Constantin Kinsky : « Utiliser des cadres centre européens pour accompagner une croissance à l’Est »

Constantin Kinsky occupe des postes à responsabilités en République tchèque depuis 10 ans, il est à présent le manager de Roland Berger. Il nous a parlé du secteur de l’entreprise tchèque en pleine mutation.

« Bonjour, mon nom est Constantin Kinsky, je suis Français, d’origine tchèque, mais à Prague seulement depuis 1998, où j’ai commencé par m’occuper de banque d’investissement, j’ai travaillé pour Merill Lynch où je me suis entre autres occupé de la privatisation et de la restructuration préalable de Česká Spořitelna. Depuis l’année dernière, je suis chez Roland Berger, où je conseille des entreprises internationales, ou tchèques, ou slovaques. »

Est-ce que vous pourriez expliquer en deux mots l’activité de Roland Berger ?

« Nous sommes la seule entreprise de conseil en stratégie qui soit d’origine européenne. Le coeur du métier, c’est de conseiller les grandes entreprises, ainsi que les entreprises de taille moyenne, sur leur stratégie : leur stratégie de vente, de distribution, de production, de sourcing – parce qu’une des raisons pour lesquelles les gens sont ici, c’est aussi pour profiter de la qualité technique à plus faible coût des fournisseurs éventuels – ainsi que toute stratégie de développement plus vers l’Est, puisque l’Europe centrale sert souvent de plateforme pour aller vers des pays plus aventureux. »

Vous êtes ici depuis quelques années, est-ce que vous pourriez un peu décrire les grands changements dans les stratégies des entreprises, le milieu économique ?

En particulier, la force en Europe centrale, c’est une très très grande fiabilité technique, une certaine inventivité, beaucoup de discipline, et la faiblesse pour laquelle l’expatrié ou l’entreprise peut apporter quelque chose, c’est le service après-vente, l’innovation, et la capacité à prendre des risques.

Une deuxième chose, c’est que le management local commence à monter en puissance, et qu’il y a de moins en moins besoin d’expatriés à la tête des entreprises de capitaux français, par exemple, présentes ici – on le voit par exemple chez Komerční banka, où de plus en plus de Tchèques sont présents dans les conseils de direction – en revanche, on voit encore qu’il est utile de mélanger, en dessous, les équipes, et en particulier d’envoyer des cadres d’élite centre européens par exemple en France, ou faire une carrière internationale, en Russie ou ailleurs, donc de mélanger un peu plus les cultures…

Une troisième tendance serait d’utiliser des cadres centre européens pour accompagner une croissance vers l’Europe de l’Est, donc, par exemple, d’envoyer des cadres tchèques en Russie – ce qui, historiquement, est en plus une petite revanche satisfaisante – de façon à identifier des cibles d’acquisition pour une croissance externe ultérieure. »

Est-ce qu’actuellement, ça se fait beaucoup d’envoyer des cadres centre européens en Europe plus à l’Est ?

« Ça se fait. Ça se fait plutôt dans les grandes entreprises que dans les entreprises de taille moyenne, et là, je dirais que les entreprises purement tchèques ont besoin d’apprendre. Les entreprises tchèques souvent se plaignent que leurs actionnaires étrangers ne comprennent pas le pays et sont trop centralisateurs, mais se comportent de la même façon, voire pire, avec leurs propres acquisitions ou leurs propres développement à l’étranger : elles ne font pas assez confiance à leur management local, gèrent leur croissance externe, ou leur présence externe, depuis Prague, ou envoient des cadres tchèques. Il faut que les managers tchèques apprennent à faire plus confiance à leurs collègues ukrainiens, russes, travaillent plus ensemble, décentralisent plus leur approche du business. »

Puisque vous êtes amené à travailler aussi bien avec des entreprises tchèques qu’avec des entreprises internationales situées à Prague, est-ce que vous constatez une différence dans la démarche d’entreprise ?

Sur le plan purement culturel, puisque c’est vers cela que votre question s’orientait, je dirais qu’une faiblesse des pays centre européens et en particulier de la République tchèque, c’est que souvent, ces entreprises de taille moyenne d’actionnaires locaux sont la propriété des gens qui étaient à la tête de la production sous le régime communiste, puisque c’était le fer de lance, la production – une attitude un petit peu stalinienne vis-à-vis de l’économie, l’important c’était le nombre de cheminées – et ces gens qui sont spécialistes de la production ne connaissent pas bien les métiers de la vente, de l’après-vente, du marketing, des ressources humaines. Ce sont en général des personnalités très fortes qui ont tendance à écraser un peu leur environnement, et donc quand ils sont confrontés aux difficultés que j’ai signalées – que l’entreprise doit s’améliorer, de façon à satisfaire leurs grands clients – ils n’ont pas les outils managériaux nécessaires et ils n’ont pas autour d’eux les talents nécessaires pour faire évoluer l’entreprise. Et quand on combine ça avec le fait que souvent, ces gens-là commencent à devenir un peu plus vieux, il y a un passage de témoins entre les générations qui doit se faire, qui s’accompagne d’un changement d’actionnaires, et qui va probablement transformer tout le secteur de la PME en Europe centrale. »

Puisque vous avez travaillé à des postes à responsabilité à Paris et à Londres, et maintenant à Prague, est-ce que vous constatez une différence dans le climat de travail ?

Prague
« Peut-être, en Europe centrale et en République tchèque, une attention plus forte est portée entre la vie privée et la vie professionnelle que, par exemple en France. C’est lié à une raison culturelle, c’est aussi lié au fait qu’il y a moins de chômage ici, pour l’instant. Et puis enfin, probablement, une plus grande difficulté à prendre des risques et donc une tendance à attendre des instructions précises auxquelles on obéit, sans trop nécessairement penser à la raison pour laquelle ces instructions ont été données, ce qui présente le risque de manque d’innovation. Ça, c’est un petit risque que l’on connaît, que les gens qui ont travaillé ici connaissent, et qu’il va falloir corriger avec le temps, en développant le sens de l’initiative de nos étudiants, et de nos jeunes professionnels. »