L’affiche – depuis cent ans au service des idéologies

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L’exposition « L’affiche dans la lutte des idéologies, 1914-2014 » a été récemment inaugurée à la galerie d’art contemporain DOX à Prague. Elle met en perspective les cent années d’utilisation de l’affiche en tant qu’instrument idéologique de propagande. Du fait de la résonance du sujet dans le temps présent, l’exposition invite également à réfléchir sur la fonction que détient l’affiche dans le monde contemporain. Au micro de Radio Prague, le directeur artistique de DOX et commissaire de l’exposition, Jaroslav Anděl.

Les plusieurs centaines d’affiches exposées à DOX proviennent de collections publiques et privées de partout en République tchèque. Accompagnées d’un support vidéo, là où un tel matériel existe, les affiches sont organisées en une dizaine de sections chronologiques. Et cela commence par la Première guerre mondiale, qui est en même temps la période la mieux étudiée par les historiens de l’affiche. Jaroslav Anděl explique ce choix chronologique ainsi que l’objectif de son projet :

« L’objectif de cette exposition est déjà énoncé dans son appellation. Quant à la chronologie, nous avons sélectionné comme point de départ le début de la Première guerre mondiale, car c’est le moment où l’affiche, auparavant utilisée à des fins publicitaires et informatives, s’est transformée en un instrument de propagande. »

Jaroslav Anděl,  photo: Archives de Radio Prague
L’exposition se concentre sur l’activité de propagande telle qu’elle est orchestrée par l’Etat. Le commissaire d’exposition poursuit :

« L’affiche est porteuse d’un message relatif à l’Etat et en l’observant, nous découvrons notre histoire contemporaine. Ainsi, le visiteur pourra prendre plus de distance par rapport au temps présent et comprendre dans un contexte plus large la situation actuelle. »

Devenue outil de propagande pendant la Première guerre mondiale, l’affiche a donc surtout un message à faire passer au plus grand nombre. Jaroslav Anděl évoque en quoi le progrès technique a déterminé le rôle de l’affiche tout en permettant sa diffusion en grandes quantités : « La création de l’affiche a été rendue possible par le développement technique, notamment par la découverte de la lithographie en couleur dans les années 1870. Ensuite, le progrès technique a fait de lui un instrument avec des buts commerciaux... »

Anonyme,  sans titre,  1939,  photo: Ne Boltai A Collection of 20th-century Propaganda / DOX
… et politiques. A DOX, on peut voir des affiches françaises, allemandes, autrichiennes, anglaises ou encore russes. Elles font tout pour attirer l’attention, capter l’œil du passant. En mettant en valeur le soldat national, elles font ainsi appel à la contribution de chacun à l’économie de guerre. L’ennemi est souvent représenté comme un monstre avec des attributs d’animaux ou comme un barbare sanguinaire. C’est une véritable guerre des images, qui se met en place, et au cœur de laquelle se trouve l’Etat-nation. Jaroslav Anděl :

« Cela montre quels étaient les moteurs de l’histoire et qui ont été les acteurs déterminants au cours du XXe siècle. En Europe, au XXe siècle, c’était l’Etat. Avant tout l’Etat-nation, par la suite un Etat totalitaire, ou bien autoritaire, nous pouvons même parler des dictatures, cela ne change rien au fait que l’Etat dans ses différentes formes reste l’acteur clé. »

Dans un contexte de guerre et avec l’objectif de sensibiliser les gens ordinaires aux besoins vitaux de l’Etat, l’affiche devient manipulatrice. Elle se sert des symboles nationaux qu’elle vénère ou profane quand il s’agit de la symbolique ennemie. Il n’est donc pas rare de retrouver sur des affiches de la Seconde guerre mondiale une croix gammée détruite par exemple. L’affiche est surtout simple et compréhensible et fait appel à des raccourcis et à des références connues par l’ensemble des membres d’une nation. Jaroslav Anděl précise :

Nina Montenegro,  'Une idée ne peut pas etre détruite',  2011,  photo: DOX
« On y utilise toute sorte d’imageries et une combinaison d’image et du texte. L’affiche s’appuie également sur une longue tradition rhétorique laquelle permet de sélectionner des mots clairs pour aller droit au but. Les affiches utilisent des références culturelles locales intelligibles pour des Français par exemple, mais pas autant pour des Anglais ou des Allemands. »

Ces différences nationales et ces nuances dans le lexique et dans la symbolique, l’exposition peine à les expliquer. Les textes en anglais, français, allemand ou russe qui figurent sur les affiches ne sont que très rarement traduits. Pour pleinement profiter du riche matériel rassemblé à DOX, le visiteur devra pouvoir mobiliser des connaissances historiques, linguistiques et culturelles pointues. A cela, le commissaire d’exposition réagit :

