Mabou : une enfance pragoise pour une artiste strasbourgeoise

Photo: www.mabougallery.com
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Maryla Boutineau, dite Mabou, est une plasticienne tchèque installée depuis 1968 en France, dont nous avons déjà brièvement brossé le portrait dans notre rubrique Faits et événements. Découvrons, aujourd'hui, un peu plus cette artiste strasbourgeoise qui a été récemment de passage à Prague. Un parcours et une personnalité pour le moins intéressants et originaux qui apparaissent dans le récit qu'elle a fait à Anna Kubista.

Dans les arts graphiques tchèques, il y a une vraie tradition. On peut le voir au niveau des illustrations de livres pour enfants, comme vous avez pu le faire vous-même, ou dans les affiches de cinéma, de théâtre, et c'est un peu ce que je retrouve chez vous. Est-ce que vous sentez une influence proprement tchèque dans vos oeuvres, ou comment est-ce que vous pourriez la définir ?

« C'est assez amusant, parce qu'après avoir vécu pas mal d'années en France, je me disais : 'Maintenant je suis vraiment française et tant pis pour mon accent mais je me sens vraiment française'. En fait c'est assez amusant parce que dans ma création artistique, je me suis rendue compte que mon esprit était resté tchèque. Je ne peux même pas parler d'influence. Les gens, et même les Français, ceux qui aiment plutôt la beauté classique en art, ne comprenaient pas toujours ma démarche parce qu'ils la trouvaient parfois grimaçante, ils me parlaient de caricature, ce que je n'aime pas du tout parce que je ne considère pas mon travail comme des caricatures. Mais il y a une certaine distorsion. Je dirais que c'est profondément mon âme tchèque qui se réveille, plus qu'une question d'influence. Bien sûr, j'ai dû être influencée par tous les films, toutes les pièces de théâtre ou les marionnettes tchèques, mais je n'en suis pas consciente. Mais quand j'exprime quelque chose, c'est finalement mon origine tchèque, ou « Europe centrale » encore plus peut-être, qui ressort. »

Parlez-moi un peu de vos souvenirs d'adolescence et d'enfance à Prague. Quelles sont les images qui vous restent aujourd'hui ?

« J'ai eu de la chance avec mes parents. Ils n'avaient pas fait d'études, ni l'un ni l'autre, et cela leur a cruellement manqué. Ils ont donc essayé de rattraper ce manque et d'acquérir une certaine culture. Ils nous ont beaucoup amenés au château. Nous n'habitions pas loin, donc mon frère et moi, on y passait tous nos dimanches, à l'époque, contre notre volonté. Au château, ils nous expliquaient tout. Ils nous emmenaient aussi au restaurant, dans la Maison municipale, où nous déjeunions sous les oeuvres magnifiques d'Alfons Mucha. Je pense que j'étais véritablement pénétrée de cette culture très ancienne. Et quand j'étais petite, on habitait dans une villa qui était magnifique mais dans un état de décrépitude avancé. Les anciens propriétaires, des aristocrates, vivaient et habitaient avec nous. C'était très amusant ce mélange d'aristocratie, de déchéance... Par exemple, je balayais le trottoir avec Madame la baronne qui était habillée d'une peau de jaguar, mais un peu mitée, et après j'allais à l'école où j'appelais ma maîtresse « camarade maîtresse »... C'est très intéressant parce que je n'étais absolument pas consciente de l'incongruité de la situation. On vivait dans une espèce de folie douce. Je pense que cela a été véritablement un moteur pour la créativité ultérieure, mais je n'en étais pas consciente au moment même, évidemment. »

Où retrouvez-vous ces traces de l'enfance dans vos oeuvres ? Quand une oeuvre est terminée, est-ce que vous la regardez avec un certain décalage et retrouvez-vous justement en elle ces traces de l'enfance, de cette vie 'autre', en Tchécoslovaquie ?

« Oui, je pense. Peut-être pas absolument dans toutes les oeuvres, mais je pense que Madame la baronne a quand même joué un grand rôle dans ma vie parce qu'elle nous parlait beaucoup de Paris, elle nous parlait du roi des Belges avec qui elle jouait au tennis etc. En fait, c'était ses souvenirs des années 20 et 30. Là je suis en train de faire véritablement un gros travail sur le Paris des années vingt et trente. Ça m'attire beaucoup et je pense que c'est cette « Madame la baronne » qui m'a fait rêver, qui m'a fait entrer dans un autre univers. On vivait à l'époque dans des conditions très dures, on n'avait pas vraiment beaucoup de chauffage dans cette villa, mais on avait des miroirs vénitiens, des meubles avec de la marqueterie. Et en même temps, on ne vivait que dans deux pièces. Ce mélange, cette distorsion, c'était certainement très créatif. Et je retrouve bien sûr aussi l'amour des costumes et une certaine théâtralité. »

Il y a certains de vos tableaux que vous dites 'troubles', et quand on parle des années vingt et trente, cela me faisait beaucoup penser à Otto Dix...

« Oui, j'adore Otto Dix ! Nous n'en avons même pas parlé ensemble, mais oui, j'adore Otto Dix, et j'adore les expressionnistes allemands. Mais je dirais que chez eux, c'est acide, moi j'ajoute un peu de ce qu'on appelle : l'aigre-doux. La différence entre l'expressionnisme allemand et l'attitude tchèque, c'est peut-être d'un côté de l'acide et de l'autre, de l'aigre-doux. Mais je les adore quand même, c'est sûr. »

Depuis tant d'années, vous vivez en France. Quel effet cela vous fait-il quand vous revenez aujourd'hui à Prague ? Quelles sont vos pensées ? Quelle est votre première pensée quand vous revenez à Prague ?

« Je suis très heureuse de voir que tous ces bâtiments ont été refaits. C'est un plaisir tout à fait extraordinaire. Il y a des gens parfois un peu snob qui disent que Prague avait beaucoup plus d'âme quand tout était gris et un peu déglingué. Je ne suis pas tout à fait de cet avis. Bien sûr, il y avait une atmosphère qu'on ne retrouve plus. Mais je pense que si ça avait continué, les maisons n'existeraient plus aujourd'hui. Je pense que Prague n'a jamais été aussi resplendissante qu'aujourd'hui. Même autrefois, on n'a jamais eu autant de moyens pour garder la ville dans cet état de magnificence. Donc, je ne cherche pas des choses derrière, mais je me contente d'apprécier ce que je vois et c'est tout à fait extraordinaire. »

Auteurs: Anna Kubišta , Magdalena Segertová
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