Portrait croisé : Dita Pepe et Katerina Geislerova ou l'art de se vêtir

Photo: Dita Pepe

Aujourd'hui, je vous propose de découvrir l'univers de deux artistes tchèques. L'une est à Paris et est styliste de mode, l'autre vit à Ostrava et est photographe. Pourquoi ce double portrait pour cette nouvelle rubrique culturelle ? Parce que ces deux créatrices ont un point commun. Le vêtement. L'une habille les autres, l'autre s'habille et se travestit en « les autres ». Portrait croisé de deux jeunes femmes qui jouent de l'image et de l'ornement.

Dita Pepe a 34 ans et vit à Ostrava, en Moravie du Nord. Après son baccalauréat, elle part en Allemagne où elle vit cinq ans. Mariée une première fois à un certain Francesco Pepe, elle a gardé son nom de famille qui détonne un peu en République tchèque, mais fait évidemment un peu sa marque de fabrique.

C'est lors de son séjour en Allemagne qu'elle découvre la photo. Si elle fait de la photo de mode, elle a surtout réalisé une série de portraits ou plutôt d'autoportraits d'un genre un peu spécial : elle va à la rencontre de gens et se fond dans leur univers naturel. Privilégiant la couleur au noir et blanc, on la voit tour à tour sportive en survêtement avec une gymnaste, avec un conducteur de camion, en maman de famille rom, en prostituée ou en paysanne.

« La série des autoportraits a vu le jour à partir d'une sorte de quête intérieure et personnelle, pour savoir comment vivre, de quoi avoir l'air, comment se comporter, pour trouver le bonheur. Quand je suis partie en Allemagne à l'âge de 18 ans, j'ai rencontré différents types de femmes qui ont été pour moi, plus tard, des modèles. »

Des modèles, explique Dita, parce que telle femme faisait telle mimique qui lui plaisait, une autre à cause de la relation particulière qu'elle entretient avec ses enfants. Pour Dita, autant de femmes, autant de destins qui l'influencent. Dans le cadre de son séjour en Allemagne, elle exerce divers petits jobs et s'occupe notamment d'une vieille dame invalide et impotente, elle fait la plonge dans un restaurant où elle est fascinée par une employée blonde platine aux lèvres rouge carmin, « comme Paloma Picasso », relève-t-elle.

Des emplois, parfois peu attrayants, mais qui forcent la rencontre et parfois la confidence. Mais de là à sauter le pas et pouvoir rentrer dans leur intimité, leur demander de se livrer à l'objectif... j'ai demandé à Dita Pepe, s'il avait été difficile de les amener à se faire prendre en photo :

« Au tout début, j'ai commencé par faire des photos de membres de ma famille, des amis, et la plupart du temps, je cherchais surtout des femmes. Je cherchais mon modèle et j'essayais de m'adapter à elles. C'était une sorte de jeu. Elles me parlaient d'elles, de leur vie. J'ai un trait de caractère particulier : j'arrive à être complètement en empathie avec les gens. J'arrive à me mettre à leur niveau pour qu'ils se sentent bien. Je les comprends et j'arrive à complètement m'oublier. Pour moi, ça a été une forme de thérapie, de voir comment moi je réagissait, mais aussi de voir que je peux diriger la situation comme je le souhaite : même si je me consacre entièrement à eux, je les écoute et les comprends, mais dans une certaine mesure je suis capable de les 'manipuler'. Je les persuade que je pourrais être leur mère, leur fille ou leur soeur. »

Dita Pepe se fond tellement bien dans le paysage et le monde de ses modèles qu'elle en est parfois méconnaissable. Cindy Sherman ou Nan Golding sont pour elles des sources d'inspiration, en tout cas, elle se reconnaît dans la démarche de ces femmes photographes. Mais elle avoue elle-même beaucoup associer ses travaux à la musique, à certaines chansons, à certains interprètes qui la replongent dans l'atmosphère de choses vécues, comme par exemple Joni Mitchell.


Katerina Geislerova a 33 ans. Partie à l'âge de 19 ans à Paris avec son petit ami, baccalauréat en poche, elle a d'abord suivi des cours de français à la Sorbonne pendant un an, passé un DEUG d'Histoire de l'art ensuite. Ces études ne lui conviennent pas. Elle décide de suivre un cursus d'études européennes à Saint-Denis, espérant travailler dans les échanges culturels artistiques entre la France et la République tchèque. Mais ce n'est toujours pas ça.

Rien à faire, l'art, celui qui ne s'étudie pas dans les livres mais qui se fait avec les doigts, l'attire de plus en plus. C'est grâce à la directrice de l'Institut Supérieur des Arts appliqués où elle suit des cours, qu'elle trouve sa voie, après avoir pensé un instant à faire de la décoration intérieure. Ce sera la création de mode, une activité qui depuis lors n'a pas cessé de l'occuper à plein temps. Sortie major de sa promotion, elle se distingue et remporte des prix, fait des défilés et développe sa ligne artistique. Aujourd'hui, elle s'apprête à ouvrir sa boutique, dans le troisième arrondissement de Paris, dans le quartier d'Arts et Métiers.