Photo: DOX
« Il faut avoir la clé pour comprendre ces affiches. Si vous ne connaissez pas la symbolique, vous allez passer à côté des histoires. Pour cela, il y a des dépliants en bas des murs qui offrent une explication supplémentaire aux visiteurs. Si on fournissait des explications plus détaillées, on s’éloignerait trop de l’idée d’une exposition qui est avant tout visuelle et non un lieu de lecture. »

C’est ainsi que Jaroslav Anděl justifie l’absence d’explications plus élaborées. Quant aux textes complémentaires, ils se réduisent souvent à constater des généralités géopolitiques ou des grandes tendances dans le style des affiches et leur richesse reste donc inexploitée pour l’œil non expérimenté. On ne découvre pas non plus la machinerie de propagande telle qu’elle existait au sein des Etats.

Joe Scorsone,  'Le nettoyeur ethnique',  1999,  photo: DOX
Néanmoins, les traits communs des affiches dans les différentes périodes apparaissent assez clairement. Dans la période des années 1930, l’emprise des dictateurs sur cet outil est évidente. Ainsi, l’affiche participe à la création du culte de la personnalité, un effort commun de Mussolini, de Staline, ou d’Hitler. Mais outre sa fonction politique, l’affiche parvient-elle encore à conserver un aspect artistique ? Peut-on parler d’un art violé, un art abusé ? Jaroslav Anděl fait preuve de réalisme :

« L’art a toujours été au service de quelqu’un car il nécessite un financement. Bien sûr, je ne compare pas la peinture de Michelangelo à la production d’un désigner d’affiches. Mais il fallait que quelqu’un paie et cette personne avait ses propres objectifs. Avec les évolutions au sein de la société, l’identité de l’acheteur ou du mécène a changé et le rôle de l’art a également évolué. S’il s’agit d’un abus de l’art, c’est une question de perspective car pour certains, l’abus peut être une utilisation légitime. »

Photo: DOX
Et pendant la guerre froide, l’essentiel se joue effectivement sur la perspective. L’affiche maintient sa fonction d’arme idéologique destinée au public national. Il faut prouver par ce biais que le camp ennemi est moins avancé et attirer ainsi l’attention sur ces maux. Du côté occidentale, les affiches soulignaient souvent que « le bolchevisme apporte la guerre, le chômage et la famine ». Quant aux soviétiques, ils dépeignaient un ouvrier qui se défend contre le capitalisme, le militarisme ou encore l’aristocratie.

Puis, dans la seconde moitié du XXe siècle, la communication à travers ce médium a évolué pour inclure un nouvel élément - ainsi l’ironie et le jeu de mots consolident leur présence dans les affiches. Dans les Etats pluralistes du côté occidentale du Rideau de fer, l’affiche devient un moyen de contestation et de critique du gouvernement. Nous pouvons donc parler d’un passage de l’affiche idéologique à une affiche polémique.

Photo: DOX
L’exposition a la vertu de présenter également la production la plus récente. Ainsi, les visiteurs redécouvrent la critique relative au rassemblement des données personnelles des citoyens américains par l’Agence nationale de la sécurité (NSA). Une affiche titrait en 2013, avec un ton d’ironie : « La NSA est la seule partie du gouvernement qui écoute vraiment » (The NSA – the only part of government that actually listens).

Interrogé sur sa partie préférée de l’exposition, Jaroslav Anděl laisser planer un doute quant au caractère politique de son projet :

« Nous avons décidé d’organiser cette exposition surtout à cause de l’actualité et l’anniversaire de la Première guerre mondiale a présenté une très bonne occasion pour une rétrospective. Pour moi, la partie la plus intéressante est donc celle de la dernière décennie et le reste c’est pour nous faire comprendre comment nous en sommes arrivés là et comment tout cela peut encore déraper. »

Photo: DOX
Depuis les années 1970, les affiches politiques deviennent un outil de communication électorale et se rapprochent ainsi du but originel de l’affiche, c’est-à-dire la vente d’un produit – ici d’un candidat. De plus, la frontière entre la publicité, la communication et une idéologie n’a jamais été tout à fait claire. Et cela, l’exposition à DOX le montre bien.

A une époque dominée par Internet, les affiches pourraient être considérées comme démodées. Néanmoins, selon une étude de 2002 effectuée en Grande Bretagne, l’opinion publique voit les affiches comme le second médium le plus puissant juste après la télévision.

L’exposition « L’affiche dans la lutte des idéologies, 1914-2014 » est à voir à la galerie d’art contemporain DOX jusqu’à 19 mai 2014.