Galeries Mathieu, La Femme, Litera... rencontre avec leurs fondateurs à la foire Art Prague

Boris Jirku, Galerie La Femme
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Fondée, il y a quatre ans, par deux galeristes pragoises, la foire d'art contemporain Art Prague a présenté, la semaine dernière, dans trois salles d'exposition de la capitale, une quarantaine de galeries privées tchèques et étrangères. Je vous propose d'y faire un tour...

La galerie Manes
Nous sommes dans l'un des plus importants lieux d'exposition de Prague, dans la galerie Manes. Située dans un coin charmant de la capitale, sur l'Ile slave (Slovansky ostrov), on dirait qu'elle flotte sur la rivière Vltava... Parmi de nombreux exposants tchèques, on trouve une galerie pragoise dont le nom saute aux yeux de chaque Français : La Femme. Mais on aurait beau chercher, à sa tête ne se trouve aucune représentante du sexe dit faible. Ecoutez son fondateur et directeur Miroslav Lipina :

"En avril dernier, nous avons fêté le cinquième anniversaire de l'existence de la galerie La Femme, située au coeur de Prague, en face de l'hôtel Intercontinental. Cette galerie, je l'ai fondée au bout de 27 ans de travail dans les beaux-arts. J'avais un cercle assez grand de plasticiens favoris, mais j'ai choisi de me limiter à ceux qui se concentrent, dans leur création, sur la femme. J'ai décidé que ma galerie allait être monothématique, axée uniquement sur ce sujet-là. Et pourquoi ce nom français ? J'ai tout de suite pensé à l'expression 'Cherchez la femme'... Et puis, ma femme parle français, la galerie se trouve juste à côté de la rue Parizska (de Paris), donc le projet est vraiment né dans un esprit français..."

D'ailleurs, les plasticiens réunis par la galerie La Femme, après avoir réalisé des projets internationaux avec leurs collègues canadiens, s'apprêtent à mettre le cap, l'année prochaine, sur la France : ils travailleront, durant une dizaine de jours, en Bretagne et en Provence et exposeront, ensuite, leurs oeuvres à Paris. Au sous sol du Manes, j'ai remarqué les peintures très originales du Français Marc Giai-Miniet, exposées à la foire Art Prague par Miloslav Navratil, propriétaire de deux galeries pragoises, une dans le quartier de Karlin et l'autre à Mala Strana :

"Je collabore avec Marc Giai-Miniet depuis à peu près 13 ans. Nous nous sommes connus en 1990, ici, au Manes, où il a exposé avec un groupe d'artistes français. Depuis, je lui est consacré cinq expositions dans mes galeries. C'est un excellent peintre et créateur d'objets. Ces objets, Marc les appelle 'les boîtes'. Ses tableaux sont 'habités' par des personnages bizarres, munis des trompes... Et ces boîtes, ce sont en fait des maisons et des lieux où ces créatures pourraient habiter ou fonctionner."

Les visiteurs d'Art Prague ont vu, à côté des oeuvres d'artistes français provenant des galeries tchèques aussi l'inverse : Geneviève Mathieu, qui est présente chaque année à Art Prague, tient, depuis 25 ans, à Lyon, la galerie qui porte son nom. Depuis la fin des années 70, elle y expose les plasticiens-dissidents tchèques :

"J'ai présenté Vaclav Bostik, Karel Malich, Jiri Kolar, Milan Grygar etc., pour une bonne raison : aux Beaux-Arts, où je faisais mes études, j'ai rencontré Miloslav Moucha et j'ai eu la curiosité de venir visiter la République tchèque. J'ai ouvert ensuite une galerie et j'ai présenté tous ces artistes qui ne pouvaient pas exposer à cette époque."

A présent, vous exposez aussi des artistes tchèques contemporains ?

"Non pas du tout... Enfin si, j'exagère, parce que j'ai Antonin Strizek et David Frank qui sont les deux plus jeunes artistes tchèques que j'ai dans la galerie. Mais ce sont quand même des artistes qui ont quarante ans, donc ce n'est pas la 'jeunesse jeunesse'. Mais... quand on a 25 ans d'existence, on n'a plus trop l'énergie pour présenter des jeunes... Je suis très heureuse de faire cette foire, parce que je rends aux Tchèques ce que je leu avais pris : tout ce que j'ai acheté il y a 20, 25 ans, qui était en France et qui malheureusement, il faut bien le dire, ne passionne pas les Français, parce que vous savez, les Français achètent français et les Tchèques achètent tchèque. Donc toutes ces choses je les ramène dans leur pays et je suis heureuse de voir que les Tchèques sont très intéressés et que je vends très bien tous ces artistes qui sont morts ou qui ont un certain âge en tout cas."

