Affaire Babiš : le rapport d’audit de la Commission européenne confirme le conflit d’intérêts

Andrej Babiš, photo: ČTK / Michal Krumphanzl

Le rapport d’audit provisoire de la Commission européenne sur le Premier ministre Andrej Babiš et la société Agrofert continue de faire couler beaucoup d’encre. Depuis la publication du document par plusieurs titres samedi, les conclusions selon lesquelles le chef du gouvernement tchèque est bel et bien en situation de conflit d’intérêts agitent le monde politique, les médias et les réseaux sociaux.

Andrej Babiš,  photo: ČTK / Michal Krumphanzl
451 millions de couronnes (soit 17,4 millions d’euros) est le montant des subventions européennes touchées par le groupe agroalimentaire Agrofert depuis février 2017 que Bruxelles demande à Andrej Babiš, son ancien propriétaire, de rembourser.

Les conclusions du rapport d'audit ne laissent guère planer le doute : elles établissent qu'en « en ayant nommé tous les acteurs », le leader du mouvement ANO a une « influence décisive » sur les deux fonds fiduciaires dans lesquels il a officiellement placé les actifs de son groupe Agrofert, pour respecter la loi sur les conflits d’intérêts, la dite « Lex Babiš » entrée en vigueur en République tchèque début 2017 (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/infos/andrej-babis-va-protester-contre-la-loi-sur-les-conflits-dinterets-aupres-de-bruxelles). Pour les rédacteurs du rapport, le Premier ministre contrôle toujours de fait sa société, et pas seulement, à en croire les quelques extraits cités par la presse tchèque :

« Monsieur Babiš a participé activement à la mise en œuvre du budget européen de la République tchèque. Il a un intérêt économique direct au succès du groupe Agrofert. Monsieur Babiš a abusé de l'exercice indépendant et objectif de ses fonctions (Premier ministre, ministre des Finances, président du Conseil pour les fonds structurels et d'investissement européens et vice-Premier ministre pour l'économie) en participant aux décisions relatives au groupe Agrofert. »

Sollicitée sur la question vendredi dernier, la Commission européenne s’est refusée à tout commentaire. Le même jour, la ministre des Finances, Alena Schillerová (ANO), proche collaboratrice d’Andrej Babiš, a pour sa part réagi aux premières informations communiquées :

Alena Schillerová,  photo: ČT24
« Si le rapport final, que nous aurons dans trois mois, constate une infraction, le système juridique tchèque saura comment traiter ce genre de cas. Soit l’institution chargée de distribuer les subventions décide de suspendre celles-ci, soit l’administration financière peut intervenir. »

Le principal concerné, Andrej Babiš, a, comme depuis le début, vigoureusement nié tout détournement. Il a même accusé les rapporteurs d’avoir bénéficié de l’aide d’un « informateur » tchèque, estimant que les arguments utilisés dans le rapport étaient les mêmes que ceux du Parti pirate et de Transparency International, ONG qui avait déposé un recours auprès de la Commission européenne afin qu'elle se saisisse de l'affaire. Quant à la question des subventions que la République tchèque pourrait être contrainte de rembourser, le chef du gouvernement a été très clair sur ses intentions :

« Je vais évidemment tout faire pour lutter contre cette désinformation. La République tchèque ne remboursera aucune subvention. Il n’y a aucune raison qu’il en soit ainsi. »

Le procureur général de la République, Pavel Zeman, dont la décision relative à la mise en accusation ou non du Premier ministre dans une autre affaire de fraude présumée aux subventions européennes est attendue - affaire dite du Nid de Cigognes -, a fait savoir que son Bureau se pencherait également sur le rapport :

Pavel Zeman,  photo: Šárka Ševčíková,  ČRo
« Ce qui y est décrit est grave et peut suggérer qu'il y a bel et bien eu une infraction pénale. Actuellement, nos services examinent et analysent le rapport, et je pense que nous en saurons plus dans deux ou trois semaines. »

Autre son de cloche qui a été abondamment commenté : la ministre de la Justice, Marie Benešová, a pour sa part déclaré qu'elle ne voyait aucune raison de ne pas faire confiance au chef du gouvernement. Sur la chaîne de télévision privée Prima, elle a estimé qu'Andrej Babiš avait respecté les obligations légales qui lui incombaient en plaçant Agrofert dans deux fonds fiduciaires. Marie Benešová, qui a été nommée très récemment, est contestée par une partie de la population et de l'opposition, qui soupçonne une manœuvre du Premier ministre pour placer à la tête du ministère une personne qui lui est favorable.

Une nouvelle manifestation est d'ailleurs prévue ce mardi 4 juin, en fin d’après-midi sur la place Venceslas à Prague, manifestation qui pourrait prendre des proportions inédites : 100 000 personnes y sont attendues, soit l’une des plus importantes contestations depuis celles qui ont mené à la chute du communisme il y a trente ans.