Le journal Le Monde a écrit que c’était la plus belle rétrospective de l’année : l’exposition consacrée par le Grand Palais, à Paris, à un des pionniers de l’abstraction, le peintre tchèque František Kupka, est désormais également à voir à Prague, au Manège Wallenstein, jusqu’au 20 janvier prochain. Cet événement est le fruit d’une collaboration fructueuse notamment entre la Galerie nationale de Prague et le Centre Pompidou à Paris. Pour Radio Prague, l’historienne de l’art tchèque Markéta Theinhardt et une des commissaires de l’exposition, Brigitte Léal sont revenues sur ce grand projet.
Photo: Barbora Němcová
BL : « Il y avait déjà une logique de partenariat grâce à nos deux
collections : la collection Kupka du centre Pompidou, qui est extrêmement
importante puisqu’elle est née grâce aux donations de František Kupka
donc c’est vraiment une collection où tous les aspects de la création
de Kupka sont représentés, et l’autre collection très importante en
Europe est celle de la Národní Galerie de Prague. Donc il était logique
que nous travaillions ensemble pour pouvoir monter une rétrospective de
cette ampleur. Il n’empêche que dans les deux cas, et surtout à Paris,
il y avait aussi des prêts exceptionnels d’autres institutions comme le
musée d’art moderne de New York, les grandes collections américaines et
européennes, qui ont acceptés de nous prêter des chefs d’œuvre donc
c’est ainsi que tout a commencé. L’idée était de rendre hommage à
Kupka, avec le noyau central des plus belles œuvres conservées, aussi
bien à Paris qu’à Prague. »
Cela faisait longtemps qu’une rétrospective n’avait pas été organisée? Ici cela faisait par exemple une trentaine d’années !
BL : « A Paris en tout cas, c’était en tout cas depuis 1989. Une rétrospective d’une telle richesse, effectivement il n’y en avait pas eu depuis longtemps d’autant qu’à Paris notamment, il y avait aussi la présence d’archives et de documentation qui n’avaient jamais été montrées, et donc c’était à la fois une exposition qui pouvait satisfaire, par la beauté des œuvres, un public assez large, mais aussi un public de chercheurs et cela nous a permis d’avancer dans la connaissance de l’œuvre de Kupka. »
Concernant la connaissance de l’œuvre de František Kupka, j’imagine qu’il n’est pas connu de tous les Français, même des amateurs d’arts. Quelles ont été les réactions des gens, en découvrant ou redécouvrant l’œuvre de Kupka en France ?
BL : « La réception de la collection à Paris a été excellente. La presse a été très élogieuse, la réception du public était la même. Je crois qu’effectivement les gens ont pu être découvrir et être intéressés par l’œuvre d’un artiste dont le nom symbolise l’abstraction. Etant donné que l’exposition était très complète, on a aussi découvert toute l’œuvre de caricaturiste du début de siècle mais également les aspects symbolistes de son œuvre, disons l’œuvre qui précède le passage à l’abstraction qui était sûrement moins connu à Paris, et aller jusqu’au bout de sa carrière dans toutes ses différentes étapes. Je crois que ce qui a intéressé le public c’est de voir tous les aspects et bouleversements de son œuvre et aussi toute sa carrière d’illustrateur avec des dessins magnifiques. Effectivement, cela a permis de faire mieux connaitre l’œuvre d’un artiste qui est certainement moins connu qu’un Kandinsky à Paris. Mais visiblement le bon accueil du public était au rendez-vous. »
Markéta Theinhardt, que nous dit cette rétrospective de l’œuvre de Kupka ? Pourriez-vous un peu détailler ?
Photo: Barbora Němcová
MH : « Le public français, déjà en 1989, et aujourd’hui au Grand
Palais était assez étonné de commencer par des œuvres naturalistes,
académiques mais également symbolistes et par des dessins satiriques pour
arriver en fin de parcours à des œuvres que l’on peut qualifier
d’abstraites comme Kupka lui-même les a appelées. C’est toujours un
grand étonnement mais il faut savoir que Kupka est un artiste qui a vécu
assez longtemps. »
Et il a donc eu le temps d’évoluer !
MH : « Il a évolué, il a toujours été curieux, il s’est informé, il a eu une grande culture, il s’est interrogé sur l’actualité artistique. »
Quelles étaient justement ses sources d’inspiration ?
