Charte 77, 30 ans après : témoignage de chartistes

Plusieurs commémorations ont célébré tout au long de cette année les 30 ans de la fondation de la Charte 77. Pour clôturer cette série, l’association des anciens de Sciences-Po en République tchèque et le CEFRES ont accueilli, vendredi 14 décembre, trois protagonistes de la Charte venus témoigner de leur expérience sous la normalisation. Rencontre avec le pasteur Milos Rejchrt, ancien secrétaire de la Charte, Jan Sokol, ancien doyen de la faculté des sciences humaines de l’Université Charles et Petr Fleischmann, secrétaire de la commission des Affaires étrangères et de la Défense au Sénat.

Que fut la Charte 77, comment est-elle née, quelles étaient les conséquences d’être un de ses signataires et que représente-t-elle aujourd’hui ? C’est avec un certain recul et beaucoup d’humour que Jan Sokol et Milos Rejchrt, deux anciens signataires, ont répondu à ces questions et décrit leur engagement dans ce qui fut le mouvement majeur de la dissidence tchécoslovaque sous le régime communiste. Ainsi, Milos Rejchrt raconte que la signature de la Charte n’a pas été un événement majeur dans sa vie :

« Mon cas était un peu spécial parce que je n’avais plus rien à perdre parce que quand j’ai signé la Charte, j’étais déjà depuis 5 ans ouvrier non qualifié, chauffagiste auxiliaire puis chauffagiste expérimenté, mais je ne pouvais plus perdre ma sécurité sociale. C’était très clair, je ne pouvais plus descendre plus bas. La Charte n’est pas une coupure dans ma vie. Il est vrai que j’étais plus dans le collimateur de la police qu’avant, il y avait une voiture de police qui gardait ma maison du matin jusqu’au soir, parfois j’étais suivi par des types en civil discrètement. Les gens qui m’accostaient dans la rue se faisaient contrôler par d’autres agents de police alors il est vrai que c’était un petit changement quantitatif mais pas une coupure. »

Arrestations et interrogatoires étaient tout de même très fréquents pour la plupart des signataires, qui avaient appris, selon Jan Sokol, à jouer les idiots devant leurs référents. Cependant, c’était une attitude que le co-fondateur de la Charte 77, Jan Patocka, n’arrivait pas à tenir, car il voulait discuter avec les hommes qu’il voyait en face de lui. C’est d’ailleurs suite à un interrogatoire musclé que le philosophe tchèque est mort, à peine trois mois après avoir lancé le mouvement, le 13 mars 1977. Dans le courant des années 80, la pression sur les chartistes s’est parfois légèrement atténuée, comme le confie Milos Rejchrt :

« J’ai eu l’impression que vraiment avec la Perestroïka de Gorbatchev, l’attitude de la police politique était plus variée. Il y avait des types très conservateurs, orthodoxes convaincus. Il y en avait des autres qui étaient plus souples. Je me rappelle d’interrogatoires où c’était moi qui posait les questions. Ils étaient tout contents de pouvoir me raconter ce qu’ils avaient appris à l’école du marxisme où on leur disait ceci et cela. Il y avait beaucoup d’absurdité dans ce système et peut-être qu’il y avait plus d’absurdité que de totalitarisme. Je crois que la Charte 77 a contribué à faire des trous dans le rideau de fer. Ce ne sont pas les dissidents qui ont renversé le régime parce que le régime communiste s’est effondré tout seul. C’est un coup d’apoplexie, il s’est épuisé et il a crevé de sa fatigue mais la Charte 77 a tout de même préparé quelque chose pour la transition ».

Que reste-t-il aujourd’hui de la Charte 77 ? Quels sont ses héritages dans la société et dans le monde politique tchèque ? Jan Sokol et Petr Fleischmann:

« Cette cohérence de la Charte, avec toute sa diversité, était possible seulement sous une pression externe. Je dois avouer que l’on est un peu déçu du comportement des politiciens qui, à mon avis, manquent de thèmes, ne savent pas quoi proposer pour mobiliser les gens, et ils le remplacent par une certaine brutalité verbale. C’est gênant et c’est ennuyant. »

« En ce qui concerne la Charte 77, elle se définissait en tant que mouvement non politique. A partir du moment où l’on pose la question de la politique non politique, nous parlons du citoyen, des gens qui participent d’une certaine façon à la vie de la cité. Nous en arrivons à une situation un peu paradoxale de nos jours parce que nous sommes dans une situation de démocratie où ce sont les partis politiques qui s’affrontent. Evidemment, le parti politique qui est une fois élu réclame le pouvoir. Et ce qui peut justement déplaire à certains, c’est qu’il y ait des gens qui réclament le pouvoir de dire, de s’exprimer, de penser, de formuler leurs opinions au nom d’un idéal mais qui n’ont aucun pouvoir politique légitimé pour l’imposer. On en arrive à cette absurdité qu’il y ait des gens, des dirigeants, ou des hommes politiques qui perçoivent la société civile comme une forme de concurrence. Alors que si l’on prenait vraiment l’idée de la Charte 77 au sens strict, c’est l’idée de la participation des citoyens au nom des principes supérieurs à la vie de la cité. C’est une idée qui peut-être dérange encore aujourd’hui ».