La culture alternative : une option viable pour les libraires et disquaires de quartier

Le magasin Polí pět

La culture alternative ou underground, bref celle qui sort des grands courants commerciaux, se vend-t-elle encore à Prague ? Nous tenterons d’esquisser aujourd’hui une réponse, avec un zoom sur la boutique Polí pět, dans le centre de Prague. L’enjeu n’est pas que culturel puisque les magasins de quartier font vivre des milliers de familles en République tchèque.

Si l’on évoque les magasins de quartier, une comparaison entre Prague et Cracovie est assez parlante. L’évolution de la ville polonaise rappelle en effet celle suivie par la capitale tchèque depuis quelques années : les petites boutiques de quartier, ateliers de réparation, coiffeurs, petits libraires etc... ont déjà deserté le centre pour se réfugier dans les quartiers alentour. Le centre est réservé à des adresses branchées ou touristiques car les loyers sont devenus prohibitifs pour les petits commercants.

Mais à Prague, les magasins de proximité sont menacés par un danger spécifique : les grandes surfaces, qui poussent comme des champignons. Le phénomène a pris un telle ampleur que l’UNESCO a déjà menacé de déclassifier le centre historique si on continuait à le défigurer avec ces nouvelles structures.

A long terme, le risque est de voir la diversité sacrifiée au profit de l’uniformisation et cette menace concerne d’abord la culture. Les petits cinémas de quartier ont déjà adopté des stratégies pour faire face aux salles multiplexes. Au lieu de se battre sur le même terrain, un combat perdu d’avance, ils essaient justement de se différencier en proposant des films ou des pièces d’auteurs indépendants, qu’on ne trouve pas ailleurs.

Josef Jindrák
Josef Jindrák, quant à lui, oppose un réalisme flegmatique aux problématiques de la culture et du commerce de proximité. En 2006, il a ouvert sa boutique de disques et de livres, Polí pět, dand le droit fil d’une maison d’édition et de production alternative, Manuzio, qui remonte aux années 90. Un café, un disquaire, un libraire, un antiquaire et une agence culturelle, Polí pět, c’est tout ça à la fois ! Cela faisait longtemps que Josef, amateur éclairé de culture et grand érudit, rêvait d’avoir pignon sur rue. Il l’a fait et sa boutique est un enchantement mais, bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours. Nous sommes allés le recontrer.

Ton offre concerne d’abord la littérature et la musique underground tchèques. A priori, tu te différencies des grands magasins, comme Bonton comme pour les disques ou Luxor pour les livres. Leur concurrence est-elle rude ?

« Je ne ressens pas du tout la présence des mégastores comme une concurrence. J’essaie de travailler de manière différente et mon projet n’est pas le même. Moi-même, je n’essaie pas de me distinguer spécifiquement. Non, il ne s’agit pas de concurrence »

Tu proposes d’autres choses que ces grandes structures ?

Le magasin Polí pět
« En République tchèque, il y a une très bonne distribution et de fait, il est possible d’avoir accès à la qualité dans chaque magasin. On trouvera aussi, à Bonton ou à Luxor, une partie des produits que je vends. Mais contrairement à eux, chez nous, le client n’aura pas à fouiller dans des tas de titres médiocres pour trouver un livre ou un disque de qualité. La qualité représente une priorité pour moi. Par ailleurs, Polí pět reste orienté vers la culture alternative,, ça m’intéresse et c’est mon domaine »

Une partie de ton offre est plus grand public, livres d’histoire ou classiques du rock par exemple. Cette ouverture est-elle nécessaire à l’existence du magasin ?

« Je ne sais pas si c’est nécessaire. Je propose, c’est vrai, des produits plus courants comme des livres d’enfants ou des livres d’histoire, des titres qui pourraient peut-être surprendre dans mon magasin. Je pense qu’il est vain de vouloir se distinguer à tout prix car la culture est une et représente un ensemble. Je ne prétends pas que la culture alternative est forcément la meilleure ou la seule valable »

Quelle catégorie de clients visite ton magasin et qu’est-ce qui se vend le mieux ?

« Il n’y a pas de client-type qui viendrait chez moi, la clientèle est très variable. Le faisceau de mes clients va de l’étudiant à la personne âgée. De même, il n’y a pas vraiment de titre plus vendu qu’un autre. J’offre un choix assez large et c’est ce qui me permet justement de gagner ma vie. Bien sûr, j’ai aussi quelques auteurs favoris, sur lesquels je mets l’accent, comme Sigismund de Chals, poète et auteur excentrique de bande-dessinées. Egalement le groupe Kaspar von Urbach, qui sort un premier album. J’en ai déjà vendu dix copies, ce qui est vraiment beaucoup »

Le magasin Polí pět
Exportes-tu certains articles et si oui pour quels clients ?

« Je n’ai pas beaucoup de clients à l’exportation mais j’ai déjà envoyé des produits en Allemagne, en Pologne et aux Etats-Unis. J’ai en revanche plus de touristes, curieux, et surtout des Japonais, qui débarquent dans ma boutique avec des petits carnets, en sachant exactement ce qu’ils veulent acheter. Ce qui les intéresse surtout : la musique underground tchèque des années 60 »

Et comment cela se passe financièrement ?

« Je suis loin de gagner des revenus vertigineux. En fait, je gagne à peu près la moitié du salaire moyen tchèque ! Mais je ne me plains pas, je suis satisfait, je suis mon propre patron et je n’ai pas de grands frais quotidiens »

D’après toi, la culture se vend-t-elle bien à Prague ?

« Je pense que la culture se vend difficilement un peu partout, à Prague, ce n’est ni pire, ni meilleur, ce serait sans doute plus difficile pour moi dans des petites villes. A Prague, cela reste possible d’en vivre »

Sens-tu les effets de la crise actuelle sur ton activité ?

« Pour le moment, je ne ressens pas trop les effets de la crise financière. C’est plutôt la crise de la vente du disque qui m’affecte, surtout en ce qui concerne les CD. Une légère baisse des ventes se ressent quand même comme au niveau des grands classiques internationaux, comme par exemple les Beatles. Mais pour ce qui est des produits un peu rares et marginaux, je pense que la vente devrait rester stable. D’après moi, le marché de la culture alternative va même se stabiliser dans quelques années. La crise aura sans doute des conséquences mais d’un autre côté, les gens auront toujours besoin de se faire plaisir et le plus grand plaisir, c’est bien de s’offrir un livre ou un CD »

Hors micro, la discussion s’est poursuivie avec Josef. Un élément intéressant en ressort : la clientèle étrangère peut être un bon placement et il y a un intérêt réel pour la culture alternative tchèque à l’étranger, les groupes Už Jsme Doma et Plastic People of the Universe restant les plus connus. Suivant la vogue du vinyle, certains clients japonais achètent jusqu’à 1000 Kc un disque, ce que les Tchèques se permettent plus rarement. Polí pět a démontré son savoir-faire, reste donc pour Josef à faire savoir à l’étranger que son magasin existe !

Le magasin a en tout cas passé le cap fatidique des deux ans et Josef a commencé à engager, occasionnellement, des étudiants dans le cadre de jobs de vacances. Un bon signe, preuve que les hypers n’ont pas encore mis à bas l’existence des magasins de quartier à Prague mais aussi que la culture se vend aussi hors des grands circuits de distribution, même si c’est loin d’être facile.

Pour terminer et pour les curieux, voici le site internet du magasin Polí pět : www.polipet.cz