Pierre Schoeller : « La situation de mise en scène est aussi une situation de pouvoir. »

'L'exercice de l'Etat', photo: Festival du film français

Le rendez-vous immanquable des amateurs de cinéma français en République tchèque s’est déroulé il y a un mois avec le Festival du film français. Parmi les œuvres présentées, « L’exercice de l’Etat », un film qui a séduit les critiques et qui suit le quotidien mouvementé d’un ministre des Transports en France. Pierre Schoeller est l’auteur de ce long–métrage, sorti récemment en salles tchèques sous le titre « Ministr ». Il a accepté de répondre aux questions de Pierre Meignan qui lui a tout d’abord demandé d’où venait le réalisme de son film.

Pierre Schoeller,  photo: Julien Bellegueulle,  Festival du film français
« Ce sont des situations-types pour un ministre : quand une réforme se pose, la communication en situation de crise, la confrontation aux accidents, la confrontation au désamour du peuple… Ce sont des situations banales, des situations-types qui sont prises dans leur réalité d’aujourd’hui je crois. »

Sur quels documents vous-êtes vous appuyés ?

« C’est un travail d’enquête assez long, assez épuisant. Il y a à la fois des rencontres avec des gens qui ont travaillé dans des ministères et qui m’ont aidé à construire le film, avec des anciens collaborateurs de ministre, un travail sur la photographie aussi – j’ai beaucoup observé la photographie politique de ces dernières années – et puis un accès aux documents officiels. »

Vous avez demandez à votre acteur principal, Olivier Gourmet, qui joue le rôle de ce ministre des Transports de lire certains livres…

« Il a lu un ouvrage. En fait, c’était une situation assez rigolote : il y a une sociologue qui a fait un travail de sociologie sur les cabinets ministériels. Et elle l’a fait en parallèle de l’écriture du film. A la fin, quand le scénario a été terminé, je l’ai rencontré et on s’est aperçu que nous étions arrivés aux mêmes conclusions, elle par la sociologie et moi par le cinéma. Elle s’appelle Aude Harlé et c’est un ouvrage de sociologie clinique qui a eu deux prix assez importants, celui de Monde et celui de l’Assemblée nationale. Il se nomme ‘Le goût et le coût du pouvoir’. »

Pour en rester sur la sociologie. Dans votre film, il y a aussi une ébauche des relations sociales, des rapports sociaux entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas, en l’occurrence dans votre film entre le ministre des Transports et son chauffeur…

'L'exercice de l'Etat',  photo: Festival du film français
« C’était important parce que je pense que l’action politique ne peut être détachée de son enjeu qui est la vie de la cité et donc des habitants et du citoyen tout simplement. Il me fallait une figure un peu archétypale du citoyen. Et d’autant plus que depuis quelques années, le désamour envers le personnel politique est très fort en France. C’est un phénomène qui s’est encore accentué de manière très tendue avec la crise économique. On le voit en Espagne, au Portugal, en Italie, en Grèce, on le voit même ici en République tchèque je pense. »

Vous avez montré, mais vous n’avez pas cherchez à juger…

« Non ! Ce qui était difficile c’était de suivre ce ministre dans sa nature. Et parfois sa nature est presque ‘monstrueuse’ parce que le pouvoir est quelque chose qui vous cannibalise de l’intérieur. Il est possédé par ces enjeux de pouvoir. C’est pas qu’il ait une ambition particulière, ce n’est pas un caïd. C’est juste que d’une certaine manière quelqu’un qui est ministre est dépossédé de lui-même. Evidemment il se prête à cela mais il est tout de même dépossédé de sa famille, de ses proches, de ses repères et il est lancé dans la marche du monde qui est aujourd’hui assez chaotique. »

Cette dépossession est illustrée par son rapport à la fois amical et professionnel à son directeur de cabinet, lequel est joué par Michel Blanc…

'L'exercice de l'Etat',  photo: Festival du film français
« Voilà, c’est un lien très fort. C’est très peu dit mais vous avez au sein de la vie politique des liens incroyables surtout au sein du cabinet ministériel. Le cabinet ministériel n’est pas du tout l’administration. C’est la garde rapprochée, les conseillés les plus proches du ministre, qu’il choisit la plupart du temps. C’est une exigence intellectuelle, un don de soi, une charge de travail phénoménale. Et donc c’est une équipe qui se tient et qui parfois s’oppose – il y a des combats d’homme à homme très fort au sein du cabinet. Mais il y a aussi des liens qui restent à vie, comme celui qui unit le ministre à son directeur de cabinet, Olivier Gourmet à Michel Blanc. »