C'est dans ce bel espace, encore dans les cartons, que je l'ai rencontrée il y a quelques semaines. Je lui ai demandé si s'installer à son compte, en tant que jeune créatrice était facile en France :

« Ça a été difficile. J'aime la France, mais je n'ai pas l'impression qu'on soit vraiment très aidés quand on crée une entreprise en France. Pratiquement à toutes les portes où j'ai frappé, ils étaient très gentils mais le résultat c'était : faites vos preuves et on verra plus tard, si dans trois ans vous êtes là. »

Votre rencontre avec la mode a été due au hasard en fait...

« Oui, un pur hasard, c'est juste que quand je faisais mes études, je travaillais à mi-temps, je gagnais de l'argent et j'ai pu me payer une école privée. »

Et petite, vous avez créé ? Est-ce que vous faisiez par exemple de la sculpture, de la poterie ?

« Pas du tout. Je faisais des vêtements pour les poupées, mais je ne dois pas être la seule fille à faire ça. Bon, c'est vrai qu'entre douze et quatorze ans j'ai pensé à faire de la mode, mais mes parents étaient assez stricts là-dessus et ils ont décidé de mes études. »

On se trouve dans votre future boutique, située 53 rue au Maire, pas très loin du Centre George Pompidou, à Arts et Métiers. Vous êtes dans un quartier où vous êtes entourée de magasins de gros de vêtements et d'accessoires... Comme un fait exprès...

« Non, en réalité, à Paris vous avez le quartier des créateurs où vous avez les plus grands. Financièrement, ce n'est absolument pas accessible. Après vous avez tout autour des minis quartiers où on se déplace surtout pour le créateur. Là, c'est le bouche à oreille qui est extrêmement important, et aussi de figurer dans les guides, ou encore dans les magazines, où c'est marqué que c'est LA boutique à voir, du moment. C'est ça qu'il faut que je réalise. Le quartier, c'est le quartier central. Il est extrêmement agréable. Je l'ai choisi surtout pour la boutique en fait. Elle est extraordinaire : il y a tous les éléments, la pierre, le bois, le verre, la lumière... »

Donc, ça a été le coup de coeur quand vous l'avez vue ?

« Ca faisait pourtant huit mois que je cherchais, j'avais dû voir une trentaine de boutiques, j'ai ouvert la porte et je me suis dit : c'est celle-là, il faut que je l'aie. J'ai tout fait pour l'avoir. »

J'aimerais parler de vos créations. Quelles sont vos sources d'inspiration ? Par vos études, vous avez une culture historique et artistique importante. Est-ce que ce sont des choses qui sont restées quelque part dans votre esprit et qui se retrouvent dans votre création ?

« Mon père était antiquaire. J'ai donc toujours baigné dans les meubles, tissus et art d'époque, surtout le XIXe siècle. Inconsciemment, je pense que les inspirations viennent de là. Ça a été prouvé avec mes premières créations qui ont été fortement inspirées par la fin du XIXe-début du XXe siècle, avec les faux-culs et le travail des plastrons. Je cherchais pas mal de tissus anciens, dentelles etc. Donc pour mes premières collections, j'ai été très inspirée par ça. Depuis, parce que ça fait quand même 4-5 ans que je crée, ça s'est pas mal épuré. Néanmoins, je reste très admirative de cette époque-là. »

Avec quels matériaux est-ce que vous travaillez le plus aisément ? Avec quel genre de tissus aimez-vous travailler ?

« En fait, j'aime les tissus d'homme. Mais je fais tout pour les rendre féminins. Une partie de ma collection, c'est féminin-masculin. Sinon, j'aime la soie, la dentelle aussi, mais j'essaye de la rendre un peu plus moderne. Tout au début, ce que j'aimais le plus - j'aime toujours, mais malheureusement j'ai peu de temps pour faire des pièces uniques - c'est prendre des éléments masculins que je détourne : veste, chemise, pantalon. Je les sculpte, je les pose sur un mannequin, et au fur et à mesure, sans savoir forcément sur quoi je m'engage, j'arrive à faire un vêtement assez féminin. La collection de prêt-à-porter, quant à elle, est assez minimaliste. Je fais attention à cintrer les vêtements, à rendre la taille fine et féminine, je fais aussi attention aux épaules, aux décolletés. »

C'est important pour vous de garder un lien avec la République tchèque et avec Prague ?

« Bien sûr, c'est extrêmement important parce que mine de rien, je suis toujours inspirée par mes racines, par Prague. Je suis toujours amoureuse de cette ville, nostalgique également. Ça fait deux ans que je fais des allers-retours entre Paris et Prague, j'ai concentré pratiquement toute ma fabrication là-bas. Petit à petit je vais chercher comment faire distribuer mes créations là-bas. Le seul problème c'est que je n'ai pas trouvé beaucoup de boutiques à Prague qui fasse du multi-marques, c'est-à-dire des boutiques qui distribuent plusieurs créateurs. »