La Fée : la fable, pour mieux parler du monde actuel

Fiona Gordon et Dominique Abel, www.festivalff.cz

Dans le cadre du Festival du Film français étaient invités Fiona Gordon et Dominique Abel, réalisateurs et acteurs issus du monde du théâtre corporel et de rue. Ils présentaient leur dernier opus, La Fée, qui est sorti en salles le 1er décembre. Retour sur leurs débuts, leur monde imprégné de burlesque et de poésie.

Fiona Gordon et Dominique Abel,  www.festivalff.cz
Fiona Gordon, Dominique Abel, vous présentez votre film La Fée dans le cadre du Festival du Film français. J’allais dire que vous êtes un duo de réalisateurs, mais ce n’est pas vrai, puisqu’il y a un troisième compère qui n’est pas là…

FG : « Le troisième membre du groupe, c’est Bruno Romy, un Normand. Il ne parle pas l’anglais, donc souvent c’est nous qui faisons la promotion à l’étranger, tandis que lui se charge surtout de la France. Nous collaborons ensemble depuis pas mal d’années. »

Comment vous êtes-vous rencontrés et comment s’est fait cette synergie à trois ?

DA : « Il était technicien d’accueil dans un théâtre en Normandie. Nous on tournait avec une pièce de théâtre qu’on a joué des milliers de fois. On s’est rencontrés alors qu’il préparait son premier court-métrage. Il nous a demandé de jouer dans son film. On s’est bien entendus. On préparait parallèlement notre premier court-métrage et on s’est dit : pourquoi ne pas le faire à trois plutôt qu’à deux ? Notre manière de travailler est assez spéciale puisqu’elle est très physique, il y a beaucoup d’improvisation. Cela collait bien à trois, nous avons le même sens de l’humour. »

Vous dites que c’est un style très physique. Vous venez du théâtre, pourriez-vous rappeler votre parcours ?

Fiona Gordon,  www.festivalff.cz
FG : « Tous les deux sommes acteurs au départ, acteurs physiques. J’ai fait l’université au Canada, en théâtre. Mais je ne voulais pas faire ce qu’on faisait comme Shakespeare, Pinter, Tennessee Williams. Je voulais faire du théâtre physique. J’avais entendu parler de l’école Jacques Lecoq à Paris, où je suis donc allée après l’université. J’y ai rencontré Dominique qui faisait à l’époque des sciences économiques… »

DA : « Je faisais en effet sciences éco et en dernière année, j’ai commencé à faire du théâtre de rue. Je n’étais pas encore très bon, mais je sentais que c’était ce qu’il fallait faire. Parallèlement, j’ai rencontré des acteurs belges qui m’ont marqué. Et j’ai vu une pièce de Bolek Polívka ! Tous ces clowns m’ont vraiment passionné, car ils avaient tellement d’humour et allaient tellement loin… Ils parlaient de choses dures et graves mais avec humour. On m’a parlé de l’école internationale Lecoq à Paris. J’ai rencontré Fiona qui venait du Canada. On a travaillé pendant deux ans à développer une expression très physique à travers des genres variés : bouffon, mélodrame, tragédie, commedia dell’arte etc. En sortant de l’école, tout le monde est reparti dans son pays. On est restés là à se demander quoi faire. On est allés à Bruxelles d’où je venais. On a fait notre premier spectacle où il n’y avait qu’un seul spectateur, et c’était génial ! »

'La Fée'
Pourriez-vous présenter La Fée ? Et peut-on en fait réellement raconter vos films, car vos films ne se racontent pas, il faut les voir ?

FG : « C’est un peu comme vous le dites. Toutes nos histoires sont assez simples afin de laisser de l’espace pour le jeu et pour que la fragilité des personnages puisse s’épanouir. Cette fois-ci, c’est l’histoire d’une espèce de fée, une fée un peu foireuse. D’ailleurs elle n’est peut-être pas une vraie fée. Mais elle se débrouille, car c’est une sorte d’humaniste inconsciente et courageuse qui essaye de faire du bien mais parfois fait du mal en faisant du bien. Un jour, elle voit depuis sa fenêtre un veilleur de nuit solitaire et décide de l’aider, ou peut-être tombe-t-elle amoureuse de lui et elle trouve donc un prétexte pour aller le rencontrer. »