Combien de tableaux avez-vous vendu à Prague, depuis quatre ans ?

"Une vingtaine, je dirais... J'ai toujours fait de très bonne foires à Prague. C'est quand même assez étonnant et miraculeux, parce que le marché de l'art n'est pas facile ici. Cette foire est différente des autres. D'abord, elle est petite, mais c'est un avantage à mon avis. Il y a 40 exposant, alors que dans les foires que j'ai pu faire en Europe de l'Ouest, il y en a 100, 150. A Art Prague, c'est familial, au bout de quatre ans, je connais tout le monde, j'ai plaisir à parler avec les autres galeristes. Et surtout, le public est très attentif, ce qui n'existe plus en France, où les gens sont complètement blasés et regardent sans vraiment regarder. Ça reste quand même une foire assez tchèque, pour l'instant, mais en quatre ans, il y a eu de gros efforts et même les galeristes locaux sont de plus en plus nombreux à présenter des artistes étrangers... Je trouve que c'est bien."

Quelles sont les oeuvres qui vous plaisent, à vous, dans cette foire ?

"Il y a plein d'artistes qui m'intéressent ici ! Mais c'est inutile de dépenser mon énergie pour les présenter en France, parce que ça laisse les Français indifférents."

D'où vient cette indifférence, d'après vous ?

"Les gens achètent parce qu'ils en ont entendu parler, parce qu'il y a une renommée, parce qu'il y a une pub qui est faite autour et un travail d'une galerie autour... Pour m'occuper des artistes tchèques, c'est plus compliqué, je ne peux pas apporter beaucoup d'oeuvres à la fois. A part quelques coups de coeur, parce qu'on a des collectionneurs formidables qui craquent instantanément, c'est vraiment un travail de fond qu'il faut faire. Je n'ai plus le courage pour ça. Il faudrait une jeune galerie qui s'installe et qui prenne les Tchèques, les nouveaux, les jeunes."

Est-il difficile de mettre sur pied une galerie en France ?

"Je crois que le métier de galeriste est le métier le plus fou qui existe, partout dans le monde. On est un intermédiaire entre l'artiste et le collectionneur. On a tous les reproches de la terre par les artistes et les collectionneurs font un peu les difficiles, donc se n'est pas évident de faire du charme à tout le monde... Non, c'est un métier difficile et la conjoncture économique a toujours été difficile pour l'art. Depuis 25 ans, j'entends dire : 'ah, c'est difficile !' Alors il y a la guerre du Golf, il y a les attentats à New York... A chaque fois les gens n'ouvrent plus leurs porte-monnaie, c'est ça le problème. L'art est un luxe et il passe après tout le reste."

Vous-même, vous faites aussi de la peinture ?

"Moi, j'ai fait les Beaux-Arts, j'ai fait de la gravure. Mais je ne fais plus rien depuis que j'ai une galerie ! Je n'ai absolument plus le temps de m'occuper de moi. Je fais mon travail pour les artistes."

L'art tchèque a-t-il, à vos yeux, quelque chose de spécifique ?

"Oui, c'est assez spécifique par rapport à l'art français par exemple. C'est assez expressionniste, on y retrouve une influence de l'Allemagne. Et puis, il y a ce côté abstrait, qui vient de Malevitch... En fait, j'ai rarement présenté des artistes figuratifs, dans ma galerie. Mais ce que je vois dans les murs à la foire est plutôt expressionniste qu'abstraction méditative et contemplative, ce qui est ma tendance à moi."

Si Geneviève Mathieu dit que "l'art est un luxe", pour les galeristes tchèques, la participation aux grandes foires internationales en est aussi un, comme l'explique Miroslav Lipina de la galerie La Femme :

"Hier, nous, les galeristes qui participons à Art Prague, avons eu un débat, sur ce sujet-là. Ceux qui ont déjà exposé dans des foires mondiales ont dit que cela leur était revenu très cher. Certains galeristes tchèques se sont plaints de ne pas avoir été admis à des foires importantes, puisqu'ils proviennent d'un pays de l'ancien bloc de l'Est. Mais le plus grand obstacle restent les moyens financiers. Dans certains pays, les artistes reçoivent des subventions pour ça. Chez nous, personne ne nous soutient."

Auteur: Magdalena Segertová
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