MH : « Inspiration, c’est un grand mot. Il a travaillé d’abord à Vienne où il a fait ses études où il a travaillé dans la sphère du symbolisme. Certains chercheurs comme Werner Hofmann prétendent qu’il a été l’un des précurseurs du symbolisme autrichien. Malheureusement, il n’y a pas d’œuvres conservées de cette période, on les connaît seulement des descriptions de salons. Elles ont disparu, on ne les connait pas. La seule chose que l’on connaisse est le tableau à la gouache sur Le dernier rêve de Heinrich Heine agonisant (1891) qui était un énorme tableau exposé au Wiener Kunstverein, mais surtout le tableau Quam ad causam sumus que l’on ne connaît pas, un grand tableau qu’Hofmann met à égalité avec l’œuvre de Gauguin dans un autre registre. Kupka arrive ensuite à Paris et il change d’attitude même s’il reste quelque chose de la période viennoise et notamment son intérêt pour la forme. On ne le sait peut-être pas mais le formalisme esthétique est une invention centre-européenne entre Prague et Vienne. »
Ce qui est intéressant chez Kupka, c’est qu’il est un personnage important pour la Tchécoslovaquie. Il est le symbole des liens franco-tchèques mais cela va même au-delà puisqu’il a contribué, à sa manière, à la création de la Tchécoslovaquie dont on fête le centenaire, cette année. Il a lui-même été dans les légions tchécoslovaques. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette facette originale pour un artiste ?
Photo: Barbora Němcová
MH : « L’engagement de Kupka est un chapitre extrêmement intéressant.
On pourrait en parler pendant longtemps. Il y aura bientôt une exposition
au musée Kampa, consacré à Kupka pendant la Première Guerre mondiale.
Il n’a pas seulement participé au combat, comme président de la colonie
tchèque à Paris. Il était proche de Tomáš G. Masaryk, d’Evard
Beneš, on le sait depuis déjà un moment. Avant la guerre, il était
libre penseur comme Beneš par exemple aussi et comme aussi Masaryk qu’il
a connu bien avant la guerre. Il a dessiné certains projets de timbres,
des uniformes, des médailles, des diplômes de l’armée tchécoslovaque
qui existent encore aujourd’hui. Il a participé au concours pour élire
le drapeau tchécoslovaque, qu’il n’a pas gagné. Il était vraiment
engagé, et après la guerre, il est rentré gradé avec l’armée
tchécoslovaque à Prague, il est resté un moment au Ministère de la
Défense. Il s’est ensuite dépêché de rentrer à Paris. Il a écrit à
son ami le peintre Vojtěch Hynais : ‘Finie la période où je
travaillais comme une mule’. Il a commencé en 1919 à participer à des
salons, où il a eu sa première exposition personnelle à Paris. Il a
ensuite obtenu un poste de professeur à l’école de Beaux-Arts de
Prague, professeur qui a pu enseigner aux boursiers tchèques à Paris. Il
n’a pas eu à rester à Prague, ce qu’il ne voulait pas. »
Pouvons-nous nous attarder cinq minutes sur l’aspect des caricatures ? On le connaît comme l’un des pionniers de l’abstraction mais moins comme un caricaturiste. Quelles sont ses spécificités ?
Photo: Barbora Němcová
BL : « Tout d’abord, il y a la qualité graphique de ces caricatures. Ce
sont de très beaux dessins, de belles images très fortes visuellement,
avec de l’humour et un engagement pour des revues anarchistes. Un
engagement libertaire, on dirait anticapitaliste aujourd’hui,
anticlérical, contre l’armée et le pouvoir de l’argent. Ces
caricatures étaient réalisées à travers des figures standards. A Paris,
pendant l’exposition, les gens étaient captivés par ces images très
fortes, qui renvoyaient à la liberté d’expression incroyable qu’il
pouvait y avoir encore en début de siècle dernier, où il n’y avait pas
de tabous. Cela renvoyait à une actualité très proche des Parisiens,
celle des caricaturistes de Charlie Hebdo qui ont été assassinés. Et
d’ailleurs Charlie Hebdo a fait un numéro qui rendait hommage aux
caricatures de Kupka. C’était formidable puisqu’il y avait une
passerelle qui rappelait que la liberté d’expression est quelque chose
de fondamental. Quelles que soit les opinions des artistes, ils sont
toujours à défendre coûte que coûte. Il se trouve que dans l’œuvre
de Kupka, c’est toujours un dessin absolument formidable. Après, on a pu
dire cela qu’il avait fait ça pour vivre. C’était en quelque sorte
une production alimentaire, mais cela n’empêche pas le talent. Il faut
dire qu’il y a une énorme production de Kupka donc cela correspondait
vraiment à ces idées politiques de l’époque qui ont pu évoluer. A
travers son engagement dans les deux guerres mondiales, c’est un homme
d’engagement. »
Et moderne…
« Absolument, c’est un artiste et comme d’autres artistes de son temps, il s’est engagé. Malgré son pacifisme, il s’est quand même engagé dans la Légion étrangère. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a fait aussi preuve d’une sorte de courage, à la fois physique, intellectuelle et morale. C’était un homme de conviction. »
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