Sous la direction de l’acteur et réalisateur Robin Renucci, sept comédiennes et comédiens de la troupe des Tréteaux de France portent à la scène le roman visionnaire de l’écrivain tchèque Karel Čapek, La Guerre des salamandres. Fable écologique avant l’heure, ouvrage qui dénonce le totalitarisme en pleine montée des périls dans l’entre-deux-guerres, ce roman n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui. Radio Prague s’est entretenu avec Robin Renucci qui a détaillé pourquoi il avait eu envie d’adapter ce récit au théâtre.
Robin Renucci, photo: YouToube « Je suis directeur des Tréteaux de France, qui est un centre dramatique
national, et je travaille par thématique. Après avoir travaillé sur
l’emprise avec des pièces sur ce thème, nous travaillons sur
l’argent, sur la production la richesse et sa distribution. Evidemment,
lorsqu’on parle du travail, de la fabrication de la richesse et de sa
distribution, on parle du travail d’aujourd’hui et de la robotisation.
Nous en sommes venus assez rapidement à Karel Čapek puisqu’on lui
prête l’invention du mot ‘robot’. Il s’agissait de monter une
œuvre qui, au-delà du travail et du robot, parle de la finitude de la
Terre, de l’écologie, de notre société aujourd’hui et de la façon
intrinsèque que l’homme a de vouloir prospérer, de faire profit de tout
bois et de ruiner l’économie mondiale dans sa volonté de s’enrichir.
On arrive assez rapidement à Karel Čapek car c’est un auteur
incontournable, d’une grande richesse et presque ‘voyant’ à son
époque. Même s’il est mort en 1938, il avait su dresser dans une fable
de science-fiction, de politique-fiction même, ce qu’allait devenir
notre monde, notre économie et surtout notre écologie. C’est un de vos
grands auteurs mondiaux. »
Pouvez-vous rappeler l’histoire en quelques mots ?
« L’histoire est relativement complexe et en même temps simple. C’est
une grande fable dans laquelle des journalistes vont à la rencontre d’un
capitaine, qui ressemble un peu au capitaine Haddock d’Hergé, qui a
découvert de petits animaux très gentils : des salamandres capables de
produire des huîtres perlières, et qui se trouvent dans l’île de
Sumatra. Quand les journalistes rencontrent le capitaine, il raconte
comment il a découvert les salamandres et comment il compte chercher à
rencontrer un industriel pour élargir un peu sa production personnelle. Le
capitaine rencontre ensuite un homme qui s’appelle Monsieur Bondi, qui le
fait prospérer, lui qui n’en demandait pas tant. Monsieur Bondi monte
surtout une multinationale et fait en sorte que ces salamandres qui se
reproduisent de façon extraordinaire deviennent des prolétaires, des
sous-prolétaires mêmes. Elles sont exploitées, mais progressivement
elles se révoltent, d’où le titre ‘La Guerre des Salamandres’.
C’est donc une fable satirique sur le sous-prolétariat et une façon de
lui donner les clés pour se révolter. »
On sent bien en effet comment cet ouvrage peut avoir des résonnances à l’heure actuelle. Il s’agit d’un roman de 1936, et je crois savoir que pour la mise en scène vous avez gardé cet ancrage historique. Néanmoins avec Karel Čapek il y a une lecture qui va bien au-delà de l’époque. Comment réussissez-vous à osciller entre l’ancrage historique et la deuxième lecture de ce texte ?
Photo: La Baconnière « Karel Čapek est aux confins des problématiques de la moitié du
siècle dernier avec la montée des totalitarismes, évidemment il ne
connaît pas le nazisme des fascistes mais au fond il l’a pressenti. Il
est mort juste avant que son frère soit emmené dans les camps, on dit
même que les nazis étaient venus pour les chercher tous les deux à
Prague. Il est assez clair de ce que va devenir l’histoire, sur les
totalitarismes et sur l’écologie. L’époque de 1936 est aussi
l’époque du cinéma qui est montant, de la publicité, de la propagande
et de la réclame, le tout au service d’une humanité qui a envie de
s’enrichir et d’exploiter au maximum la planète. Il parle de tous ces
thèmes d’aujourd’hui que sont l’envahissement du monde médiatique,
la place que tient la réduction de l’imaginaire dans nos esprits, la
façon dont on est radotés par des industries de programmes que sont
devenus la télévision, le cinéma et tant d’autres outils des
médias… Il parle très bien de l’écologie, c’est une sorte de
finitude. Il dit notamment en 1936 que la Louisiane va être envahie par
les eaux, et c’est vrai qu’il y a quelques jours, Le Monde titrait
‘La Louisiane envahie par les eaux’. Čapek a prévu tout cela parce
que dans son roman, les continents se rétrécissent. Les salamandres sont
utilisées pour faire des bâtiments publics et élargir les continents car
les glaces fondent et les eaux montent. Karel Čapek prévoit un certain
nombre de catastrophes, et il parle évidemment de ce qui se passe
aujourd’hui ! Un texte écrit en 1936 qui parle à ce point de notre
actualité, ça nous a sauté aux yeux. Nous jouons tous les soirs, comme
hier soir où nous avons joué devant une grande audience, et les gens
voient tout de suite que cette écriture de 1936 est aujourd’hui actuelle
en 2018, et le sera peut-être au-delà. »
Comment adapte-t-on un roman à la scène ? Quels sont les choix que vous avez dû faire, du fait qu’il ne s’agit pas une pièce de théâtre ?
