernier, les internautes sur de nombreux sites d’information français.

Alors que l’Italie venait d’enregistrer de nouveaux « records » de morts tout au long du week-end, l’affaire, particulièrement fâcheuse il est vrai, a fait grand bruit, France Télévisions diffusant même un reportage (dont vous venez d’entendre un extrait) accusant ouvertement les autorités tchèques d’avoir volé cette cargaison de matériel de protection respiratoire offert par la Chine.

Michel Fleischmann,  photo: Lagardère
Sauf que, vu de Prague, ces accusations sont infondées, les faits n’étant pas avérés. Dimanche en fin d’après-midi, le nouvel ambassadeur tchèque à Paris, Michel Fleischmann, a d’ailleurs réagi à ces allégations en publiant un communiqué visant à replacer l’affaire dans son véritable contexte et rejetant, donc, son traitement par les médias français (cf. : https://www.mzv.cz/paris/fr/republique_tcheque_france/reaction_de_l_ambassadeur_de_la.html). Si l’ambassadeur reconnaît que « le 17 mars, un important stock de masques a été saisi par la Police tchèque sur la base d’un soupçon de comportement frauduleux et activités criminelles » et que « durant l’enquête, il s’est avéré qu’une partie de ce stock était destinée aux autorités italiennes », il précise aussi que « bien conscient de l’urgence de la situation actuelle à laquelle l’Italie fait face, le ministre de l’Intérieur s’est engagé à trouver une issue rapide à la situation, malgré l’enquête qui suit toujours son cours », avant de conclure que « les autorités tchèques sont profondément désolées que ce malentendu ait pu se produire dans une situation où nous sommes tous confrontés à des défis inédits. »

Toujours dans le même communiqué officiel, il est également mentionné que « le ministre des Affaires étrangères a pris contact avec son homologue italien pour l’assurer que la République tchèque allait envoyer en Italie, dans les meilleurs délais, l’équivalent du matériel qui lui était destiné, excédant même la quantité initiale, donc 110 000 masques (au lieu des 101 600 saisis). » Et depuis, ces masques, accompagnés d’une lettre du chef de la diplomatie tchèque, ont effectivement bien été livrés aux autorités italiennes.

Jan Hamáček,  photo: ČTK/Michal Kamaryt
Avant encore cela, vendredi - soit trois jours quand même après la saisie - le ministre de l’Intérieur Jan Hamáček, dont la gestion de la crise du coronavirus est par ailleurs globalement complimentée par les médias tchèques, avait publié sur son compte twitter un message dans lequel il expliquait, lui aussi, que « les douaniers à Lovosice (commune de Bohême du Nord) ont saisi des centaines de milliers de masques, malheureusement l’enquête qui s’en est suivie a révélé que pour une petite partie, il s’agissait d’un don de la Chine à l’Italie. Nous cherchons à savoir ce qu’un don de la Chine pour l’Italie faisait à Lovosice, néanmoins nous communiquons avec les deux pays et je garantis que l’Italie ne sera privée de rien. » Plus officiellement, le ministère de l’Intérieur a également publié un communiqué dans lequel il exprimait ses regrets dans cette affaire qu’il a qualifiée de « malentendu » et précisait qu’il s’agissait d’un don d’une organisation chinoise de la Croix-Rouge destiné aux Chinois vivant en Italie.

Que s’est-il vraiment passé ?

Si cette saisie de matériel sanitaire a fait tant parler en Europe, c’est parce que le quotidien italien La Repubblica, suite à une alerte lancée sur son compte Facebook par le juriste tchèque Lukáš Lev Červinka (https://www.facebook.com/lukas.l.cervinka/posts/10216325104987957), a publié une enquête rapportant la confisquation et la distribution de cette aide humanitaire en République tchèque, et ce alors qu'un message de soutien et de solidarité en chinois et en italien figurait sur les cartons dont les photos ont été mises en ligne.

Des masques et respirateurs qui ont été saisis,  le mardi 17 mars,  dans la zone industrielle de Losovice,  photo: Policie ČR
Dans les faits, ce sont 680 000 masques et 28 000 respirateurs qui ont été saisis, le mardi 17 mars, dans la zone industrielle de Lovosice, où ils étaient stockés, et ce sur décision du président de la région et du ministère de la Santé. Outre les 101 000 masques chinois destinés à l’Italie, le reste (soit donc près de 580 000 masques et l’ensemble des respirateurs) appartenait à une société tchèque (CBA trade) qui s’efforçait de vendre le matériel en question à un prix (32 couronnes – 1,15 euro) jugé excessif par le ministère (qui affirme acheter les masques à 15 couronnes l’unité – 0,55 euros). L’ensemble de la livraison (121 000 cartons) provenait de Hong-Kong, tandis que le montant total de la facture – hors taxes et transport – (dont dispose la Radio tchèque) s’élevait à 7 285 euros (soit donc un prix d’achat de 0,30 couronnes – 0,01 euro – le masque).

Alors que la République tchèque, comme beaucoup d’autres pays européens, est confrontée à une pénurie de masques et que l’état d’urgence a été décrété, c’est donc dans une volonté d’empêcher ce « trafic immoral » que les ministères de la Santé et de l’Intérieur sont intervenus. « Nous ne pouvons pas admettre que n’importe qui profite de la situation pour s’enrichir pendant que la vie des professionnels de la santé et des gens est menacée », avait expliqué le ministre de l’Intérieur dès mardi suite à l’intervention des douanes. Ainsi donc, si les masques ont bien été saisis puis effectivement redistribués en République tchèque, ils n’ont pas été volés, et d’autres ont ensuite été envoyés en Italie.