Yolande Moreau : « Une histoire d'amour qui finit mal ? On s'en fout, puisque ça commence bien ! »

Yolande Moreau
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Ça n'a pas été la soirée la plus chic, la plus médiatisée du Festival international du Film de Karlovy Vary, comme la réception glamour, strass et paillettes, organisée sous la colonnade historique du centre-ville en l'honneur de Catherine Deneuve. Mais j'ose dire que celle-là, nettement plus intimiste, a été aussi nettement plus sympathique et conviviale et si je vous dis le nom de l'actrice qui a été la grande invitée de cette rencontre avec les journalistes et les gens du cinéma au splendide hôtel Pupp, vous comprendrez pourquoi. C'était Yolande Moreau, venue présenter au festival sa première réalisation, le film Quand la mer monte, récompensé par deux Césars 2005, où elle tient aussi le rôle principal. Culture sans frontière, aujourd'hui, c'est avec elle.

Rassurez-vous, on se sent tout de suite bien aux côtés d'une des comédiennes les plus connues en France, grâce au programme télévisé Les Deschiens notamment. La concierge du Fabuleux destin d'Amélie Poulain est arrivée à Karlovy Vary avec son mari - machiniste, un noeud dans les cheveux et un rire contagieux. Son film est un jeu de miroir entre la vie réelle et le théâtre : la comédienne Irène traverse le nord de la France avec son spectacle Sale affaire du sexe et du crime et cette tournée sera marquée par une histoire d'amour qu'elle vit avec un des spectateurs, Dries, interprété par l'acteur et le musicien flamand Will Willaert. Sale affaire du sexe et du crime, un one-woman-show sur l'histoire d'une femme qui a tué son mari et se confie au public, Yolande Moreau l'avait jouée pour de vrai, dans les années 1980, et avec un grand succès. Elle explique comment est né le film...

"C'est le fait du hasard... Le co-réalisateur Gilles Porte a eu l'idée de partir de ce spectacle qu'il connaissait et de s'en servir comme prétexte pour raconter une fiction. J'ai travaillé avec Gilles pendant cinq ans et j'ai fait appel à mes souvenirs personnels, de tournées, de tout ce qu'il y avait autour de ce spectacle et quel était le lien qui pouvait ressembler avec une histoire de la vie réelle, avec mon âge etc."

Vous êtes installée dans le nord de la France, à la campagne, c'est pour cela que vous avez choisi de tourner votre film dans cette région-là ?

« Oui, je suis originaire de cette région, mes grands-parents vivaient de l'autre côté de la frontière, ils sont Flamands. Je l'aime beaucoup, elle est en même temps très plate et très ingrate, elle a quelque chose de dur en apparence, mais elle a aussi beaucoup de charme. Les gens ont une espèce d'humilité... Il y avait plein de bonnes raisons pour aller tourner là-bas. »

Comment ça s'est passé lors du tournage ? Vous avez refait une tournée pour pouvoir filmer le spectacle ?

"C'est un film qu'on a fait avec des moyens très réduits et du coup, on a fait le spectacle dans des conditions réelles. On l'a repris une fois et on l'a tourné avec deux caméras. Pour des raisons de budget et, finalement, aussi artistiques on a offert le spectacle aux gens en échange de figuration gratuite. Comme ils découvraient le spectacle, on a les vrais rires, les vraies émotions et c'est important. Et puis, il y a une espèce de panel d'endroits ou on l'a joué, donc il y a par exemple cette maison de retraite, où on a reproduit quelque chose qui m'était arrivé il y a vingt ans, d'avoir en salle des vieilles personnes. Où le spectacle sous le chapiteau, qui est particulier aussi : là, on voulait un spectacle un peu désastreux, comme une erreur de programmation. C'était à Lens et on s'est greffé sur une fête commerciale. Il y avait des animations, une chanteuse, des footballeurs dans la salle, parce que le soir même, il y avait un match..."

Avec Sale affaire, vous avez sillonné la France, la Suisse, le Québec... Il vous est arrivé de jouer devant un public particulier, pour telle ou telle raison ?

Quand la mer monte
« Il y a toujours des événements incroyables. Chaque spectacle est différent. Je me rappelle en particulier d'un spectacle qui m'a beaucoup plu. C'était dans un festival gratuit, en Suisse, en plein air, donc en général, ce sont de très mauvaises conditions : il y a de la musique, on entend des scènes voisines, les gens écoutent un peu, puis ils vont chercher des frites et ils reviennent... Quand ils ont annoncé le titre du spectacle, les gens hurlaient. Je suis rentrée comme dans une arène, je me suis dite : il faut tenir ! Et du coup, avec l'énergie qu'a envoyée ce public immense, ça a marché. Je garde un très beau souvenir de cette représentation. »

La vie d'Irène, de la comédienne que vous jouez dans le film, elle me semble un peu triste : elle voyage toute seule, avec son spectacle, elle se déplace d'un endroit à l'autre, avec ses quelques accessoires... Cette vie-là, vous l'avez vécue. Pour vous, elle est triste ou pas ?

« Triste... je ne dirais pas. C'est assez solitaire, effectivement, comme boulot. J'ai voulu justement montrer cet aspect-là de mon métier que peu de gens connaissent. Même en troupe (j'étais pendant une douzaine d'années en troupe avec Jérôme Dechamps) il y a une espèce de routine : on voyage beaucoup, on change d'hôtels, on laisse la famille, les enfants là où ils sont... Il y a des journées à remplir qui sont celles aussi de la rêverie que j'adore, mais parfois, on se dit : tiens... Quand on est à la maison, le temps se remplit autrement : il y a les enfants, des courses à faire. Mais en tournée, il y a un temps de rêverie immense. Je ne dirais pas que c'est triste, mais solitaire, oui. »

Dans Quand la mer monte, vous avez mis un parallèle entre la réalité et le rêve. Mais, on le voit sur l'histoire d'Irène, quand on commence à vivre réellement un rêve, ça ne finit pas toujours bien...

« Pour moi, ce parallèle, c'est qu'on cherche à mettre du rêve dans sa propre vie, on a besoin de l'alimenter. Considérer que sa vie est un roman, je trouve ça génial, je trouve qu'il faudrait tout le temps le faire. Que ça finisse bien ou pas bien... je m'en fous un peu. Dans le film, Irène vit une histoire d'amour qui, malgré tout, est jolie ! Quand ça marche ensemble, même si c'est pour des raisons différentes, quand on a cette impression de volupté, c'est-à-dire d'être en parfaite osmose avec l'univers entier, c'est génial ! Et on s'en fout, si ça finit mal. Puisque ça commence bien ! »

Auteur: Magdalena Segertová
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