En regardant votre film, on a l’impression que ceux qui détiennent les postes de responsabilité, le pouvoir ne l’ont finalement pas tellement ce pouvoir. Il y a des intérêts économiques…

« Ils sont liés à d’autres pouvoirs. Il y a des pouvoirs. Nous ne sommes plus du tout dans la vision : un ministre décide. Ce n’est pas du tout comme ça. Nous avons des ministres qui décident au sein d’un gouvernement, au sein d’un rapport de force, avec des corps intermédiaires, c’est-à-dire les syndicats, l’opinion publique, le système politique en France avec les régions et l’Europe… Donc vous avez des plaques d’influence qui jouent entre elles. C’est un équilibre et c’est pour cela que la réforme est si difficile aujourd’hui à moins d’avoir un volontarisme exceptionnel, presque héroïque, à la Roosevelt... »

Avez-vous une sorte de fascination pour le pouvoir ?

'L'exercice de l'Etat',  photo: Festival du film français
« Absolument pas (rires). Je n’ai pas de fascination particulière, par contre, je dois dire que je me suis aussi intéressé à cet univers parce que la situation de mise en scène est une situation de pouvoir. Cela m’a assez interpellé personnellement. Ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu faire mais mettre en scène un film c’est aussi exercer un certain pouvoir. Il y aussi autre chose : le phénomène de croyance. C'est-à-dire que vous croyez à une histoire et vous croyez à une action politique. Ce qui était intéressant, c’est que toute l’équipe discutait beaucoup du film. Le film concernait chacun parce qu’on à tous notre rapport au politique. »

Ce film illustre assez bien l’expression « agenda de ministre » puisque le ministre des Transports court tout le temps, il est réveillé en pleine nuit – c’est une des scènes inaugurales suite à un accident d’autobus. C’est ce que vous avez montré…

« Il n’y a pas de temps pour les choses. Il y a une urgence. Le temps de l’urgence continue. Il y a aussi les contretemps. C’est-à-dire que vous avez à la fois les urgences qui arrivent comme l’illustre cet accident et puis dans le film il y a les tensions autour de la question de la privatisation des gares. Et ce ministre est dans le contretemps, presque historique puisque cette réforme qu’il refuse va finalement se faire. Cette question de la privatisation, elle est dans le film car elle parle de l’Etat qui est attaqué de l’intérieur, sur le périmètre de l’Etat, le territoire de l’Etat qui est grignoté, comme une peau de chagrin qui va peu à peu se restreindre. »

Vous avez inscrit ce film dans une trilogie, qui avait commencé par le film « Versailles » et dont « L’exercice de l’Etat » est le deuxième volet. Quelle est la logique de cette trilogie ?

'L'exercice de l'Etat',  photo: Festival du film français
« La logique c’est la France. C’est l’état de la France aujourd’hui. D’où elle vient, où elle va. On pourrait appeler cela les mensonges français. C’est une nation riche avec une montée de la pauvreté, une grande tradition de la politique et le personnel politique est détesté par le peuple et le troisième sur la Révolution. C’est l’imaginaire utopiste de la déclaration des droits de l’Homme, de la fondation de la République et en même temps un rejet de cette Révolution, une vision assez tordue de la Révolution française, comme un phénomène sanguinaire… Je commence à écrire sur la Révolution donc c’est encore tout frais. On a dit que c’est une Révolution bourgeoise mais il y a des grandes figures et le rôle du peuple est quelque chose d’assez passionnant. Le peuple révolutionnaire est surtout montré comme le peuple sans-culotte, massacrant la noblesse, prenant le pouvoir… comme un peuple inintelligent ou bestial et je ne crois pas que cela correspond à la réalité. »

On va revenir en République tchèque. Vous y êtes, vous êtes à Prague. Quel rapport avez-vous avec ce pays, avec son cinéma ?

« Je découvre ! A l’école de cinéma où j’étais, le professeur de français adorait Miloš Forman, adorait la période tchèque de Miloš Forman, la Nouvelle vague tchèque. »

Et vous, quelles sont vos influences cinématographiques ?

'L'exercice de l'Etat',  photo: Festival du film français
« J’ai été très marqué par la Nouvelle vague, par le cinéma asiatique des années 1960… L’ouverture de ‘L’exercice de l’Etat’ est un hommage à ce cinéma par les figures Nagisa Oshima. Mais ce n’est pas le seul, il y a par exemple Masahiro Shinoda qui est un cinéaste japonais formidable. Je n’aime pas tellement le naturalisme donc il y a un pan du cinéma français avec lequel je ne me retrouve pas tout à fait. J’aime bien le pouvoir imaginaire dans les films, le pouvoir intime. Je pense que le cinéma a une puissance esthétique et est un outil extraordinaire. »