A Prague, danser pour combattre Alzheimer

'Une jeune fille de 90 ans'

Pour sa 19e édition, le festival international du film documentaire sur les droits de l’homme Jeden Svět (Un monde) s’est donné pour objectif de rendre accessible sa programmation au public handicapé. Ce public, le chorégraphe français Thierry Thieû Niang le connaît bien, car il est le principal protagoniste du film « Une jeune fille de 90 ans », un film tourné avec Blanche, une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. Réalisé par Valeria Bruni Tedeschi et Yann Coridian, le documentaire est projeté dans le cadre du festival qui, après Prague, se poursuit dans plus de trente villes tchèques. Samedi dernier, Thierry Thieû Niang a animé un atelier face à un public pragois désireux d’apprendre à danser avec les personnes âgées. Radio Prague a d’abord rencontré Charlotte, une des participantes à cet atelier, à la Galerie Lucerna :

Jeden Svět  (Un monde)
Charlotte : « Pour l’instant je regarde plus que je ne fais… J’ai participé à l’activité où nous devions nous tenir par les hanches, faire confiance à l’autre et se laisser tomber. Je pense que c’est ça, l’idée du workshop : faire confiance à l’autre. »

Thierry Thieû Niang : « J’ai d’abord été instituteur. Et je suis parti pendant quatre ans avec Médecins sans frontières, je suis allé travailler dans des centres de rééducation, des camps de réfugiés. Comme j’ai travaillé avec des enfants qui avaient des problèmes de locomotion, de motricité, je me suis intéressé à la danse, forcément à mon retour. J’ai été danseur pour différentes compagnies, puis chorégraphe, et puis tout à coup j’ai eu envie de me remettre au travail avec des corps qu’on dit des ‘corps empêchés’. »

Thierry Thieû Niang est le principal protagoniste du film « Une jeune fille de 90 ans ». Danseur dans la vie, il explique sa démarche, son travail et comment la réalisation de ce film a été possible :

« J’ai commencé à travailler avec des prisonniers, des enfants autistes, des personnages âgées…et c’est parce que le ministère de la culture avait entendu parler de mon travail qu’il m’a proposé de venir une semaine dans un hôpital avec des personnes atteintes d’Alzheimer, et d’expérimenter le mouvement avec un groupe de personnes âgées. C’est comme ça que je suis arrivé dans cet hôpital. J’ai travaillé cinq jours avec eux, et pendant ces cinq jours, il y a eu la possibilité de faire un film. Alors, c’est comme cela qu’est né le documentaire.

Blanche,  photo: Archives du festival Jeden Svět
Valeria s’est complètement identifiée à Blanche et elle a vu dans le mouvement de Blanche une femme tomber amoureuse, elle a vu cette chose-là. Alors que moi qui travaillais autant avec chacun des patients, je l’avais aussi avec beaucoup d’autres personnes. »

Pouvez-vous citer l’exemple d’une autre personne que vous avez vu s’éveiller en quelque sorte et de quelle manière ?

« Oui…il y a M. Marcel, que j’appelle M. tortue, car il est tout recroquevillé comme une tortue…il ne marche plus, ne mange plus tout seul etc. Je sentais que ça le mettait en mouvement, qu’il tournait la tête, qu’il bougeait un pied. Donc ça a été une vraie, belle, et très forte histoire entre nous, alors que la danse est toute minimale et toute petite. »

Cinq jours, c’est tout de même peu pour un tournage et surtout pour une « thérapie ». Pensez-vous que c’est suffisant ? Le travail doit-il continuer ensuite ?

« C’est très court, mais en même c’était très beau de voir comment chaque chose s’est ouverte, s’est mise à se déployer de façon très forte. Ensuite, oui il faudrait continuer. J’ai la chance de pouvoir y retourner car l’hôpital me donne un peu d’argent pour que je puisse continuer le travail, donc j’y suis allée plusieurs fois pour faire des ateliers avec eux. Certains me reconnaissent, d’autres pas, d’autres ne sont plus là puisqu’ils sont décédés, d’autres viennent d’arriver. »

Comment avez-vous préparé ce workshop ? Vous étiez avec cinq autres artistes tchèques…

Thierry Thieû Niang,  photo: Archives de Thierry Thieû Niang
« On s’est vus ce matin, on a travaillé un peu. Je leur ai expliqué ce qu’on allait faire, ce que j’avais envie de tenter. Ils sont allés voir le film samedi après-midi, donc ils ont vu. Mais en plus, je leur ai permis de l’expérimenter avec du public. J’avais une interprète que je n’ai même pas utilisée car à un moment donné, il y a quelque chose qui s’échange avec les uns et les autres, et qu’on n’a pas besoin de tout expliquer non plus.

En plus, à côté de nous, il y a une traductrice tchèque qui traduit pour les sourds qui ne sont pas tchèques. Et c’est vraiment de la danse quoi… »

Hana Strejčková : « Je fais de la thérapie avec le mouvement et la danse dans une maison de retraite à Chodov à Prague. Je travaille sur mes recherches, sur les moyens de motiver des personnes âgées, les séniors, à bouger, et à danser. Avec des mouvements, peu importe lesquels, nous nous remémorons nos souvenirs d’enfance, notre vie professionnelle… Et cette méthode fonctionne, que ce soit avec des personnes handicapées, âgées ou des personnes atteintes d’Alzheimer ou de démence. Par exemple, il y a cette méthode par les souvenirs. Si quelqu’un travaillait dans une usine, s’il réparait des objets ou s’il aimait bricoler, nous commençons avec des petits mouvements qui peuvent être associés à un travail concret, avant de les transforme en danse. »

« Une jeune fille de 90 ans »
Dans le film, le moment le plus touchant est celui où Blanche dit ‘je t’aime’ à Thierry Thieû Niang. D’abord, le visage du danseur se décompose, mais il doit très vite gérer la situation pour ne pas la blesser, garder une distance et continuer ce travail avec elle. Le lendemain, Blanche ne se souvient plus de cette déclaration d’amour. Thierry explique :

« Oui, elle a oublié ce qu’elle a dit. On sent qu’il y a toujours un lien, mais parfois, elle ne me reconnaissait pas, donc c’est vrai qu’il faut accepter qu’elle me dise je t’aime, et qu’à la fin, elle dise à l’homme qui l’accompagne avec la guitare : ‘Je m’appelle Blanche’, et qu’une nouvelle histoire d’amour commence. Ce qui est bouleversant, c’est qu’elle ne l’a sûrement pas dit depuis très longtemps, et que tout à coup, quelque chose revient, et que revient aussi l’émotion d’une jeune fille. Valeria Bruni Tedeschi dit souvent : ‘Blanche, c’est la maladie d’amour dont elle est prise…ce n’est plus la maladie d’Alzheimer’. »

Le festival Jeden Svět se déplace désormais dans une trentaine de villes tchèques et à Bruxelles. Une projection du film « Une jeune fille de 90 ans » est d’ailleurs prévue le jeudi 30 mars à Brno.