Jean-Paul Manzac : « Le problème, ce n'est pas le prix, c'est l'étiquette »

Jean-Paul Manzac, photo: Jaroslav Jiřička

Rencontre avec Jean-Paul Manzac, qui vient d'ouvrir La boucherie moderne, une boucherie – mais pas seulement – dans le quartier de Smichov.

Jean-Paul Manzac, vous avez ouvert une boutique, « La boucherie moderne », en octobre dernier dans le quartier de Smichov. Pouvez-vous nous décrire ce que l'on peut trouver dans votre boutique ?

« La boutique s'appelle la Boucherie moderne parce qu'on n'a pas voulu faire juste une boucherie viande. C'est une boucherie moderne parce que boucherie et épicerie fine, dans laquelle vous pouvez remplir un panier avec des fromages affinés, avec de la viande de qualité, avec des salaisons, mais aussi des épices, du vin, de l'épicerie. Tout ce qui peut permettre aux dames de faire une bonne cuisine et un bon dîner. »

Seulement les dames ?

« Les dames et les messieurs aussi mais pour l'instant, j'ai plutôt des dames comme clientes. Mais il est vrai que les messieurs se mettent aussi à la cuisine et ils viennent faire des achats. Mais ils achètent plutôt du vin et de la viande que des fromages et des yaourts. »

On trouve à Prague de plus en plus facilement des produits d'épicerie fine, des fromages français aussi, dans diverses boutiques. Cependant, une boucherie française, cela paraît assez nouveau. Qu'est-ce que cela apporte ? Est-ce seulement pour la clientèle française, et les boucheries tchèques sont-elles mauvaises ?

Photo illustrative: Archives de ČRo7
« Nous ne sommes pas axés sur une clientèle française, et même plus axés sur une clientèle tchèque puisque je pense qu'il y a une demande de produits de qualité qu'on a encore un peu de mal à trouver à Prague. Je ne critique pas les boucheries tchèques, ils ont des produits bas prix qui sont relativement corrects, mais il est vrai que si on veut entrer dans une volaille de qualité, ou une viande de qualité, la boucherie tchèque en général ne propose pas cela. C'est pour une bonne est simple raison, cette production n'existe pas en République tchèque. Donc il faut aller chercher en France, en Italie, en Irlande, aux Etats-Unis des produits plus qualitatifs, qui sont bien entendus légèrement plus chers, mais on se retrouve dans l'assiette avec un goût et une texture totalement différente d'un produit classique qu'on va trouver ici. »

D'où viennent les produits que l'on trouve en République tchèque, étant donné que le pays n'est pas un grand pays agricole ni un grand producteur de viande ?

« En général, tout ce qui est volaille, viande de bœuf et de porc, c'est produit localement. Mais, étant donné que les productions ne sont pas suffisamment importantes pour le marché, il y a pas mal de produits qui peuvent arriver d'Autriche, de Slovaquie, de Hongrie. Notamment les canards, oies et autres que l'on trouve dans les boucheries tchèques proviennent de la Hongrie, donc de l'import. En local, il y a tout de même de la production, qui n'est peut-être pas suffisante mais qui arrive à couvrir – je dirais – plus des trois quarts du marché tchèque. »

Vous proposez de la viande française et d'ailleurs. Dans les boucheries françaises, il y a une façon de couper la viande qui est différente. Comment expliquer ces différences à la clientèle tchèque, comment trouver les équivalences entre ce que les Tchèques ont l'habitude de manger ?

Photo illustrative: Darko Skender / Stock.XCHNG
« En terme d'assortiments de viande, je ne propose pas que de la viande française. J'ai fait moi-même une sélection depuis deux, trois ans, parce que je fais de l'import pour des restaurants, et j'ai fait une sélection de plusieurs bœufs. Par exemple, en bœuf français, un bœuf charolais, irlandais de l'Angus et Etats-Unis Nebraska. J'essaie de faire du veau français parce qu'il est très bon et très tendre. Pour l'agneau, j'ai plutôt tendance à faire de l'agneau Angus, qui est très bon et très tendre, et plus intéressant en termes de prix que le français Label rouge. En terme de coupes, il est vrai que les coupes tchèques ne sont pas les mêmes puisque dans les bœufs tchèques malheureusement beaucoup de pièces ne sont pas suffisamment tendres pour être grillées. Mais la découpe des pièces existe dans l'histoire tchèque. Il y a 100/150 ans en arrière, ils connaissaient la bavette, ils connaissaient l'araignée et tous ces produits-là avec des bœufs à l'époque qui étaient fait localement et qui étaient beaucoup plus tendres. On essaie donc d'éduquer les Tchèques pour leur montrer qu'une bonne bavette, c'est bien moins cher qu'un filet et beaucoup plus intéressant à manger grillé. Les bouchers tchèques ne font plus ces coupes mais on peut leur montrer d'où viennent ces pièces et ils sont très intéressés pour déguster, goûter et connaître de nouveaux morceaux qu'ils ne connaissaient pas ou peu jusqu'à présent. »

Vous aviez auparavant un restaurant à Prague, vous avez monté une société depuis. Cette boutique est-elle destinée à une clientèle constituée avant tout de particuliers ou allez-vous travailler avec d'autres restaurateurs ?

