Andrej Babiš privé de son immunité parlementaire : quelles conséquences pour ANO ?

Andrej Babiš, photo: ČTK

C’est à l’issue d’un long débat mouvementé que la Chambre basse du Parlement a décidé, mercredi, de priver deux députés, Andrej Babiš et Jaroslav Faltýnek, de leur l’immunité. Personnage controversé sur la scène politique tchèque, le leader du mouvement ANO Andrej Babiš et le vice-président de son parti sont soupçonnés d’avoir détourné des subventions européennes pour financer la construction du « Nid de cigognes », un vaste centre de conférences et de repos situé au sud de Prague.

Andrej Babiš,  photo: ČTK
La voie est donc désormais libre pour que des poursuites judiciaires soient entamées à l’encontre du président du mouvement ANO, une des deux principales formations de l’actuelle coalition gouvernementale, qui caracole en tête des sondages à six semaines des élections législatives organisées en octobre en République tchèque.

« Estimez-vous vraiment que l’affaire du Nid de cigognes est une affaire criminelle ? Ne pensez-vous pas qu’il s’agit, là encore, d’un procès manipulé qui n’a qu’un seul objectif : influencer le résultat des prochaines législatives ? Je veux que mon immunité soit levée pour que la vérité puisse être établie. »

Dans son discours offensif prononcé devant ses collègues députés, Andrej Babiš a réitéré sa position : il considère être la victime d’un complot politique. Avant le vote à la Chambre des députés, vote auquel les députés ANO ont refusé de participer, le président et le vice-président du mouvement ont accusé la police et le parquet de « mensonge ». On écoute Jaroslav Faltýnek :

Andrej Babiš et Jaroslav Faltýnek,  photo: ČTK
« Nous avons affaire à une tentative non-démocratique de manipuler les élections, tout cela avec l’assistance des organes de police. »

Une situation quelque peu paradoxale, selon les commentateurs, qui remarquent que depuis mars 2015, c’est Robert Pelikán, un des membres du mouvement ANO, qui occupe la tête du ministère de la Justice.

Le ministre de l’Intérieur, le social-démocrate Milan Chovanec, a aussitôt réagi :

« Si vous avez vraiment des preuves d’une défaillance des institutions, je vous invite à les mettre sur la table. Ou alors adressez-vous directement à ces institutions, comme nous le faisons dans un Etat de droit. »

Le chef de la police de Prague, Miloš Trojánek, a lui aussi réfuté l’idée selon laquelle l’affaire du Nid de cigogne aurait été déclenchée suite à une commande politique :

« La police de Prague est apolitique. Dans son travail, elle s’appuie uniquement sur les normes juridiques en vigueur dans l’Etat tchèque. »

Daniel Kroupa,  photo: Prokop Havel,  ČRo
Les probables poursuites judiciaires contre deux dirigeants d’ANO, le grand favori des élections législatives prévues pour les 20 et 21 octobre, auront probablement des retombées sur les préférences des électeurs tchèques. Selon le politologue Daniel Kroupa, le scandale risque même d’influencer le comportement des sympathisants d’Andrej Babiš, cet homme d’affaires influent qui, pendant la campagne pour les précédentes élections, a séduit une bonne partie de la population par son discours anti-corruption :

« Je pense qu’une partie des partisans d’Andrej Babiš se tournera vers les autres mouvements politiques ‘anti-système’, notamment vers le parti de Tomio Okamura (SPD – Le Parti pour la démocratie directe, ndlr). Mais je ne crois pas que cette affaire puise causer une perte significative au mouvement ANO. Pour autant, chaque pourcentage est important dans les négociations post-électorales. Le parti chrétien-démocrate, ainsi que les autres partis, déclarent d’ores et déjà que former un gouvernement avec ANO ou avec Andrej Babiš est pour eux hors de question. Bref, ces négociations pourraient être très compliquées… »

Pour le journaliste et commentateur Jindřich Šídlo, la scène politique tchèque vit décidément une situation sans précédent :

Jindřich Šídlo,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Un mois avant les législatives, celui qui est pressenti pour devenir le Premier ministre risque d’être inculpé : c’est quelque chose que la République tchèque n’a jamais vécu. Si ANO remporte les élections, cela posera un sérieux problème pratique pour l’exercice du mandat du chef du gouvernement. Il est tout à fait possible que cette affaire se poursuive pendant plusieurs années, peut-être même jusqu’à la fin du mandat du prochain gouvernement, donc jusqu’en 2020-2021. En tout cas, nous ne pouvons pas espérer que l’affaire soit élucidée dans un proche avenir. »

Par ailleurs, la nouvelle Chambre des députés, issue des élections législatives d’octobre prochain, devra fort probablement se prononcer elle aussi sur l’immunité parlementaire d’Andrej Babiš et de Jaroslav Faltýnek, immunité qu’ils obtiendront de nouveau en cas de réélection.