Christian Lequesne : « Il est dans l’intérêt de la République tchèque de jouer complètement le jeu de l’intégration européenne »

Christian Lequesne, photo: Ministère des Affaires étrangères

Récemment s’est déroulé à Prague un débat sur la place de l’Allemagne en Europe. Il a été organisé conjointement par le Centre d'études et de recherches internationales (CERI) et par l’Institut des Relations Internationales de Prague (IIR). A cette occasion nous nous sommes entretenus, sur divers aspects économiques et politiques qui touchent l’Union européenne, avec Christian Lequesne, directeur du CERI et ancien directeur du Centre français de recherche en sciences sociales de Prague (CEFRES) qui contribue aux colonnes Affaire européennes du quotidien Ouest-France.

Christian Lequesne,  photo: Ministère des Affaires étrangères
Christian Lequesne, l’Union européenne est-elle toujours concentrée sur la gestion des crises ou bien son agenda est-il plus proactif ?

« Je crois qu’elle est toujours en train de régler la question de la crise de l’Eurozone mais à partir des solutions qui sont proposées pour régler la crise, en particulier le fait qu’il faille une discipline dans le domaine fiscal ou la création d’une Union bancaire, on voit apparaître finalement des points d’avenir. On se demande si on doit rester avec les mêmes institutions ou est-ce qu’on doit les réformer. A la gestion de la crise qui n’est pas terminée sont quand même liés des points prospectifs, des points d’avenir. »

Concernant l’Allemagne, est-ce que la culture du fédéralisme institutionnel allemand n’est tout simplement pas compatible avec les autres cultures institutionnelles qui existent dans l’Union européenne ?

« Tout d’abord l’Allemagne n’est pas le seul pays fédéral, il y a la Belgique et l’Autriche notamment. Je pense toutefois que le fédéralisme allemand rend les Allemands plus prompts à accepter que l’on transfére des compétences de régulation à un niveau supérieur. On le voit bien aujourd’hui dans les propositions que font les Allemands autour de l’Union politique. Il s’agit d’essayer de confier d’avantages aux institutions centrales que sont la Commission et la Cour de Justice, des tâches de contrôle de l’Eurozone et plus largement de l’Union économique et monétaire. C’est vrai qu’avec leur culture du fédéralisme, les Allemands sont plus prêts, peut-être, à accepter cela que d’autres Etats d’Europe comme la France ou la République tchèque. »

A propos de la République tchèque justement, quelle analyse faites-vous de l’annonce faite par le gouvernement Nečas de sa volonté de bloquer la création de l’Union bancaire ?

Petr Nečas,  photo: CTK
« C’est assez étonnant parce que quand on regarde le système bancaire tchèque il est dans l’ensemble constitué d’investissements d’autres pays de l’Union européenne. Les banques tchèques ont été très largement rachetées dans les années 1990 par des banques françaises et allemandes notamment. Il serait tout à fait dans l’intérêt de la République tchèque, qui est très dépendante du marché intérieur, de jouer complètement le jeu de l’intégration européenne, de l’entrée à terme dans l’Eurozone. Là, on a exactement la réaction inverse qui ressemble un peu à la réaction britannique. C’est assez difficile à comprendre du point de vue de la rationnalité politique. On doit vraisemblablement trouver des réponses ailleurs. Je pense qu’il y a un peu cette idée qu’on doit résister au fédéralisme qui serait rampant mais je crains qu’on surestime l’idéologie fédéraliste en République tchèque qui existerait dans les autres pays. A mon avis, elle n’est pas aussi forte que cela. Ce ne serait pas la première fois qu’en politique on combatte un ennemi qui n’existe pas. »

Pouvez-vous nous dire enfin un mot sur le clivage Est-Ouest qui existe sur la notion d’Etat-providence ?

C’est presque paradoxal mais le communisme a mieux préparé au libéralisme que l’Etat-providence d’Europe de l’Ouest.

« C’est effectivement une question importante. Quand on regarde les réactions des sociétés aujourd’hui à l’égard de l’Europe dans les pays qui ont connu l’Etat-providence au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui étaient donc les pays de ‘l’Ouest’, ceux qui avaient la chance d’être du bon côté du rideau de fer, on observe des oppositions. Il y a l’idée que l’Union européenne serait un marché à l’encontre de la protection sociale et de santé notamment. J’ai l’impression que c’est moins vrai dans les pays d’Europe centrale qui ont connu le communisme car on est passé directement du communisme au libéralisme des années 1990. On a peut-être développé ici plus d’adaptablité à la question du marché. C’est presque paradoxal mais le communisme a mieux préparé au libéralisme que l’Etat-providence d’Europe de l’Ouest. Il y a toutefois des nuances, on ne peut pas considérer tous les pays d’Europe centrale comme un bloc. Si je comprends bien on est toujours attachés ici en République tchèque à la question des soins gratuits. C’est bien la preuve que ce que j’ai dit de façon générale mérite d’être nuancé en fonction des Etats dont on parle.»