« Je travaille déjà avec des restaurateurs. Cela fait 14 ans que je suis ici, j'ai été chef de l’hôtel Mariott à son ouverture en 1998. J'ai ensuite eu ma propre brasserie que j'ai arrêtée suite à la crise financière. J'ai une société d'import avec laquelle j'approvisionne hôtels et restaurants. La boutique est ouverte à tout le monde. Bien entendu j'accueille tout le monde – certains sont freinés par le prix, d'autres non. Il y a des prix qui sont très abordables. On peut avoir de la bavette de veau à 350 couronnes, on peut avoir des poulets de grain à 200 couronnes le kilo. Il est vrai que l'aspect boucherie moderne – drapeau français peut un peu freiner les gens sur l'envie de venir voir ce que l'on a. »

Vous avez parlé de la crise. Elle a vraiment touché le secteur de la restauration ou votre cas était-il à part ?

Photo: Archives de ČRo7
« Ca a touché effectivement le secteur de la restauration parce qu'il y a eu beaucoup moins de touristes à un certain moment. Moi j'ai été touché particulièrement parce que j'avais une très belle clientèle financière au déjeuner parce que j'étais dans un quartier d'affaires avec beaucoup de banques, d’assureurs et d'investisseurs et quand la crise financière est arrivée, ma clientèle est restée mais elle n'avait plus les mêmes moyens. J'en ai pâti sur mon revenu et mes frais fixes restant les mêmes, j'ai été obligé de me séparer du restaurant. »

Il y a de nombreux restaurants français qui ont fermé avant même que la crise n'éclate. Il y a toujours un facteur « prix » qui est parfois difficile pour la clientèle tchèque. Prenez-vous en considération pour votre bistrot du budget moyen d'un déjeuner pour les Tchèques ?

« Le problème ce n'est pas une question de prix, c'est une question d’étiquette. Les prix que je pratiquais dans ma brasserie n'étaient pas des prix chers. J'étais au même prix que les restaurants italiens ou autres. Le problème est qu'on a une étiquette française qui fait que, tout de suite, le restaurant doit être un restaurant Michelin avec des prix exorbitants et des plats immangeables, parce que très compliqués pour les locaux. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cela. Les restaurants français sur Prague – et il n'y en a d'ailleurs plus beaucoup – ont pratiquement tous fermé juste pour cette question d'étiquette. On n'a pas des prix plus chers que les autres. J'ai des amis italiens qui ont des restaurants très chers, qui marchent très bien et qui sont pleins midi et soir. Et c'est donc ce problème d'étiquette française qui n'attire plus les gens autant qu'avant et qui les freine parce qu'ils croient que ça va être cher. Mais ce n'est pas vrai, puisque je le répète, que ce soit dans la boutique ou dans le restaurant avant, mes prix étaient tout à fait raisonnables, et même moins chers que chez d'autres restaurateurs sur certains produits. »

La soupe à la carpe,  photo: Archives de ČRo7
Nous sommes en plein période de fêtes de fin d'année. Les Tchèques ont leurs propres traditions mais sont-ils également intéressés par les produits français de fête que vous pouvez leur proposer ?

« Il y a toujours les aspects cuisine traditionnelle – la carpe et la soupe à la carpe le soir de Noël – ce qui est tout à fait normal. Mais à côté de cela, sur mes commandes de chapons et de volailles de Noël cette année, plus de la moitié sont pour une clientèle tchèque, parce que les Tchèques commencent à s'intéresser à tout ce qui est gastronomie différente de la leur. Les Tchèques voyagent de plus en plus, ils vont souvent en France, en Italie. Forcément, ils connaissent ces produits quand ils sont en voyage et sont très contents de les retrouver ici. Les Tchèques ont leur tradition, comme les Français – on ne mangera pas de la carpe en France le soir de Noël. Mais pour le lendemain de Noël, ou la période de fête autour de cette date, les Tchèques sont tout à fait à même de se faire plaisir avec une belle volaille farcie, du foie gras ou des huîtres ou d’autres produits qu'on peut commencer à trouver un peu partout. »