'La Guerre des salamandres', photo: Jean-Christophe Bardot/Tréteaux de France « Déjà il s’agit d’un roman ‘profusionnel’, il est riche dans sa
calligraphie notamment. Je le recommande à tous nos auditeurs, qui
connaissent sans doute très bien cette œuvre puisque Karel Čapek est un
grand auteur chez vous. En France il le devient, donc je suis très heureux
de participer à la mise en avant de la culture tchèque par ce travail.
Karel Čapek a écrit de manière très riche grâce à des articles de
journaux, il parle beaucoup de la presse, donc nous avons tenté de rendre
compte de cette iconographie du monde de l’imprimerie, mais aussi du
cinéma, puisque Čapek écrivait avec des scènes de cinéma tournées.
Dans le spectacle, il y a des scènes de cinéma, la présence de caméras
et d’écrans… Tout cela dans un univers de science-fiction un peu à la
Orwell. Mais au fond, beaucoup de gens ont écrit un peu à sa manière car
il était capable d’une imagerie tellement riche pour le spectateur, à
la fois drôle, jamais cynique, extrêmement intelligente et d’une grande
élégante. Lui-même était dessinateur et son frère aussi, donc nous
avons tiré de ces univers iconographiques la nature de l’esthétique du
spectacle. »
Quelles sont les réactions du public français ? Karel Čapek est peut-être moins connu en France qu’Orwell dont vous parliez tout à l’heure, ou qu’Aldous Huxley… C’est d’ailleurs étonnant qu’il ne fasse pas partie des auteurs référence de politique-fiction. Les gens sont-ils surpris de découvrir ce texte un peu méconnu en pays francophone ?
'La Guerre des salamandres', photo: Christophe Raynaud de Lage/Tréteaux de France « Oui exactement. Aujourd’hui Le Meilleur des monde d’Aldous Huxley
est étudié en classe, mais je crois que l’Education Nationale
française va progressivement s’orienter vers Karel Čapek aussi parce
que ses tournures de phrases sont très riches, l’élégance de sa
littérature remarquable, et parce qu’il traite de sujets d’actualité.
Comme je dirige un centre d’art dramatique national, notre mission est de
faire en sorte que ses œuvres théâtrales viennent élargir le cadre des
auteurs connus, mais aussi qu’elles donnent davantage de
conscientisation, d’esprit critique et de discernement au public qui
vient voir le spectacle. Les audiences sont très importantes : nous avons
créé au festival d’Avignon ce spectacle pour cet été et il y a
toujours beaucoup de monde, les gradins sont pleins quand nous jouons dans
des chapiteaux ou dans des salles. Il y a donc un public nombreux qui
découvre Karel Čapek et la littérature tchèque, et à chaque fois les
gens demandent à acheter le livre. Čapek est en train d’être mieux
reconnu en Europe et en France particulièrement. C’est un grand plaisir
d’œuvrer à cela, il nous a donné beaucoup, et de nombreux autres
auteurs tchèques font partie de ma bibliothèque et j’attache beaucoup
d’importance à votre littérature, comme beaucoup de Français. »
La Guerre des salamandres a été présenté en juillet au festival
Villeneuve-en-scène et va continuer à tourner en France au moins
jusqu’au printemps prochain. Toutes les dates de représentation sont à
retrouver ici :
http://www.treteauxdefrance.com/les-treteaux-de-france/robin-renucci/la-guerre-des-salamandres
La Guerre des salamandres est paru en France aux éditions La Baconnière.
Sous le pont Charles, les archéologues en quête des vestiges du premier pont pragois en pierre
En Tchéquie aussi, le difficile réapprentissage de la cohabitation avec le loup
Migration : le groupe V4 et l’Allemagne souhaitent aider le Maroc
Brexit: mon royaume pour un passeport tchèque!
Ce que la France et la Tchéquie doivent à l'archéologue Bohumil Soudský