En tout cas, c’est le coup de foudre entre les deux personnages, il y a même un enfant qui naît de cette union. Ce qui est intéressant c’est que ces deux personnages, on les retrouve aussi dans votre précédent film L’Iceberg. Certes de manière différente, car il y a une autre alchimie dans le trio. Mais on dirait qu’il s’agit de personnages archétypaux qu’on retrouve de film en film…

'L’Iceberg'
DA : « C’est toujours nous. On est des clowns. Quand on est clown on n’essaye pas d’en imiter d’autres, ou de composer un personnage, on essaye d’utiliser ce qui nous différencie des autres et d’exposer notre propre maladresse, nos fragilités, nos bêtises. Comme on base notre écriture sur ces personnages, on les retrouve partout, mais dans des métiers et des relations différentes. L’Iceberg, c’est le récit d’une crise : une femme qui a des enfants, un mari, qui réalise qu’elle n’est plus remarquée, qu’elle est transparente. Pour des raisons difficiles à expliquer elle part chercher un iceberg ; le mari se réveille se demande où elle est passée et se met à la suivre. Rumba qu’on a fait après, c’est un couple très heureux qui adore danser la danse latino, mais un jour arrive un accident terrible… »

Ce n’est pas parce qu’il y a une fée dans votre nouveau film, mais on a envie de dire que vos films sont plutôt des contes…

FG : « C’est souvent des contes, des fables, on se détache un peu de l’actualité même si on utilise aussi les choses qui nous imprègnent dans l’actualité pour écrire. Mais on essaye de trouver un contexte plus large, moins défini pour pouvoir faire nos bêtises. On a envie aussi que ce soit valable dans 20 ans, dans 100 ans. »

'La Fée'
Vous dites que ce n’est pas imprégné totalement de l’actualité, mais dans La Fée il y a ce problème des migrants, en Normandie, qui veulent passer en Angleterre qui est décrit…

DA : « C’est justement pour mieux parler de tout ce qui nous touche dans le monde actuel qu’on prend une espèce de recul. On ne fait pas de politique. On a un style visuel très particulier, on est dans de la poésie, mais ça nous permet d’attaquer les choses qui font mal. Tout ce que vous voyez à la télé. »

On a dû vous le faire remarquer. Votre film se passe au Havre, il y a ce problème des clandestins… Il se trouve que dans le cadre du Festival est présenté Le Havre d’Aki Kaurismaki, qui d’une certaine façon, fait écho à votre film… En tout cas les deux se retrouvent ici par une sorte de coïncidence sympathique…

FG : « Je pense que ce thème est dans l’air du temps, vraiment… Les immigrés sont souvent présents dans nos films. On ne peut pas les oublier. Nous qui voulons parler des gens fragiles et démunis, qui est plus démuni que ces personnes ? »

Il y a aussi cette ville, Le Havre, qui doit être très photogénique pour un film…

'La Fée'
« Oui, il y a pas mal de réalisateurs qui soudain tournent là-bas. Pour nous, c’était un hasard complet d’y croiser Kaurismaki, qui y était juste avant nous. Au début, ça nous a fait un peu peur, à cause de la comparaison. On aime beaucoup Kaurismaki et son monde aussi. Mais ce n’est pas vraiment un hasard : ce qui nous a attiré, c’est le côté visuel. On dirait une maquette géante. Tout le centre-ville a été rasé pendant la guerre et reconstruit dans les années 1950, dans ce style moderniste, en béton… On ne sait pas où on est : en France, en Allemagne de l’Est, aux Etats-Unis ? Dans les années 1950 ou aujourd’hui ? C’est une intemporalité qui nous plaît beaucoup. »

Dans le film, la Fée propose de faire trois vœux, mais on ne sait pas quel est le troisième vœu que fait son compagnon. Quel est votre troisième vœu ?

DA : « On ne l’a pas dit exprès. On a bien cherché pendant l’écriture… On cherchait des vœux riquiqui, ça nous plaisait, tout en gardant un sens. On a laissé une certaine ouverture. Tout comme on voulait éviter l’évidence de 3 milliards de dollars qui ne rend personne heureux, on a voulu parler de l’essentiel. Cette fée vient donner de l’amour à quelqu’un. Elle essaye d’aider les gens quand elle les aime, de manière un peu égoïste d’ailleurs. Là, elle a réalisé ses trois vœux, à ce niveau-là. »