500 millions de dollars réclamés à la ville de Karlovy Vary au nom d’obligations émises en 1924

Photo: Musée des valeurs mobilières, www.das-mcp.cz

Les histoires de dettes font couler beaucoup d’encre en ce moment, crise grecque oblige. Mais les Grecs ne sont pas les seuls à se voir réclamer de l’argent. C’est également le cas de la ville de Karlovy Vary, en Bohême de l’Ouest, qui, en 1924, avait émis un certain nombre d’obligations acquises par des personnes privées. Jamais rendu, cet argent est désormais réclamé par Edward Fagan, un avocat américain qui affirme détenir des obligations et vouloir son dû.

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500 millions de dollars : tel est, selon le ministère des Finances, la Banque nationale et la municipalité, le montant auquel s’élève la dette de Karlovy Vary, les intérêts non payées s’étant cumulés durant les 87 années passées depuis l’émission des obligations. Les détenteurs de ces obligations émises à l’époque aux Etats-Unis par la ville de Bohême réclament donc leur dû. C’est notamment le cas d’Edward Fagan, un avocat américain spécialisé dans les restitutions, connu pour avoir mené une procédure victorieuse contre des banques suisses qui refusaient de restituer des biens volés aux Juifs par les nazis pendant la guerre.

Spécialisé dans ce genre de procédures médiatiques, où il s’affiche en défenseur des victimes spoliées, Edward Fagan est un personnage controversé et condamné à plusieurs reprises pour des malversations, des vols, des escroqueries ou encore un refus de payer des amendes. Il est connu en République tchèque pour avoir lutté aux côtés d’associations écologistes contre la centrale nucléaire de Temelín au début des années 2000. Pour le moment, son action est sans résultat, les autorités tchèques ayant même refusé de le rencontrer. Edward Fagan n’en demeure pas moins convaincu qu’il obtiendra gain de cause :

Edward Fagan
« Les autorités tchèques peuvent jouer ce jeu, elles peuvent se cacher à la mairie, elles peuvent fermer la porte et dire ‘vous n’êtes pas le bienvenu’, mais tout ce qu’elles font en agissant de la sorte, c’est ajouter des zéros à la somme qu’ils finiront par payer. Et elles ont l’air stupide. C’est gênant. Je ne suis pas un mauvais bougre ; je pense avoir une obligation valide et je viens juste réclamer mon dû de manière commerciale adéquate et polie. Si elles veulent se cacher à la mairie, tant pis pour elles, car, tôt ou tard, il faudra bien qu’elles sortent. »

Après s’être déjà attaqué à des obligations allemandes datant de la République de Weimar, Edward Fagan connaît ses droits. Cependant, la République tchèque ne souhaite pas lui donner gain de cause, car la Deuxième Guerre mondiale et le communisme séparent la Première république de notre époque. Selon les autorités tchèques, il n’y a donc pas de continuité, une argumentation que réfute Maître Fagan :

« Il y a quelques principes de base simples. Le premier est que ces obligations sont des titres, des dettes. Tant qu’elles ne sont pas payées, elles sont comme les polices d’assurance : jusqu’à ce que la dette soit payée, ou l’obligation annulée, elles sont là et doivent être payées. (…) La question est de savoir si le débiteur est toujours là, si l’obligation est toujours valide et si la demande est faite à temps. Dans le cas présent, la réponse à ces trois questions est oui. »

Karlovy Vary
L’avocat souhaite donc engager une procédure devant les tribunaux, mais sur le sol américain, les obligations ayant été contractées aux Etats-Unis. En 1984, un accord aurait été passé entre la Tchécoslovaquie et les Etats-Unis qui prévoyait, en échange du paiement de ces dettes, la restitution de l’or tchécoslovaque volé par les nazis se trouvant en Amérique. Cependant, en 1986, seule une petite part a été remboursée. L’absence de réaction de l’Etat tchèque énerve quelque peu l’avocat, qui n’hésite pas à brandir le spectre d’une dette plus importante que prévue :

« Depuis 1986 et jusqu’à maintenant, les autorités tchèques se méprennent tristement sur ce à quoi elles sont en train de faire face. Ce n’est pas juste une ou deux obligations ; il y a potentiellement un millier voire plus d’obligations encore existantes, non seulement de la ville de Karlovy Vary, mais également de la ville de Prague et de l’Etat tchécoslovaque. Il s’agit donc d’un problème énorme pour eux. »

Juridiquement, Edward Fagan semble être dans son droit. Cependant il reste à savoir si le changement d’ordre juridique entre la Première République tchécoslovaque, le régime communiste, et la République tchèque n’a pas altéré la nature de ces obligations. Aux spécialistes du droit des obligations de répondre. Une telle question, et son énorme enjeu financier, semble cependant plus politique que juridique.