Boris Rösner ou la noblesse d'un acteur tchèque

Boris Rösner, photo: CTK

Grand, svelte et noble, tel était Boris Rösner. Son visage viril était capable d'exprimer aussi bien un dédain suprême qu'une tendresse pudique. Il n'avait rien de la silhouette rondelette et de la bonhomie des Tchèques et ressemblait à un grand arbre solitaire qui ose défier l'orage. Mais l'essence de sa magie personnelle était sans doute dans sa voix, une voix grave et un peu enrouée par la fumée d'innombrables cigarettes, une voix qui sonnait juste. L'acteur du Théâtre national de Prague Boris Rösner n'est plus. Il a succombé à sa maladie, ce mercredi, à l'âge de 55 ans.

Boris Rösner,  photo: CTK
Tout semblait le prédestiner à la carrière de tragédien. Il a su insuffler la vie aux grands personnages du répertoire classique Othello, Méphisto, Peer Gynt, il a joué simultanément dans deux productions pragoises Cyrano de Bergerac et son rival de Guiche, et pourtant c'était finalement un rôle comique, à la fin de sa carrière, qui allait devenir probablement son plus grand succès. C'est en 2004 que le metteur en scène Michal Docekal lui a proposé le rôle d'Harpagon dans une production de l'Avare de Molière au Théâtre national de Prague. L'acteur a donné à son Harpagon des dimensions inattendues :

« Mes professeurs me disaient toujours qu'on devait savoir tout jouer. Mon physique et les rôles qu'on me donnait jusqu'à présent me classent dans une catégorie d'acteurs qui n'ont rien à voir avec la comédie. Mais, quand on lit attentivement cette pièce, on se rend compte qu'en réalité ce n'est pas tellement ridicule. Au fond, Harpagon est un homme malheureux, qui à la fin, ne comprend plus rien. Il ne comprend pas le monde, et ne se comprend pas lui-même. Il le dit d'ailleurs dans son célèbre monologue. Le monde se désagrège entre ses mains, ce monde dont il a lui-même fixé les contours, le monde qu'il considère comme le seul monde possible et juste. Et il lutte en vain contre le monde extérieur et contre lui-même pour rétablir le soi-disant ordre, ordre que nous concevons comme ridicule par ce que c'est un ordre mauvais. »

Le talent exceptionnel de Boris Rösner sautait déjà aux yeux lors de ses études à la faculté de théâtre à Prague. Sorti de l'école en 1973, il a joué ensuite six ans dans un théâtre de Liberec en Bohême du Nord. Engagé à Prague, il a fait briller son talent entre autres en incarnant d'une façon inoubliable Salieri dans «Amadeus» de Peter Schaffer. Il ne s'est jamais compromis avec le régime communiste et ce n'est qu'à son talent qu'il devait son engagement au Théâtre national dès 1987. La maladie a coupé sa carrière lorsqu'il était à l'apogée de son art, en 2005, année où il a reçu plusieurs prix d'interprétation. Il laissera le souvenir d'un artiste dont la force prenait source dans l'intégrité morale. «Il est important, a-t-il dit dans un entretien pour le journal Mlada fronta Dnes, que quand on se regarde, le matin, dans la glace en se rasant et quand on rince la mousse, qu'on ne soit pas obligé de se cracher au visage.»