La brasserie où le client tire sa bière tout seul : une invention tchèque

Photo: The Pub

Quand il s’agit de bière, les Tchèques sont en général en tête des statistiques et sondages. Pas seulement en qualité mais aussi en quantité, la consommation par personne étant la plus élevée au monde dans ce pays. Et quand il s’agit de nouvelles formes de consommation, les Tchèques ne sont pas les derniers à être inventifs. Pour preuve, ce nouveau concept de brasserie, où les clients se servent eux-mêmes leur boisson alcoolisée préférée. Direction le quartier praguois de Vinohrady.

« Vous prenez un verre, vous le rincez à l’eau fraîche pour qu’il soit à la même température que la bière. Ensuite vous inclinez le verre à 45°C sous le robinet et vous laissez couler. Il faut bien ouvrir le robinet à fond pour ne pas que ça mousse trop – et vous avez une belle chope de bière ! » :

Miroslav Žemlička explique aux clients de sa taverne l’art de tirer la bière. Et ce n’est pas rare qu’il le fasse, le concept de ce débit de boissons pas comme les autres étant : deviens toi-même le barman ! Cela ne veut pas dire pour autant que les consommateurs se pressent derrière le bar pour prendre d’assaut les fûts pendant que les serveurs se curent les ongles. Le propriétaire des lieux précise comment ça marche :

« Le coeur de ce bar, ce sont en fait trois fûts de bière, qui sont ici derrière la glace. Dans chaque fût il y a 1000 litres de bière fraîche et ils sont reliés par des tuyaux aux différentes tables où sont installés les robinets spéciaux. Et c’est à leur table que les clients peuvent tirer eux-mêmes leur Pils non pasteurisée »

Et la bière coule à flots, évidemment. A chaque table, un compteur électronique avec écran qui indique avec précision combien de litres de ce qu’on appelle ici l’or de Bohême ont déjà été versés. Et c’est au millilitre près, comme quand on fait le plein :

« Ici c’est comme à la pompe à essence. Le client pait exactement ce qu’il a consommé, ce qu’il tire est calculé par le compteur et c’est ce qui va figurer sur son addition, au millilitre près. Donc il y a moins de litiges quand la douloureuse arrive et les gens s’amusent en tirant eux-mêmes leur bière. Il faut dire que les Tchèques sont une nation de buveurs de bière. »

Les installations électroniques au milieu de la table ne servent pas qu’à calculer le nombre de litres. Un bouton, et c’est le menu qui apparaît sur l’écran à cristaux liquides. La commande, souvent des plats typiques comme le goulash d’ailleurs, arrive directement sur un écran dans les cuisines.

Et pour appeler le serveur, c’est comme dans l’avion, il suffit d’appuyer sur un bouton. Il est censé arriver dans la minute, se vante Miroslav Žemlička. Un test, montre en main, le patron est un peu tendu, mais il en profite pour expliquer que ça marche tellement bien qu’ils ont décidé d’ouvrir le midi et le dimanche. Je compte toujours, 57, 58, 59...

« Et le voilà, j’vous avais bien dit que ça marchait », dit-il, détendu à nouveau

Le concept de The Pub, c’est une invention tchèque, qui vient, il n’y a pas de hasard, de la ville de Plzeň, cette ville de l’Ouest de la Bohême appelée Pilsen en allemand et qui a donné son nom à la Pils, la variété de bière qui représente aujourd’hui 90% de la consommation mondiale.

« Ce sont deux étudiants de Plzeň qui ont juste eu une bonne idée. Ils ont réuni assez d’argent pour ouvrir un premier bar là-bas, et puis ils ont commencé à vendre le concept sous forme de franchise et il existe déjà cinq établissements comme celui-là dans tout la République tchèque. »

Et il y en a une dizaine d’autres qui devraient ouvrir cette année, dans toutes les grandes villes du pays. Tous sur le même concept, avec au mur un grand écran, qui compte en permanence le nombre de bières bues à chacune de la dizaine de tables de la salle. Une compétion de leveurs de coude en réseau, car toutes les filiales du pays sont reliées entre elles électroniquement.

« Les Tchèques sont des compétiteurs. Quand ici, ils voient par exemple qu’à Plzeň une table a éclusé plus de bières, ils vont vite s’en verser une pour rester en pole position. »

Incitation à la consommation sans modération ? Miroslav Žemlička s’en inquiète peu, il préfère noter les nuances dans le mode de consommation des Tchèques :

« A Plzeň par exemple, ils commencent à boire en début d’après-midi, Alors qu’à Prague y a pas grand monde aussi tôt. Donc ils prennent une grosse avance en nombre de bières consommées, mais ils s’arrêtent tôt du coup. Quand on commence à s’amuser à Prague, eux ils finissent leur dernière chope et vont se coucher. »

L’actuel détenteur du record a dû commencer vraiment très tôt sa journée, parce qu’il vient de Plzeň, il s’appelle Antonin et a bu 28 chopes, ce qui fait quand même 14 litres à lui tout seul...

Et pour inciter encore plus à la consommation, le proprio distribue des cartes d’abonnement. On peut gagner des prix, et si on dépasse 1000 litres, on gagne... un saut en parachute. Mais si on a bu 10 hectolitres de bière, est-on encore assez en forme pour pouvoir sauter ? Les clients ne s’en soucient guère.

« C’est une idée intéressante au niveau commercial, parce qu’on boit tout simplement plus que dans une brasserie normale », dit ce jeune homme à la moustache blanchie par la mousse qui confie entamer sa septième bière de la soirée.

Mais à sa table la compétition est rude, et mixte:

« Moi j’en suis à ma sixième » dit cette femme, déjà bien éméchée…

Il faut dire que les Tchèques ont un statut à défendre, celui des plus gros buveurs de bière. 160 litres de bière par habitant et par an, ce n’est pas rien. Et c’est presque impoli de ne pas au moins goûter, ce que me rappelle le propriétaire des lieux.

« Vous avez oublié de boire, comme il se doit »

Bon, ben santé alors?